Eponine Momenceau revient sur le tournage entièrement nocturne d’"Une nuit", d’Alex Lutz

Par Brigitte Barbier, pour l’AFC

C’est comme acteur et réalisateur que l’humoriste, metteur en scène et auteur Alex Lutz présente à Un Certain Regard son dernier film, Une nuit. Comme son titre l’indique, l’histoire de son quatrième long métrage suit les déambulations d’un couple - belle performance d’acteurs avec Karin Viard à ses côtés - durant une seule nuit. Eponine Momenceau, la directrice de la photographie qui avait été nommée aux César en 2015 pour son premier long métrage à la caméra - Deephan, de Jacques Audiard (Palme d’Or 2015) -, nous parle de l’image à inventer pour ce film, entièrement tourné du crépuscule à l’aube. Une nuit est présenté Hors compétition en clôture de la section Un Certain Regard au 76e Festival de Cannes. (BB)

Paris, métro bondé, un soir comme les autres.
Une femme bouscule un homme, ils se disputent. Très vite le courant se transforme en désir brûlant. Les deux inconnus sortent de la rame et font l’amour dans la cabine d’un photomaton.
La nuit, désormais, leur appartient.
Dans ce Paris aux rues désertées, faudra-t-il se dire au revoir ?
Avec Karin Viard et Alex Lutz.

Un film entièrement de nuit, pour un opérateur, c’est à la fois un cadeau et un challenge, non ?

Eponine Momenceau : Oui, c’est un challenge excitant et je dirais même une performance ; performance pour les comédiens et pour l’équipe technique. Nous étions sur le rythme de nuit pendant les trois semaines du tournage. C’était court pour tourner un long métrage - en été avec le soleil qui se lève à 5h ! - et long d’être sur ce rythme… J’étais toujours émue de voir le petit matin qui se lève quand je rentrais du tournage… Une parenthèse enchantée qui contredit la fatigue de ce rythme décalé.
La nuit crée une atmosphère très intime, très concentrée, nous n’avons pas la même perception de ce qui se passe autour de nous. Et puis l’univers visuel de la nuit se décline de plein de manière, c’est très créatif.


Une nuit s’ouvre sur une séquence très punchy dans le métro, ce sont des plans volés ?

EM : Non, pas du tout ! C’est vrai que ces images donnent l’impression d’être prises sur le vif, avec une caméra à l’épaule qui va chercher des visages, des détails… Mais tout est mis en scène, avec des figurants. Pour la scène dialoguée dans la rame de métro, nous sommes à deux caméras, à l’épaule également.


Une autre particularité du film est que les comédiens déambulent en se parlant pendant une grande partie du film, comment avez-vous filmé ces déplacements ?

EM : C’est exactement la difficulté de ces plans : ils déambulent ET se parlent ! On a fait beaucoup de plans à l’épaule, nous n’avions pas de rail, juste une dolly, sur laquelle on plaçait une source pour éclairer les visages. Parfois la lumière était perchée lorsque j’étais à l’épaule.

Alex Lutz et Karin Viard
Alex Lutz et Karin Viard


Pour les dialogues, il était important de voir leurs visages, nous avons tourné à deux caméras pour les longues séquences dialoguées souvent dans deux valeurs de plan. On a, je crois, exploré toutes les variations possibles pour contrebalancer ce principe de champ-contre-champ, en proposant parfois un pano de l’un à l’autre ou des gestes, des détails que la deuxième caméra allait chercher.


Un dispositif lumière avait-il été décidé en amont pour l’éclairage des rues ?

EM : Non, je n’avais pas envie d’avoir un dispositif, pour ne pas créer trop de redondances, comme des rues toujours éclairées au sodium, par exemple. Nous souhaitions réenchanter notre regard sur cette ville, alors qu’il y a beaucoup de films avec des nuits à Paris et aussi beaucoup de films d’amour de nuit à Paris ! Nous souhaitions changer le regard sur cette ville que l’on connaît, que ces rues soient reconnaissables mais différentes.
Parfois Alex repérait tout à coup un coin de rue qu’il aimait bien - un coin parfois très sombre ! - Marianne Lamour, la cheffe électricienne, était très réactive et inventive, dans des situations de déplacements inattendus.


Y-a-t-il une part d’improvisation aussi dans le découpage ?

EM : Avant de mettre en place une scène, les comédiens prenaient toujours un temps pour la retravailler. Le découpage théorique évoluait lors de la mise en place et même quand on tournait. Comme Alex et Karin connaissaient bien le texte, ils s’autorisaient des digressions qui donnaient un côté très naturel à leurs dialogues. J’ai pris beaucoup de plaisir à filmer de tels acteurs, leur performance, leur jeu, leur beauté.

Quels étaient les désirs d’images du réalisateur pour toutes ces nuits qui n’en sont qu’une ?

EM : Alex aimait beaucoup les peintures de James Whistler et Stephen Magsig dans lesquelles on observe des taches de couleurs en arrière-plan. J’ai beaucoup tourné en longue focale et souvent avec un diaph très ouvert pour avoir des arrières-plans colorés et abstraits, qui permettaient de créer une intimité entre les personnages qui surgissent du noir ou d’une peinture de la nuit.

A g. : "Nocturne in Black and Gold : The Falling Rocket", de James Whistler - A d. : différentes références peintures
A g. : "Nocturne in Black and Gold : The Falling Rocket", de James Whistler - A d. : différentes références peintures


Après la nuit urbaine, nous arrivons au bois de Boulogne, avec une intervention lumineuse tout autre, expliquez-nous vos choix.

EM : Nous étions toujours à la recherche d’une diversification pour la lumière tout en essayant d’y apporter du sens. Pour créer une ambiance autour d’eux qui continue à les isoler dans leur couple, nous avons mis en place un ballet de phares de voitures. Ces jeux de phares racontent la vie nocturne au bois de Boulogne bien sûr et les faisceaux de lumière qui les éclairent fortement renforcent le désordre ambiant versus leur volonté d’être seuls au monde.
Il y avait aussi des grosses sources assez loin en contre-jour, des projecteurs plus petits, plus près de nous pour faire exister des réverbères.

Il y a encore une autre ambiance visuelle, celle de la pelouse avec le cheval blanc.

EM : Alors là, on partait d’un endroit totalement noir, dans un environnement naturel qui tranchait radicalement avec le milieu urbain ! J’avais en tête des nuits un peu surréalistes, pour lesquelles on ne sait pas trop si ce sont vraiment des nuits. Toujours dans l’idée de donner une identité forte à chaque lieu, j’ai imaginé pour la pelouse une lumière un peu onirique en poussant l’effet lune pour le rendre encore plus magique. Pour cela, une source très forte, en rebond qui donne une seule direction.

Alex Lutz
Alex Lutz


Comment Alex Lutz, acteur et réalisateur, vérifiait sa mise en scène, le jeu des comédiens, votre image ?

EM : Alex s’appuyait sur l’avis précieux d’Hadrien Bichet, l’assistant réalisateur et co-scénariste du film. Un dialogue basé sur la confiance s’était instauré avec Alex, Hadrien, la scripte Jeanne Privat et moi-même. Il regardait les rushes sur le serveur mais ce n’était pas systématique. C’est un film qui s’est fabriqué au fur et à mesure, dans une énergie presque basée sur l’instinct, autant pour les comédiens que pour l’image. Un beau moment de création.

(Propos recueillis par Brigitte Barbier, pour l’AFC)