Projections de "Jerry Schatzberg, Portrait paysage", documentaire de Pierre Filmon mis en images par Olivier Chambon, AFC

Pierre Filmon et Olivier Chambon reviennent sur leur travail

Contre-Champ AFC n°346

Après sa première mondiale à la Mostra de Venise l’an dernier et sa première américaine au 20e Morelia FF au Mexique, le film de Pierre Filmon Jerry Schatzberg, Portrait paysage, photographié par Olivier Chambon, AFC, aura sa première française le 3 septembre au Festival de Deauville, suivie d’une projection unique à la Cinémathèque française, le 5 septembre.

Au Festival de Deauville
Un cinéaste incon­tour­nable
Rien ne le pré­des­ti­nait à la pho­to­gra­phie, encore moins au ciné­ma. Pour­tant, c’est par le biais de ces deux médiums que Jer­ry Schatz­berg a su s’imposer comme l’un des plus brillants artistes de notre temps. Ses cli­chés ico­niques res­tent à jamais impri­més sur nos rétines, autant que sa fil­mo­gra­phie intense, autre figure emblé­ma­tique du Nou­vel d’Hollywood. [...]

Cette année, le fes­ti­val de Deau­ville a donc choi­si d’inverser les rôles et de pla­cer Jer­ry Schatz­berg devant l’objectif afin de sai­sir son talent et lui rendre hom­mage en sa pré­sence. Le docu­men­taire consa­cré au pho­to­graphe-cinéaste et réa­li­sé par Pierre Fil­mon, Jer­ry Schatz­berg, Por­trait pay­sage, sera pro­je­té à cette occasion.

À la Cinémathèque française
À l’occasion de l’hommage qui lui est rendu au Festival du cinéma américain de Deauville, la Cinémathèque française reçoit Jerry Schatzberg pour une soirée spéciale : projection du documentaire signé par Pierre Filmon et de ses deux premiers films, suivie d’une discussion avec lui sur son passé de photographe, sa carrière, sa Palme d’or (L’Épouvantail) et les nombreux acteurs qu’il a dirigés depuis 1970.
Outre Jer­ry Schatz­berg, Por­trait pay­sage, seront projetés le 5 septembre Portrait d’une enfant déchue (1970) et Panique à Needle Park (1971).

Pierre Filmon parle, pour l’AFC, de la genèse et la mise en œuvre de son film
« C’est grâce à Pierre Rissient que j’ai rencontré Jerry Schatzberg le 27 mai 2014, pour le tournage de mon premier long métrage Close Encounters with Vilmos Zsigmond (2016). La photo d’eux deux, ce jour-là, prise par Olivier Chambon, AFC (qui a aussi filmé l’entretien de Jerry) illustre la quatrième de couverture du livre d’entretiens de Pierre, intitulé Mister Everywhere, sorti chez Actes Sud en 2016.

Pierre Rissient et Jerry Schatzberg - Photo Olivier Chambon
Pierre Rissient et Jerry Schatzberg
Photo Olivier Chambon

« Vilmos Zsigmond - à qui je dois tant - et Jerry Schatzberg ont fait trois longs métrages ensemble et l’entretien avec Jerry apportait un nouvel éclairage au portrait de Vilmos, celui d’un collaborateur de création dont les idées avaient été déterminantes pour l’esprit du film, en l’occurrence L’Épouvantail (Scarecrow), avec Al Pacino et Gene Hackman, Palme d’or à Cannes il y a cinquante ans. Jerry avait été très agréable avec la petite équipe de tournage. Il a aimé le film sur Vilmos et lorsque, par la suite, il venait en France depuis New York, presque chaque année, nous nous voyions. Avec sa crinière de cheveux, son franc-parler, sa voix rocailleuse et ses vêtements en Jean’s, il fait un sacré personnage. J’ai bientôt eu l’envie de faire un film sur lui, mais je sentais qu’il me fallait lui offrir quelque chose d’original, loin d’un portrait-documentaire qui déroulerait sa carrière, ce qui ne l’intéressait pas du tout.

