Le directeur de la photographie Pierre-Hubert Martin parle à Panavision du tournage du "Gang des bois du temple", réalisé par Rabah Ameur-Zaïmeche

par Panavision Alga Contre-Champ AFC n°349


Pierre-Hubert Martin, directeur de la photographie du Gang des bois du temple, réalisé par Rabah Ameur-Zaïmeche, nous parle du look particulier du long métrage, tourné en zooms Primo.

Comment avez-vous été impliqué dans le projet ?

Pierre-Hubert Martin : C’est en accompagnant Irina Lubtchansky, AFC, tout d’abord comme stagiaire caméra sur Les Champs de Mandrin puis comme 1er assistant opérateur sur Histoire de Judas, que j’ai eu l’opportunité de rencontrer Rabah Ameur-Zaïmeche.

La méthode de travail très singulière de Rabah le pousse à s’entourer le plus possible des mêmes collaborateurs. L’ingénieur du son, Bruno Auzet, et le mixeur, Nikolas Javelle, font partie de son équipe depuis son premier film, en 2001, Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ?.
C’est donc assez naturellement, Irina étant engagée sur un autre film, et moi-même passé chef opérateur entre-temps, qu’il m’a proposé d’éclairer son dernier film.

Comment décririez-vous le look du projet ?
PHM : Bien qu’il emprunte son esthétique aux polars et qu’il utilise certains ressorts picturaux des films de genre, Le Gang des bois du temple conserve néanmoins fortement la particularité du cinéma de Rabah, dans sa manière de laisser une grande place au surgissement du réel.


Le film a été tourné entièrement en décor naturel, dans la Cité du Grand Parc, à Bordeaux.
A partir de ce décor, pour chaque plan, nous avons recherché le contraste, la sous-exposition, l’angle-franc, en hommage aux films noirs.
Nous souhaitions également travailler au maximum avec la lumière naturelle et l’inclinaison rasante du soleil d’automne. Le tournage s’est déroulé en novembre 2022, nous offrant des contrastes naturels très beaux.


En ce qui concerne les couleurs, le film est volontairement marqué par la tonalité naturelle des lieux. Son atmosphère grise, parfois sans couleur, voire un peu terne, loin de nous déplaire, a servi le film. Il s’agissait pour nous de suivre le scénario et son aspect naturaliste, et de ne pas sombrer dans une esthétique spectaculaire. Nous avons renforcé ce choix à l’étalonnage en utilisant une LUT peu saturée.


Cette direction principale ne nous a malgré tout pas empêchés, pour certaines séquences choisies, d’oser une lumière soudainement très colorée. Je pense à la scène de la boîte de nuit par exemple. La couleur, parce qu’elle est rare dans le film, provoque un effet puissant lorsqu’elle apparaît. Au milieu de la grisaille, comme l’espoir, soudain, elle transperce l’espace et les corps. L’art du contraste de Rabah…

Y a-t-il des références visuelles particulières qui vous ont inspiré ?

PHM : J’ai revu plusieurs films de Jean-Pierre Melville, pour m’immerger dans l’atmosphère glaciale et rugueuse qui nimbe ses films.
Mais plus inconsciemment, certains plans empruntent plus à des références personnelles liées à la peinture. Comme la peinture flamande, pour la composition du cadre et la place de l’obscurité dans une image.


Ou l’impressionnisme pour l’utilisation singulière de la couleur.

Le Ballon, de Felix Vallotton.
Le Ballon, de Felix Vallotton.



Qu’est-ce qui vous a amené chez Panavision pour ce projet ?

PHM : L’approche du cinéma de Rabah est très atypique, assez unique. Malgré un scénario très construit et extrêmement précis, on découvre la plupart du temps le film en le tournant.
Rabah résume cela très bien : « Un film ne dépend pas seulement de notre travail, il a sa propre trajectoire, et naît parfois de sa propre volonté », dit-il.

Afin de permettre une telle trajectoire, peu d’information technique circule sur le plateau. Il n’y a pas de plan de travail, et le film se décide au jour le jour.
Il arrive parfois que nous tournions une scène sans savoir clairement où elle se situe dans le scénario.
Il n’y a jamais de répétition, ni pour le jeu ni pour la mise en scène. Ainsi, chacun doit toujours être disponible, prêt à tourner, n’importe quand et n’importe où, afin de laisser advenir les choses comme elles sont, d’accueillir l’imprévisible.

Pour pouvoir s’écarter ainsi du récit, le dispositif technique se doit d’être particulièrement léger... mais, indiscutablement, l’outil qui a permis cette grande liberté est le zoom Panavision Primo 24-275 mm.
Principale optique du tournage, elle nous a offert une grande amplitude de travail, celle de pouvoir réajuster le cadre, en fonction de ce qui se passait sur le vif, d’improviser à l’image, comme les acteurs.

Personnellement, et ce grâce aux nombreuses années passées aux côtés d’Irina, j’ai une affection particulière pour ce zoom.
C’est un outil incroyable dont j’apprécie pleinement la texture douce et précise, sa continuité parfaite de diaph sur l’ensemble de la plage, la structure narrative de ses flous...
Comme très souvent en Primo, je retrouve ce sentiment agréable que l’outil est pensé pour raconter une histoire, et pas seulement pour mettre en avant un aspect purement esthétique.

Pour les séquences à l’épaule nous avons utilisé son petit frère : le zoom Primo 18-90 mm.


Qu’est-ce qui vous a attiré dans les objectifs spécifiques que vous avez choisis ?

PHM : Nous souhaitions travailler l’ombre et les contrastes, en hommage aux films noirs, et à la fois conserver la douceur qui caractérise les films de Rabah, et sa manière très humaine de considérer ses personnages-acteurs. Dans ce film, il est question, dans un environnement urbain assez dur, de montrer qu’il existe une solidarité, un sens de l’amitié et la possibilité d’un vivre ensemble.
Nous étions très attachés à retranscrire au mieux visuellement ces sentiments, à créer une texture de l’image et de la lumière à la hauteur de ce point de vue.
Le choix des optiques et des filtres de diffusion nous ont permis d’aller dans ce sens.


Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir directeur de la photographie et qu’est-ce qui vous inspire aujourd’hui ?

PHM : Indéfectiblement, l’amour du cinéma et de la mise en scène. Chaque film est une rencontre forte et unique avec un réalisateur ou une réalisatrice. Grâce à ces rencontres, j’ai le sentiment de découvrir le monde sous un regard toujours différent, d’appréhender la manière de représenter la vie au cinéma sous des formes multiples, surprenantes, qui m’enrichissent professionnellement et humainement, et m’ouvrent des perspectives. Travailler avec Rabah est une source de joies et de surprises. Sa grande liberté, sa cohésion de groupe, comme une troupe, m’enchante.

Rabah a une acuité visuelle très forte. A l’étalonnage, il m’a énormément appris en suggérant à certains endroits de rehausser une teinte, un contraste, un détail qui nous avait parfois échappé avec l’étalonneuse, Evy Roselet, précieuse collaboratrice, révélant encore mieux l’intensité d’une couleur, ce qui, à mon grand étonnement, et admiration, permettait de souligner encore mieux l’émotion du plan. Je ne pensais pas cela possible, mais je l’ai vraiment ressenti.