Les Chevaliers du ciel

Pascal Lebègue nous a fait parvenir la seconde partie d’un texte publié dans la Lettre 149 de décembre 2005.
Relire la 1re partie de l’article de Pascal Lebègue sur Les Chevaliers de ciel
Relire un article d’Eric Dumage sur Les Chevaliers du ciel

Départ pour Orange et la Provence

Pascal Lebègue, AFC
Pascal Lebègue, AFC

Le tournage sur la base aérienne d’Orange est pour moi le début des scènes qu’on éclaire et d’une longue succession de décors naturels. Autrement dit, le moment de restituer au réalisateur l’ambiance et la qualité d’image qu’il désire : du contraste, de la brillance, une lumière transversale sur les comédiens, un contre ou un décrochement si nécessaire. J’allais oublier son goût très marque pour les tons de peau super chauds. C’est du classique, mais ça donne une ligne directrice et correspond à la référence lâchée trois mois plus tôt par Gérard Pirès : Bad Boys 2, que je prends désormais un peu moins pour une seule provocation.

On retrouve ici l’équipe des prises de vues aériennes : Eric Meillan qui a accumulé plus d’heures de vol que les pilotes de l’armée en deux ans... et ça se voit...
Eric Dumage, à qui l’on doit d’avoir tourné dans les bonnes heures, en aérien. Ce qui a nécessité des autorisations spéciales des ministères concernés, et pas mal de plaintes des gens du Luberon. Nous nous croisons matin et soir, par conséquent, car ils rentrent de leur vol matinal lorsque nous commençons notre journée : un coup d’œil rapide a leur Combo, au pied du mirage équipé du container-caméra et on se quitte pour la journée. Pas toujours facile de ramener Pirès sur notre plateau lorsqu’il a commencé à visionner les plans de Meillan. C’est motivant de voir Gérard s’enthousiasmer à ce point : dans ces moments, il retrouve vraiment son jouet.

Gérard Pirès et son conseiller, le commandant Stéphane Garnier
Gérard Pirès et son conseiller, le commandant Stéphane Garnier

Avec Pirès, il m’a semblé entrer dans un système qu’il reconduit et affine de film en film : recherche de cette même qualité d’image, des goûts ou des répulsions très marquée, utilisation systématique du décor naturel, steadicam toujours prêt, et une revendication a l’improvisation et a ne se déterminer sur le découpage qu’au jour et sur le lieu du tournage. Plus un goût pour les courtes focales que je ne lui connaissais pas par le passé.

Autant dire qu’il faut trouver sa place dans ce système, et s’y plaire plutôt que le prendre à rebrousse poil. Pas facile tous les jours, ni pour moi, ni pour l’assistant(e) réalisateur !

Il y a aussi les fidèles, incontournables de l’équipe Pirès, heureusement son exigence à tous niveaux m’a permis de faire de vraies rencontres ou de retrouver de vieilles connaissances, tous gens de qualité, passionnés par leur métier.

Eric Dumage, AFC
Eric Dumage, AFC

Dumage aux prises de vues aériennes, et directeur photo en seconde équipe, Eric Meillan, responsable du tournage en vol des mêmes PDVA, Véronique Lange au montage, Bonnichon, bricoleur de génie, aux effets spéciaux mécaniques, Georges Demétrau, effets spéciaux pyrotechniques, Robert Gonzalès et son équipe de machinistes.

Roberto de Angelis, superbe opérateur Steadicam, qui cadre aussi la caméra principale.

Etant donnée la nature du projet, je sais que je dois m’entourer d’une équipe solide à la caméra : ce n’est pas tant de faire le point qui sera difficile mais plutôt de faire " valser " les caméras, de ne pas se faire attendre, et de s’organiser pour les déplacements ou passages en douane (Djibouti tombe en plein milieu des 14 semaines de tournage, pas évident lorsqu’on sait qu’il n’y a qu’un vol direct par semaine !)

Les assistants caméra : Sébastien Leclerc, Luis Artaega, Pénélope Pourriat et Marion Koch
Les assistants caméra : Sébastien Leclerc, Luis Artaega, Pénélope Pourriat et Marion Koch

Je suis bien inspiré de faire confiance à Sébastien Leclercq qui a parfaitement tenu la distance (sans jeu de mots) et n’a jamais failli, gardant forme et bonne humeur en toutes circonstances.

Il a su lui aussi s’entourer : Luis Artaega, son second et les filles, Pénélope Pourriat et Marion Koch, ont été parfaits.

Parenthèse sur les rushes ou plutôt leur absence

Je faisais pour la première fois l’expérience d’un film sans rushes (l’infime quantité de plans tirés ne nous a pour ainsi dire jamais été projetée... ou si mal : quelques boîtes pêle-mêle, entre deux séances, dans un cinéma d’Orange, une projo, toujours muette, aux Dames Augustines au retour de Djibouti, en 9e semaine).

La raison en est que Pirès n’en voyant pas l’utilité, la production s’est engouffrée dans la brèche, ne mettant que 8 000 mètres tirés au budget, et pas mal de mauvaise volonté à en organiser la projection. La position du metteur en scène, qui recevait quant à lui des digi-cassettes avec le son du montage, était qu’on ne retournerait rien quoi qu’il arrive et que des projections de rushes alourdiraient de manière intolérable des journées déjà bien chargées. Les deux arguments sont indéniables. Il n’en reste pas moins que...
Une fois les essais avec les comédiens terminés (regroupant des tests pour la lumière, le maquillage et les costumes) plus les essais de cockpits : il restait très peu à tirer sur le tournage proprement dit, environ 100 mètres par jour.

On me dit que c’est la nouvelle norme : je trouve extrêmement difficile de faire du bon travail dans ces conditions.

Et je ne pense pas égoïstement à l’image, ou plutôt, si, car j’y inclus le cadrage, la continuité, le maquillage, le point, le laboratoire, la déco, etc.

Les DVD (non sonorisés) que m’envoyait Eclair et que je ne partageais qu’avec l’équipe caméra sont bien trop imprécis pour nous renseigner AU JOUR LE JOUR sur la qualité de ce qui sera projeté sur grand écran.

Passe encore que des techniciens confirmés jouent au funambule, choisissent des moyens termes ou ressassent ce qu’ils savent déjà faire, mais comment progresser, ou apprendre son métier s’il faut attendre le jour de la " Première " pour découvrir telle ou telle imperfection, telle ou telle erreur ?

Ce qui manque cruellement, lorsque chacun voit sa cassette ou son DVD individuellement, c’est de tous " voir le même film ", en même temps et dans les mêmes conditions, ce qui permettra éventuellement de " faire le même film " le moment venu.
Ainsi naissent les fausses alertes, les angoisses injustifiées, ou, à l’inverse, l’excès d’optimisme que l’on paie a l’étalonnage ou au montage.

Parenthèse refermée.

Puis vient Djibouti

On en parle depuis le premier jour de Djibouti, surtout dans l’équipe caméra, où je vois mes assistants faire et refaire des listes pour la régie : ce qui part longtemps à l’avance, avec les explosifs, une semaine avant (un vol par semaine), ce qu’on pourrait espérer garder sur nos genoux dans l’avion, ce qui pourrait ne pas venir du tout. Même chose au retour : va-t-il falloir préparer du matériel à Paris, lequel ? Qu’est-ce qui pourrait revenir dans un Transal de l’armée ? Quelles optiques le premier jour ?... J’exagère à peine car c’est plutôt comique en l’état.

Puis vient le médecin militaire qui, un jour, au déjeuner, vient nous menacer de tous les maux. Ceux qui croyaient voir du pays commencent à déchanter, les autres ont - moins que jamais – envie de voir la Mer Rouge et notre " chère " base de Djibouti.