« Je lui ai d’abord proposé un projet documentaire à tourner aux USA, en mode road-movie. Il s’agissait de partir en voiture avec lui, à la recherche de Gene Hackman, en compagnie d’Al Pacino... Trop compliqué à mettre en place. Incertitudes sur la santé de Gene Hackman et les disponibilités d’Al Pacino. Cela ne s’est pas fait. Un an plus tard, je retrouve Jerry, égal à lui-même, les années semblant couler sur lui sans aucune conséquence (il fêtera l’an prochain ses 97 ans). Mais Pierre Rissient décède quelques mois plus tard. Je sais bien qu’il me faut me dépêcher de faire un film sur Jerry. La fois d’après, je lui propose un projet apparemment plus simple, un long plan-séquence unique à tourner en une seule prise, lui en discussion avec Al Pacino. Ils habitent non loin l’un de l’autre, à New York, et se voient régulièrement. Mais il me faut l’accord de Jerry pour solliciter Al Pacino... Après réflexion, Jerry décline l’idée... L’année d’après, j’avais presque abandonné tout espoir d’obtenir l’accord de Jerry pour faire un film sur lui.

« Un dimanche de 2019 où je lui rends visite à son hôtel parisien, je lui dis : "Félicitations pour ton exposition de photographies qui ouvre demain au Château de Chamarande !". Et je ne peux m’empêcher d’ajouter : "J’espère qu’il y a quelqu’un qui te filme, pour le vernissage !". Il me répond : "Non...", et il me fixe : "... Ça t’intéresse ?". "Bien sûr !", je rétorque. "D’accord, si mon assistante et les organisateurs de l’exposition sont OK." On leur pose la question. Tous valident l’idée. Je leur demande s’il y a une "fenêtre de tir" où l’on pourrait avoir l’exposition de photographies pour nous tout seuls, juste avant le vernissage officiel. Les organisateurs me disent que les salles seront vides pendant une heure et demie, le lendemain après-midi, avant l’arrivée des invités. On est dimanche soir. Je réfléchis vite. Je n’imagine pas Jerry déambulant seul devant le cadre de ses photographies, il faut quelqu’un pour discuter avec lui et je ne me vois pas, moi, endosser le rôle de l’interlocuteur. Il faut que cela coule de source. Il faut un connaisseur. On appelle son ami de cinquante ans, celui qui, avec Pierre Rissient, a fait connaître son œuvre de cinéma en France, Michel Ciment, qui désire aller voir sa dernière exposition de photographies, lui qui en avait élaboré une autre, avec Jerry, au Centre Pompidou à Paris, en 1982. Est-ce qu’il serait d’accord pour être filmé avec Jerry, eux deux seul à seul, en conversation, demain en début d’après-midi ?... C’est oui.

Exposition Jerry Schatzberg au Domaine de Chamarande - Photo Henri Perrot / Domaine de Chamarande
Exposition Jerry Schatzberg au Domaine de Chamarande
Photo Henri Perrot / Domaine de Chamarande

« Le dimanche soir, j’appelle le directeur de la photographie Olivier Chambon, avec qui j’avais tourné mon long métrage Entre deux trains (2020) en plans-séquences et que je savais doué pour cet exercice périlleux : "Demain ?"... C’est oui. J’appelle aussi Philippe Grivel qui avait fait un formidable travail au son sur Entre deux trains. C’est oui aussi ! Ouf, car sans eux deux, rien de possible. Le lendemain, dans la voiture qui nous amène en banlieue parisienne, Olivier me demande des détails sur le projet, comment cette séquence à tourner allait s’insérer dans le film à venir sur Jerry ? Je le regarde et lui dis : "On va tourner, en un seul plan-séquence, Michel et Jerry en discussion, et ce sera le film en entier". "D’accord !" Et c’est ce qu’on a fait. Après avoir rapidement repéré l’éclairage et les photos accrochées dans les salles d’exposition vides, je n’ai donné qu’une seule indication à Michel Ciment, dont je soupçonnais qu’il comprenait ce que je voulais faire car il avait déjà fait la même chose avec Billy Wilder dans son remarquable documentaire que j’avais eu l’occasion de voir au cinéma. Je lui ai dit : "Dès que vous en aurez l’occasion, devant ses photos, parlez à Jerry de son œuvre cinématographique".

« Quand on a eu fini le tournage du plan-séquence d’une heure et demie, tourné à bout de bras par Olivier avec son GH5, moi caché sous le cadre, me glissant accroupi dans la micro-zone où je ne gênais ni lui ni Philippe et où je pouvais leur donner quelques indications avec les mains, Michel Ciment s’est assis et il m’a regardé : "Vous l’avez, votre film !". Il avait compris. Des quatre vingt-dix minutes de rushes, on a façonné, avec Anouk Zivy, en deux semaines de montage séparées par plusieurs mois, un film de quarante-six minutes (on est même fiers d’avoir fabriqué un objet éco-responsable...), un film qui nous a semblé refléter le meilleur de ce vernissage privé, de ce moment suspendu, en enlevant toute répétition, tout "gras", pour que l’expérience du spectateur soit la plus immersive possible. Il s’agissait autant pour nous du portrait quasi ciné-photographique d’un artiste devant des morceaux choisis de son œuvre (Bob Dylan, Faye Dunaway, Fidel Castro, Zappa, Catherine Deneuve, Sharon Tate...) que de la captation de la relation privilégiée entre deux amis de cinquante ans. Il s’agissait aussi de donner envie au spectateur, une fois le film projeté, de chercher à en savoir plus sur Jerry Schatzberg, en n’excluant personne, ni ceux qui connaissent son œuvre ni ceux qui ne la connaissent pas.

"Cha Cha Cha 8", 1958 - Photo Jerry Schatzberg
"Cha Cha Cha 8", 1958
Photo Jerry Schatzberg
"Faye Dunaway Legs", 1968 - Photo Jerry Schatzberg
"Faye Dunaway Legs", 1968
Photo Jerry Schatzberg
"Faye Dunaway Red Hat", 1968 - Photo Jerry Schatzberg
"Faye Dunaway Red Hat", 1968
Photo Jerry Schatzberg

« Le miracle de ce film, au budget quasi inexistant, a été sa sélection officielle par Alberto Barbera, pour sa première mondiale, à la 79e Mostra de Venise en 2022. Sa première américaine a suivi, au Mexique, en présence de Jerry, au 20e Festival de Morelia. Sa première française aura lieu au 49e Festival Franco-Américain de Deauville en 2023, avant une projection unique à la Cinémathèque française, à Paris, mardi 5 septembre 2023.

« Merci à Jerry, Michel, Olivier, Philippe, Anouk et Pascal Ribier (notre mixeur). Et merci à Pierre et Vilmos ! »

Olivier Chambon, AFC, parle de sa façon d’aborder son travail sur le film
Quand Pierre Filmon me propose, en 2019, de tourner un portrait de Jerry Shatzberg sous la forme d’un plan-séquence d’une discussion avec Michel Ciment dans une expo rétrospective de ses photos, je suis immédiatement enthousiasmé.
D’abord parce que les films de Shatzberg on beaucoup compté dans ma cinéphilie : dans les années 1980, Panique a Needle Park a été programmé aux 3 Luxembourg plusieurs années de suite, L’Épouvantail était également régulièrement au programme des Actions. Voir un cinéaste de ce calibre régulièrement oublié quand on fait des rétrospectives sur le Nouvel Hollywood est un mystère que je ne m’explique pas. Ces deux films et d’autres comme Le PrivéJohn Mac Cabe, de Robert Altman, m’ont fait remarquer le travail de Vilmos Zsigmond, dont j’aurai le bonheur de tourner un portrait avec Pierre également en 2016.
Ensuite parce que je connais Michel Ciment depuis longtemps, notamment sa voix qui m’est familière depuis l’enfance durant laquelle le dimanche soir en famille consistait à écouter "Le Masque et la plume", puis ses différents entretiens avec de grands cinéastes dans Positif.

Enfin, parce qu’il s’agit de réutiliser le même dispositif que sur Entre deux trains, long métrage de Pierre, sorti en 2020 : plan-séquence caméra à la main, mais cette fois totalement improvisé. J’ai donc opté de nouveau pour le Panasonic Lumix GH5 mais cette fois avec le zoom 24-105 mm Canon. La difficulté était que les photos étant exposées dans la pénombre complète, la seule source de lumière sur les visages était la lumière réfléchie par les photos éclairées chacune par un petit spot de très faible intensité pour ne pas abimer les tirages.

Photo Domaine de Chamarande

J’ai donc monté un adaptateur Metabone Speed Booster à l’arrière du zoom, et ainsi l’ouverture maximale de celui-ci qui est de f4 passe à f2,5. Avec une sensibilité nominale de 400 ISO, le GH5 n’est pas le roi des basses lumières, mais utilisé avec la courbe Hybrid Log Gamma associée au grand espace couleur REC 2020, on peut le pousser allégrement à 1 600 ISO, et réduire au besoin le bruit à l’étalo (ce que j’ai fait) ou laisser tel quel si on désire un look Super 16 traitement poussé. Pour le reste, il a suffi d’improviser en se laissant porter par la conversation délicieuse et passionnante des protagonistes...