Main basse sur le cinéma italien : le gouvernement de Silvio Berlusconi a entrepris une grande lessive

La Lettre AFC n°107

Les professionnels du cinéma italien ont décidé de monter au créneau à la suite de la nomination intempestive, début janvier, du sociologue Francesco Alberoni en remplacement du très respecté critique Lino Micciché, ancien directeur de la Mostra de Venise, à la direction de l’illustre Centro sperimentale de Rome (devenu l’Ecole nationale de cinéma depuis quelques années). Le mandat de Micciché expirait début avril. Le nouveau gouvernement a décidé d’anticiper son remplacement. Francesco Alberoni, installé par Berlusconi, « n’a pas les compétences spécifiques qui devraient être la condition essentielle pour diriger un institut comme l’Ecole nationale de cinéma », affirment Ettore Scola, Francesco Rosi, Wilna Labate ou encore Silvano Agosti.

L’affaire Micciché préoccupe d’autant plus qu’elle fait suite au remplacement d’Angelo Guglielmi à l’Istituto Luce, et à celui de Paolo Baratta à la présidence de la Biennale d’art de Venise dont le mandat arrivait également à échéance en avril. La nomination de l’ancien patron de l’Eni (Société nationale des hydrocarbures) et de Telecom Italia Franco Bernabé, proche de Berlusconi, à la place de Baratta, a aussi entraîné le départ d’Alberto Barbera, directeur de la Mostra... Le directeur de Cinecittà Holding, Felice Laudadio, serait ensuite en ligne de mire ! « Derrière cette offensive, le pouvoir veut affirmer l’aspect industriel du cinéma aux dépens du cinéma comme art, celui des auteurs », confirme Luciana Castellina, qui a préféré démissionner spontanément de la présidence d’Italiacinema, l’organisme chargé de promouvoir les pellicules transalpines à l’étranger.

Luciana Castellina a quitté son poste après que le ministre des Biens culturels, Giuliano Urbani, s’est interrogé sur l’« utilité » d’Italiacinema, préférant partir pour sauver l’association, craignant que le gouvernement n’en bloque les financements publics.
Le cabinet Berlusconi, qui souhaite accorder plus de place au privé, a déjà taillé dans certaines dépenses culturelles, dont le Fonds unique pour le spectacle qui a perdu plus de 15 000 euros. « La nouvelle majorité cherche avant tout à occuper la place et à transformer la culture en entreprise plutôt que de l’utiliser comme un instrument idéologique. Cet assaut du cinéma est très emblématique car c’est un secteur qui a toujours été de gauche. Pour la droite, c’est une forme de revanche », analyse Vincenzo Vita le député démocrate de gauche, ancien secrétaire d’Etat à la Communication. Mais alors que le conseil d’administration de la télévision publique est sur le point d’être renouvelé, il constate avec amertume : « Avec la Rai, le cinéma et la Biennale, ils auront mis la main sur les institutions culturelles italiennes les plus importantes. »
(Libération, 23 janvier 2002)