Quelques élus, dont je suis, resteront 4 semaines, car la première semaine est consacrée à des plans d’équipe réduite et à d’ultimes repérages.

Comme il y a beaucoup de scènes d’action, des explosions, des PDVA, ça reste un tournage lourd et un casse-tête de régisseur.

On retrouve les forcenés des prises de vues aériennes : les deux Eric, Meillan et Dumage, accompagnés de leur régisseur, leur stagiaire scripte, et les assistantes à la caméra. Ça se termine pour eux et on leur fait nos adieux en fin de 3e semaine. Ils ont fait un travail magnifique qui ne prendra toute sa valeur qu’une fois les trucages finalisés. Bravo !

Les scènes à tourner là-bas forment un ensemble cohérent à l’intérieur du film, et se situent à un moment où il nous semble bon de pousser le dépaysement.
Pas d’éclairage en extérieur, un soleil à la verticale en milieu de journée, un plan de travail et des contraintes divers qui font que les journées suffisent à peine. Toutes ces contraintes poussent à faire des choix qui se révèleront payants.

La Kodak 5245 est de retour, pour sa finesse et sa latitude. Je décide de la pousser d’un stop sans correction, afin de déboucher les ombres. Elle est corrigée pour la lumière du jour, mais j’y ajoute un Antique Suede (1,2,3) en permanence, que je module en fonction de l’heure au soleil.

Mon choix de tourner en contre-jour autant que possible permet, entre autres, de minimiser les problèmes de raccords, la hauteur du soleil y étant moins lisible, et la température de couleur plus constante.

Je décide enfin d’utiliser en réflecteur des cadres en toile bleu ciel plutôt que blanche, ils répondent parfaitement à mon attente : les visages en contre gardent une belle tonalité tannée, mais ne virent pas au cuivre. Je regrette bien, en cette occasion, la disparition du Roscofex C, bleuté lui aussi, qui aurait été un complément parfait quand il me fallait plus de " pêche " qu’avec les toiles.

Le reste n’est plus que diplomatie autour d’un plan de travail, qui lui-même évolue en permanence.

Le POD caméra embarquée
Le POD caméra embarquée
POD, vue arrière
POD, vue arrière

Il a fait chaud sur le tarmac de la piste de déroutement de l’aéroport militaire de Djibouti : on est en plein " bled " à 45 minutes de la capitale et ce n’est pas une légende que le climat est malsain, car je ne connais personne de l’équipe qui ne se soit senti malade au moins une fois pendant le séjour  : bronchites, intestins en vrac, coups de chaleur, allergies... tout y passe.

Certains sont gardés à l’hôpital.

Il reste qu’on a revu l’Afrique, son désolant spectacle de misère et de corruption, des paysages volcaniques sublimes, plages, lac salé, le tout très difficile d’accès : bravo les voitures de location !

Retour à Paris

Maintenant il faut finir. Il doit rester 6 semaines, mais on a l’impression d’être déjà dans la dernière ligne droite. Les décors s’enchaînent à un rythme soutenu, on éclaire, on tourne, on s’en va. L’équipe est rodée, l’ambiance est plus détendue : ça roule et c’est agréable, même si l’erreur est toujours possible et le bâclage... en embuscade. On " tient " le plan de travail.

Cette aventure nous entraîne quand même jusqu’au 17 décembre, autant dire Noël. Nous terminons le tournage principal chez Jean Salis, par la séquence dite du strip-tease : la pilote américaine fait un numéro sexy sur un Corsair de la Navy, devant les autres pilotes déchaînés.

C’est un beau clin d’œil que de terminer chez Salis, un de ces merveilleux " fous volants ", ce film entièrement dédié à l’aviation et à la passion du vol !
PS : Jean Salis a réuni à La Ferté Allais la plus grande et plus belle collection privée d’avions au monde.

Postproduction numérique et étalonnage

La postproduction, en parallèle avec le montage et le mixage, s’est étalée de janvier à septembre 2005.

