Camerimage célèbre les cent ans du Studio Disney

Par Margot Cavret pour l’AFC

Malgré l’hommage au frères Quay et à leur stop-motion expérimental ; malgré le chef opérateur à l’honneur Peter Biziou ne manquant pas une occasion de rappeler que son amour du cinéma est né de la magie qui opérait sur lui enfant dans le studio d’animation de son père ; malgré une projection de Pink Floyd:The Wall et son sublime entrelacement entre animation et prise de vue réelle ; malgré Rodrigo Prieto essayant savamment de faire passer des êtres humains pour des jouets dans Barbie ; malgré ces innombrables itérations pour honorer le cinéma d’animation, l’événement le plus marquant pour cette technique cette année à Camerimage reste néanmoins la célébration des 100 ans du Studio Disney.

Une riche rétrospective a occupé une bonne partie des créneaux de projection de la Fondation Tumult, à la découverte des grands succès de la firme. La diffusion dans leur version polonaise de ces films semblait d’ailleurs viser un public plutôt local et familial que les festivaliers internationaux. Vendredi, la rétrospective s’est clôturée par la projection-événement du film La Reine des neiges, toujours en version polonaise, et accompagné de la présence des deux doubleuses du film. Cependant, le spectateur anglophone attentif pouvait également participer aux réjouissances : mercredi soir, une rétrospective de courts métrages a permis de balayer cent ans d’histoire du cinéma d’animation.

Animation et prise de vues réelles ont suivi des trajectoires parallèles. Ces arts jumeaux, nés ensemble à la fin du 19e siècle (certains diront même que l’animation était de quelques années l’aînée, grâce au Théâtre optique d’Emile Reynaud), ont été confrontés au cours de leur Histoire aux même obstacles et aux mêmes évolutions techniques. Ce n’est qu’une petite décennie après que le cinéma en prise de vues réelles a commencé à revendiquer son statut d’œuvre d’art que Walter Elias Disney décida de mener ce même combat pour l’animation. A l’époque cantonnée au cartoon divertissant d’avant-programme, l’animation, sous l’emprise de Walt Disney, atteint un niveau technique supérieur, se dote d’un fort sens de la narration, et révèle une formidable capacité à véhiculer des émotions.
Le programme concocté pour la rétrospective court métrage commence en 1922, alors que le Studio Walt Disney n’existe pas encore. Cette version courte de Cendrillon est produite par le studio Laugh-O-Gram, première entreprise fondée par Disney, qui fit faillite au bout d’un an. Le court métrage est surtout présenté par contraste, pour que l’audience puisse se figurer ce qui était attendu de l’animation à l’époque : une pastille courte, simple et divertissante, avec une narration peu approfondie, voire inexistante. Difficile d’imaginer que c’est le même conte qui, adapté trente ans plus tard, rencontrera l’immense succès qu’on lui connaît.


Le film suivant est Alice’s Wonderland, tout premier film produit par le Studio Walt Disney, en 1923. L’animateur quitte le Kansas pour l’occasion, et installe son nouveau studio d’animation à Hollywood, dans l’espoir de s’y faire une place parmi les grandes majors, et de faire respecter l’animation comme une branche noble du cinéma. Le film est le pilote de la série "Alice Comedies", dont la spécificité est de mêler animation et prise de vues réelles. Walt Disney brouille ainsi les frontières, et peut s’extraire du classique modèle cartoon, sans manquer de s’illustrer par une remarquable prouesse technique.


La relative réussite de la série "Alice Comedies" est vite éclipsée par le retentissant succès de Oswald le lapin chanceux, première égérie du studio, souvent décrit comme l’ancêtre de Mickey Mouse. Dans Trolley Trouble, on décèle déjà un grand sens de la perspective et du mouvement.


En 1928, c’est la consécration. Suite à la perte des droits de Oswald, Walt Disney crée Mickey Mouse, qui fait sa première apparition dans Steamboat Willie. Sorti un an après Le Chanteur de jazz, Steamboat Willie est le premier film d’animation sonore. Comme en prise de vues réelles, Walt Disney exploite pleinement cette nouvelle technologie, en proposant un film musical.


