Compte rendu de la conférence BVK et CSI sur la question du look d’un film

Par Margot Cavret pour l’AFC


Pour sa conférence cette année à Camerimage, la BVK, association allemande des DoP et membres de l’équipe caméra, s’associait à la CSI, association internationale des étalonneurs, pour aborder la question du look et son suivi par le chef opérateur ou la cheffe opératrice et le ou la coloriste, de la préparation à la postproduction. Pour ce faire, les organisateurs Kevin Shaw, CSI, et Dirk Meier, BVK, ont invité Steve Yedlin, ASC, Ari Wegner, ACS, ASC, et Pascale Marin, AFC, à échanger autour de leur façon d’aborder le look d’un film.

L’invité star de cette conférence est Steve Yedlin, qui a préparé une intervention technique très approfondie pour présenter l’outil qu’il s’est créé pour alimenter sa réflexion au sujet du look, et éliminer les étapes de la recherche qui sont les mêmes pour tous les films. Sa recherche commence dans le dialogue avec le réalisateur ou la réalisatrice, duquel il doit traduire des mots simples en notions techniques, et éliminer les superstitions. « On projette ce qu’on imagine sur des mots », explique-t-il, « quand j’entends "la magie du rendu film" ou "les peaux cinématographiques", ça ne veut rien dire, je dois réorienter la conversation vers des termes pratiques et simples, pour déterminer la voie émotionnelle de l’image. » Une fois extrait de cette conversation le look recherché, Steve Yedlin utilise le document qu’il s’est créé lui-même sur Nuke pour le mettre en pratique. « Ça me permet de comprendre réellement ce qui se passe », commente-t-il, « sur Resolve, il y a des tas de fonctions, mais on ne comprend pas réellement ce qui arrive à l’image quand on les utilise ».

Steve Yedlin en visioconférence - Photo Katarzyna Średnicka
Steve Yedlin en visioconférence
Photo Katarzyna Średnicka


Photo Katarzyna Średnicka


En appui sur un grand nombre d’images qu’il a extraites de ses précédents films, il regroupe des manipulations d’étalonnage générales, qu’il affine ensuite pour s’assortir à chaque nouveau projet sur lequel il travail. Un système de mot-clef lui permet de trouver l’image la plus adaptée pour ses essais de pré-étalonnage. « Si je sais qu’il va y avoir un costume rouge par exemple, je peux rechercher cette couleur, et faire mes essais sur une image appropriée. » Il regroupe des manipulations d’étalonnage dans des conteneurs, qu’il applique ensuite aux images. « Finalement, les mots qui ont été utilisés avec le réalisateur ou la réalisatrice sont traduits dans ces conteneurs, que je peux facilement appliquer sur les images tests. C’est de la philosophie traduite techniquement. » Le premier conteneur permet de ramener l’image sortie de capteur à un espace couleur ACES, puis les suivants lui permettent de transformer l’image à partir d’une image neutre. Il détail, par exemple, celui qu’il a créé pour le look film, composé de quatre éléments principaux : un vignettage de point, un halo sur les hautes lumières, une légère courbure de l’image évoquant l’image anamorphique et le grain. Chacun de ces paramètres peut être ajusté ou supprimé indépendamment, pour donner un look unique à chaque film. Ayant mis au point ce système tout au long de sa carrière, le chef opérateur gagne du temps en préparation, en connaissant parfaitement son outil. Il peut utiliser certains conteneurs tels quels, et n’ajuster que les éléments qui ont besoin de l’être, en fonction du look désiré et du matériel utilisé, avant d’aller essayer la LUT sur le terrain. Il conclue : « Même en tournant en pellicule aujourd’hui, les images sont soumises à une interprétation digitale. Il faut prendre le contrôle de cette interprétation, être impliqué et collaborer avec l’étalonneur ou l’étalonneuse ».