Des éléments de trucage pour l’explosion en vol d’un mirage furent tournés par Eve Ramboz (de La Maison) et Eric Dumage pendant l’hiver, après que je sois rentré vers les cieux plus cléments de Californie.

Il reste que l’étalonnage fut reporté deux fois, pour se faire finalement en juillet, sur 4 semaines au lieu de 3, chez Eclair, à Epinay.

Je me faisais une fête de cette première expérience en numérique, qui allait se faire sur " Lustre ", avec Yvan Lucas, après qu’Olivier Chiavassa nous ait donné son accord, à Pirès et moi-même en février.

Rien ne s’est vraiment passé comme prévu, car les trucages de La Maison étaient en train de se faire et il n’était pas toujours évident d’avancer aussi vite qu’on le voulait.
Même si plus de 95 % des cascades aériennes furent tournées en réel, le nombre de plans truqués n’en reste pas moins impressionnant : environ 800 à la date de l’étalonnage.

On a donc commencé avec des bobines " gruyère ", c’est-à-dire pleines de trous !

Autant le dire le numérique s’est révélé un outil incomparable, qui nous a permis d’ajouter à la crédibilité des intérieurs de cockpits en peaufinant les rapports de contraste et de colorimétrie au plus juste. L’utilisation de masques nous a bien souvent évité de renvoyer des plans au trucage qui n’auraient pu passer en traditionnel. A titre d’exemple, le bleu et la densité du ciel, aux variations incessantes, en fonction des angles, de l’heure et du voile atmosphérique ont nécessité beaucoup d’attention : c’eût été un casse-tête en traditionnel.

Le temps passe est en relation directe avec la qualité du travail effectué et, comme je l’ai dit plus haut, il ne nous a pas été possible de réduire. Il nous fut difficile, certaines semaines, d’avoir une nouvelle bobine à montrer (même avec des " trous ") à notre réalisateur. Tant et si bien que je suis reparti, fin juillet, en laissant la dernière bobine aux soins de Marjolaine Mispolaere, qui secondait Yvan depuis les premiers jours et se trouvait parfaitement à même de prendre le film en main. Grand merci a l’équipe des finitions d’Eclair, qui furent parfaits de compétence, de sang-froid et de gentillesse.
Pour que l’étalonnage numérique reste vivable, et que l’on puisse continuer de s’y consacrer, il faudrait qu’il retrouve des dimensions plus raisonnables et plus proches de l’étalonnage traditionnel. Ce qui pourrait se faire si l’on travaillait sur une sélection de plans-clé, par séquence, pour ensuite laisser l’étalonneur faire son travail. On se retrouverait de nouveau en projection, lorsque le gros du travail de raccord serait terminé. Lors de cette séance, il serait possible de faire sur le champ des corrections en numérique. Une dernière projection de copie tirée devrait alors conclure.

Ces 4 semaines de juillet 2005 passées chez Eclair étaient aussi les dernières pour Olivier Chiavassa, en tant que directeur technique du laboratoire : fin d’une époque !
Je dois me faire à l’idée de son départ, moi qui l’ai connu à Epinay depuis les premiers courts métrages.

Je souhaite vivement qu’Eclair reste le laboratoire que j’ai connu : tout comme Alga et Transpalux, ils forment pour moi une famille, ici à Paris. Ce fut un grand réconfort, un plaisir aussi, qu’ils soient réunis sur ce projet. Je souhaite à Olivier toute la chance et la réussite qu’il est en droit d’espérer, ou qu’il se trouve.

Pour conclure

N’étant pas un habitué de ces comptes-rendus de tournage, j’ai sans doute été trop bavard. Ceci ne méritait sans doute pas un tel " pavé ", et je m’en excuse auprès des membres qui sont encore à me lire... »

Technique

Laboratoire Eclair
Caméras : Alga
Lumière : Transpalux