Très peu de temps après, dès 1933, la couleur arrive dans les production Disney. Des arbres et des fleurs est le premier film, toutes techniques confondues, à utiliser le procédé Technicolor trichrome.


La série "Silly Symphonies", dont fait partie Des arbres et des fleurs, sert de vaste laboratoire d’expérimentations scénaristique, esthétique et technique, avant la production du premier long métrage du studio : Blanche-Neige, 1937. Dans Le Vieux moulin, sorti plus tôt la même année, le studio utilise pour la toute première fois son procédé de caméra multiplane, donnant de la profondeur à l’animation. Utilisant l’outil avec brio, le court métrage est l’un des premiers en animation à pouvoir exploiter toutes les possibilités esthétiques du flou. Ce procédé révolutionnaire sera en grande partie responsable du succès de Blanche-Neige.


Parallèlement, le studio poursuit le développement de l’univers de Mickey, et l’enrichit d’autres personnages iconiques. Dans Nettoyeurs de pendules, également sorti en 1937, on retrouve Donald et Goofy dans un comédie illustrant encore le merveilleux sens du rythme qui caractérise le studio.


La rétrospective propose également le visionnage du court métrage La Roulotte de Donald (1950) dans lequel on retrouve les adorables filous Tic et Tac. Le présentateur commente avec humour : « Là où Mickey est une vision idéalisée de soi-même, Donald est simplement celui qu’on est tous ».


La deuxième phase de la rétrospective se clôture par le moins connu Lambert le lion peureux (1952), rassemblant tous les thèmes phares du Studio Disney : des animaux anthropomorphes, une mère aimante, de l’humour, une conclusion prônant la tolérance, et une scène chantée !


La troisième et dernière phase de la présentation propose de découvrir des film de l’époque moderne. Elle présente la série "Short Circuit", qui permet à tout employée des studios de déposer un scénario, et de le réaliser en cas de sélection. C’est l’occasion de découvrir le sublime Going Home (2021).


Comme un écho du passage de la pellicule au numérique en prise de vues réelles, l’animation a également subi le chamboulement majeur de l’animation 3D. Le studio, comme tous les autres, a connu quelques échecs dans ses premières productions en 3D, mais s’est désormais placé comme l’un des plus performants du genre. En témoignent par exemple Raiponce, dont le défi d’animer les cheveux est brillamment relevé, ou le plus récent Encanto, dont la subtilité des froissements de tissus est une prouesse de délicatesse et de précision. Cependant, comme la prise de vues réelles avec la pellicule, l’animation s’est bien vite montrée nostalgique du crayonné 2D, et a tenté d’en retrouver la sensation sans renoncer à ses nouveaux procédés techniques. Disney a ainsi créé des outils permettant de retrouver la fragilité et la simplicité du dessin 2D. Afin d’illustrer cette technique, la rétrospective propose Le Festin, qui remporte en 2015 l’Oscar du Meilleur court métrage (c’est d’ailleurs à ce jour la seule fois où le studio a remporté la statuette du court et du long métrage la même année, avec Les Nouveaux héros).


Cette dernière partie se conclue par Paperman, également récipiendaire de l’Oscar du court métrage d’animation en 2013, et utilisant la même technique de 3D à effet 2D, accompagnant un élégant noir et blanc ponctué de rouge, donnant de la richesse et de la douceur au scénario.


Pour conclure cette rétrospective, l’audience est invitée à découvrir le tout nouveau court métrage Il était un studio... produit pour célébrer le centenaire de la firme, et accompagner la sortie de Wish, leur nouveau long métrage. Le film est un hommage à 100 ans d’histoire, mettant en scène 543 personnages des longs et courts métrages l’ayant ponctuée. En 100 ans d’existence, Walt Disney Company a su relever tous les défis techniques, embrasser toutes les innovations, et réaliser le rêve de Walter Elias Disney : faire du cinéma d’animation un art.

(Compte rendu rédigé par Margot Cavret pour l’AFC)