Photo Katarzyna Średnicka


Ari Wegner est ensuite elle aussi invitée à partager son point de vue sur la recherche du look en préparation. Elle explique avoir dressé une longue liste de tous les points visuels à discuter avec le réalisateur ou la réalisatrice, liste qu’elle met à jour régulièrement. « Le look est très important, c’est lui qui va caractériser l’expérience des spectateurs ou spectatrices. Il a le pouvoir de faire voyager dans le temps et dans l’espace, et de véhiculer des émotions. J’essaye toujours de faire comprendre au réalisateur ou à la réalisatrice qu’aimer le style d’un autre film ne suffit pas, il faut créer un look unique pour chaque film. » Elle rappelle également l’importance des autres départements sur l’image du film. « La couleur d’une voiture dans le fond a autant d’importance que le choix des optiques. Finalement, le choix de la caméra et des objectifs est un facteur minime, qui est surtout valorisé pour des questions de marketing. Le look ne concerne pas que le département image, il est le résultat d’une collaboration. Il est également dépendant du budget. N’importe quel film ne peut pas avoir n’importe quel look, mais chaque film peut trouver le bon look. Quand je prépare un film, ce n’est pas tant un look que je recherche qu’une philosophie de tournage, un concept, quelque chose de plus englobant qui va contenir, entre autres, le look. Dans Lady Macbeth par exemple, nous avions l’idée de surveillance, qui a orienté tous nos choix. Nous essayions toujours de mettre la caméra en hauteur et de centrer les images autant que possible. En intérieur, on évitait de filmer les fenêtres, pour renforcer l’impression d’enfermement. L’idée était de créer un attachement au personnage, qui deviendrait gênant pour les spectateurrices au moment où ce personnage commence à se comporter de façon critiquable, de créer des émotions contradictoires. Mais cette philosophie nous a aussi été dictée par la réalité du tournage, car nos décors d’intérieur et d’extérieur n’étaient pas situés au même endroit, et que nous n’avions que trois semaines de tournage donc que nous étions contraints au minimum de plans. Nous avons transformé les contraintes, et elles nous ont aidés à donner une esthétique au film. J’essaye également de trouver quelle esthétique convient le mieux à chaque réalisateurrice.

"Lady Macbeth" (2016)
"Lady Macbeth" (2016)


« S’il ou elle me dit ne pas trop aimer être encombrée par la technique, alors peut-être faudra-t-il favoriser une image plus dure, à l’épaule et en lumière naturelle, mais il faudra lui faire comprendre qu’il faut être disciplinée dans les horaires, pour pouvoir travailler avec la lumière du jour. C’est un dialogue à mettre en place, pour que chacune comprenne les besoins et les envie de l’autre, et qu’on puisse travailler ensemble et se soutenir mutuellement. » Interrogée sur sa relation avec l’étalonneur ou l’étalonneuse, elle complète : « J’essaye toujours de l’impliquer dès la préparation, pour discuter des challenges, et me rassurer aussi sur certains problèmes que je pourrais voir arriver. Il ou elle me guide, et est mon partenaire technique et visuel en préparation ».

Pascale Marin, AFC, entre Kevin Shaw, CSI, et Dirk Meier, BVK - Photo Katarzyna Średnicka
Pascale Marin, AFC, entre Kevin Shaw, CSI, et Dirk Meier, BVK
Photo Katarzyna Średnicka


Enfin, Pascale Marin a également pu partager son expérience et sa méthodologie. « Je travaille souvent sur des premiers films, et je rejoins tout à fait les témoignages précédents sur le travail du dialogue avec le réalisateur ou la réalisatrice pour extraire les informations concernant le look. Ils ou elles n’ont pas toujours le bon vocabulaire, il faut donc creuser et être un auditeur attentif. Comme Steve, j’entends souvent des phrases préconçues qui n’ont pas vraiment de sens, et je dois trouver un moyen d’orienter la conversation vers des mots qui seront significatifs pour moi. En fonction du niveau de technicité du réalisateur ou de la réalisatrice, j’essaye d’être pédagogue, pour qu’il ou elle puisse s’impliquer et se sentir en maîtrise de leur film. Le choix de la caméra n’est que secondaire, et les images que je fais en test me permettent surtout d’avoir une première base commune de conversation avec le réalisateur ou la réalisatrice. Je m’arrange pour avoir toujours un temps de préparation, même sur les plus petits budgets, pour être sure de partir dans la bonne direction. J’essaye toujours d’impliquer l’étalonneureuse dès la préparation. Avoir un look qui plaît à tout le monde dès le tournage, grâce à une LUT, c’est un gain de temps précieux. J’aime qu’on me dise qu’on ne peut pas reconnaître mon style, car je change ma philosophie pour chaque projet. »

Pascale Marin, AFC - Photo Katarzyna Średnicka
Pascale Marin, AFC
Photo Katarzyna Średnicka

Cliquer sur ce lien afin de retrouver les explications détaillées de Steve Yedlin sur le travail du look.