Camerimage 2015

Entretien avec le directeur de la photographie Jean-Marie Dreujou, AFC, à propos du "Dernier loup", de Jean-Jacques Annaud

par Jean-Marie Dreujou

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C’est en tant que juré que Jean-Marie Dreujou, AFC, va participer cette année au festival Camerimage. Il sera également le seul représentant français – et de l’AFC – en compétition internationale pour la Grenouille d’or avec Le Dernier loup, de Jean Jacques Annaud. Quelques mots avec lui avant son départ en Pologne. (FR)

C’est quoi pour vous Camerimage ?

Jean-Marie Dreujou : C’est ma première participation. Je suis ce festival depuis longtemps, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’y aller... Ça va être pour moi une opportunité de rencontrer beaucoup d’opérateurs étrangers, de partager et de voir aussi des films. Comme je suis juré de la compétition polonaise, je vais observer le travail de réalisateurs, d’opérateurs que je ne connais pas, sur des œuvres qui ne sortent parfois même pas en France... La section documentaires m’a l’air aussi passionnante... J’ai hâte de découvrir tout ça !

Le Dernier Loup est aussi en compétition dans la section internationale. Quel est votre sentiment ?

JMD : Le film est sorti en France en février, mais il continue depuis sa carrière à travers le monde. Jean-Jacques Annaud était même en promo encore au mois d’octobre en Allemagne pour sa sortie. Personnellement je n’ai pas revu le film depuis assez longtemps, et je suis assez content de pouvoir le redécouvrir avec un peu de recul en salle, dans des conditions de diffusion optimales.
Outre la projection du film, il va y avoir une Master Class modérée par Benjamin B. qui sera consacrée à la grande poursuite équestre de nuit (au premier tiers du film). Une scène que j’ai tournée en partie en nuit américaine dans ces décors grandioses des hauts plateaux de Mongolie.

 Une scène de la séquence en nuit américaine - DR
Une scène de la séquence en nuit américaine
DR

C’est un passage qui m’a donné pas mal de fil à retordre en préparation, notamment à cause des lampes torches portées par les cavaliers qui devaient établir le "keylight" sur toute la scène. Des torches au look rétro (le film se déroule en 1969) mais dont le système d’éclairage surpuissant à LED nous a pris pas mal de temps à trouver. Il fallait notamment trouver le bon compromis entre puissance lumineuse, correction de la qualité de lumière. En plus le tournage s’étant déroulé dans le froid, la durée de vie des batteries était un vrai enjeu. Une fois ces torches fabriquées, on avait presque fait le plus dur techniquement !

Le film est sorti en 3D, avez-vous tout filmé de la sorte ?

JMD : On a tourné avec deux rigs 3D mais à la fin, 75 % du film a été spatialisé. La plupart des séquences de très grand ensemble faisaient appel à beaucoup de caméras, et même si on avait un ou deux plans à la fin réellement tournés en 3D, tout le reste avait été fait classiquement. Il n’y a que quelques "set up" comme par exemple les intérieurs yourtes qui ont été entièrement tournés en 3D, principalement à cause de la fumée qui devient extrêmement difficile à gérer quand on veut spatialiser un plan en postproduction. Le film est très cohérent de ce point de vue malgré cet assemblage entre différentes méthodes.

D’où est venue cette décision de la 3D ?

JMD : C’est une demande de la production, car tous les gros films chinois sortent désormais là-bas en 3D. C’est devenu une sorte de standard de production depuis l’avènement du cinéma numérique en Chine. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’a pas été du tout une contrainte pour Jean-Jacques. Il faut savoir qu’il est lui-même assez passionné et expérimenté en matière de 3D (il a été un des premiers à tourner par exemple en Imax 3D dans les années 1990), et qu’il a pris le sujet à bras-le-corps en se lançant avec beaucoup d’enthousiasme dans le projet.

Votre bilan sur le tournage en 3D ?

JMD : C’est intéressant, mais c’est très lourd... Principalement à cause de ce problème de miroir séparateur qui nous pose beaucoup de soucis avec les flares, les réflexions, les sources dans le champ. Dès qu’on tourne en extérieur avec des soleils rasants, des contre-jours comme c’était souvent le cas sur ce film, on est régulièrement embêté à l’image. Comme la spatialisation a fait d’énormes progrès techniques, la question du tournage 3D peut maintenant vraiment se poser.

Tournage de nuit avec ballon éclairant - DR
Tournage de nuit avec ballon éclairant
DR

Quel souvenir gardez-vous du tournage ?

JMD : Un excellent souvenir : Outre le fait que j’avais à peu près tous les moyens possibles et inimaginables pour un chef opérateur – deux grues en permanence, deux 100 kW Softsuns, trois 50 kW… –, j’ai aussi découvert deux jeunes comédiens principaux incroyables dont l’un des deux, Chao Fong, ne parlait que chinois, et qui a appris l’anglais au fur et à mesure pour communiquer directement avec nous... Cette relation très forte, cette implication incroyable dans le film entre gens de différentes cultures, c’est sans doute ce qui me reste de ce long tournage en Chine.

Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC.