Festival de Cannes 2015
Le directeur de la photographie Sylvain Verdet parle de son travail sur "Ni le ciel ni la terre", de Clément Cogitore
Un homme disparaîtQuelle est la genèse de ce premier long métrage ?
Sylvain Verdet : Le film a mis presque quatre ans à se concrétiser... Mais comme beaucoup d’autres premiers films, il me semble ! Le scénario était très fouillé, puissant et très bien écrit... Clément est un bosseur acharné. Le film a fini par se financer grâce au travail de la production (Kazak Productions, Jean-Christophe Reymond) qui bénéficie, avec Clément – et ses précédents courts métrages –, d’une certaine réputation. Mais ça reste un petit budget (2 M€) pour lequel on a dû faire des choix radicaux dès le début.
Aviez-vous des films de guerre en tête ?
SV : Une de nos influences a été le documentaire Restrepo, de Sebastian Junger et de Tim Herrington. Un témoignage datant de 2010, saisi sur une durée d’un an au contact d’un bataillon américain placé aux avant-postes d’une vallée afghane. Le film a été très instructif, notamment pour le dessin du camp et des postes de garde…, en tout cas pour toutes les questions de déco.
Grâce à lui, on a pu s’écarter un peu de l’avis des conseillers militaires pour pouvoir rendre, par le décor, l’ambiance particulière de la vie en commun d’un groupe d’hommes pendant des mois... Comment ils s’adaptent à la situation, et surtout comment les installations, le campement, les gens se modifient au fil du temps. Malgré le peu de temps de prépa in situ et le manque d’argent, il ne fallait surtout pas qu’on puisse douter du réalisme de la situation…
Quel a été le choix principal de mise en scène ?
SV : Le désir de Clément était de pouvoir, à tout moment, tourner à 360° quel que soit le décor, et il ne voulait pas qu’on utilise de projecteurs ni que les sources de lumière soient intégrées dans le décor. Qu’on puisse tout filmer en quelque sorte... Il voulait être complètement immergé dans le décor.
Donc il a lui-même trouvé cette vallée un peu idéale qui correspondait parfaitement à la dramaturgie du film et aux différentes scènes qu’on avait à mettre en images. Au Maroc, le massif de montagnes au nord de Ouarzazate s’est rapidement imposé comme la solution à la fois économique et artistique pour recréer l’Afghanistan. Malheureusement, cette vallée idéale était trop loin de tout pour la logistique.
Du coup, on a dû revoir la chose et rapatrier les décors dans une zone plus accessible. On n’a pas pu respecter exactement cette volonté initiale du "décor total", mais finalement, comme toujours, on s’en est accommodé, et je trouve que le film n’en souffre pas.
Et le concept zéro projecteur ?
SV : Ça, on l’a gardé ! La lumière était composée essentiellement de fluos et de projecteurs à décharge, intégrés au camp, en collaboration avec le chef décorateur, Olivier Meidinger. Pour les scènes de nuit dans les postes de garde, on a dérogé un peu à notre règle en utilisant deux ou trois panneaux de LED (type Cineroid) sur batterie pour décrocher les personnages et les arrière-plans nocturnes... Sinon, Clément avait évidemment prévu, dès le scénario, que la totalité des plans en extérieur nuit serait tournée grâce à des caméras de surveillance militaire comme les systèmes d’amplification lumineuse ("night vision") et les systèmes de caméra thermique.
Comment avez-vous fait pour ces séquences ?
SV : Clément voulait quelque chose de très réaliste, donc on a dû bricoler des systèmes existants pour pouvoir filmer à travers. Par exemple, on a fixé une caméra Black Magic Pocket sur un rail pour filmer à travers des jumelles. La caméra thermique était une FLIR, une marque américaine spécialisée dans ce domaine d’enregistrement. Ça a été très difficile de s’en procurer une car on était à la limite du matériel militaire. Pour les systèmes à amplification de lumière, on a composé avec un modèle plus grand public, et là encore pour filmer au travers...
Comment était composée votre équipe image ?
SV : Jusqu’à une semaine du tournage, en septembre 2014, j’étais parti sur une configuration assez extrême puisque j’étais prêt à faire le film sans assistant caméra. Avec seulement un électricien, qui pourrait m’aider aussi bien pour le câblage du camp que pour tendre un réflo et préparer les bidouilles LED. Et puis, la production a préféré m’adjoindre un assistant opérateur et je pense que Jean-Christophe Reymond a eu raison. L’idée étant que je puisse me libérer un peu de la technique afin d’accompagner davantage Clément dans son travail de mise en scène. Du coup, vu que le dispositif technique était très très simple, nous avons eu vraiment la possibilité de travailler ensemble, avec Clément et la scripte, Cécile Rodolakis.
Et le suivi des rushes ?
SV : On a tourné au nord de Ouarzazate, pendant cinq semaines entre le 15 septembre et la fin du mois d’octobre. Pour le contrôle des rushes, une réflexion s’est engagée avec la prod’ avant de partir, et on a jugé que c’était beaucoup plus pertinent de faire venir avec nous "le labo" que de dépenser de l’argent en logistique. J’avais donc un étalonneur sur place qui traitait quotidiennement les rushes sur console Scratch. Mickael Commereuc faisait les "back-up", l’étalonnage des rushes et la synchro. On pouvait visionner chaque soir le résultat du travail de la veille, sur un écran calibré, et juger quasiment du rendu final.
Quelle caméra avez-vous choisie ?
SV : Comme nous voulions que le film soit tourné à l’épaule, à l’origine sans pointeur, on a choisi avec Clément la caméra Sony F55. C’est la seule à offrir un mode "Crop 16" sur le capteur qui permet de tourner avec des optiques S16 mm. Dans cette configuration, on perd un peu en définition mais on gagne aussi en profondeur de champ.
C’était parfait pour Clément qui voulait une esthétique presque documentaire. Presque tout a été fait avec un zoom Zeiss 11-110 mm, qui est un peu rétro… J’ai fait des essais sur place lors des repérages, et le rendu nous a plu. On a filmé en RAW, ce qui nous a laissé une marge très appréciable lors de l’étalonnage.
J’ai aussi emporté une série Zeiss S16 High Speed pour les quelques séquences de nuit dans les postes de garde, afin de gagner un peu de diaph et de distance minimum de point. On était donc très léger… l’intégralité du "matos" image tenant dans le coffre d’un Kangoo…
(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)
Ni le ciel ni la terre
Réalisation : Clément Cogitore
Production : Jean-Christophe Reymond - Amaury Ovise
Décors : Olivier Meidinger
Son : Fabrice Osinski - Julie Brenta - Vincent Cosson
Montage : Isabelle Manquillet
Musique : Eric Bentz