Regarder de l’autre côté

Par Marc Galerne (K5600 Lighting Europe)

Contre-Champ AFC n°348

A une époque où les résultats d’une politique mondiale médiocre en termes d’écologie se font sentir de plus en plus, nous persévérons à regarder de l’autre côté : du côté, du profit, de la surconsommation et des effets de mode.

Des mesures à la va-vite se mettent en place dans l’ignorance la plus totale. Les effets d’annonces semblent bien futiles par rapport à l’étendue des dégâts que subit l’environnement AUJOURD’HUI. Comme s’il était possible de concilier consommation outrageuse des pays riches et préservation de la qualité de l’air, de l’eau et de la terre. Comme si ces annonces allaient suffire à éteindre les feux d’une puissance inégalée en Grèce et au Canada, remplir les nappes phréatiques du monde et ralentir l’exploitation minière abusive.


Il y a des mesures évidentes comme acheter local, éviter le jetable, limiter les emballages, utiliser des produits durables et pourtant notre métier est le premier à les ignorer. La préconisation de l’utilisation des LEDs pour des raisons écologiques en est le parfait exemple. Nul besoin de les nommer pour savoir de quelles marques il est question. Deux marques principales pratiquent une politique de consumérisme à outrance. L’ironie est que ces deux sociétés viennent d’une "république" communiste. Elles sont devenues les marques les plus populaires en vendant des produits jetables qui viennent de loin, qui ne sont pas réparables et dont la durée de vie est limitée à six mois, voire un an dans le meilleur des cas. Une politique commerciale simplissime :

• Faire connaitre les produits auprès d’influenceurs (qui peuvent garder le produit s’ils en font une bonne critique), pratiquer un lobbying des associations, prendre des stands démesurés sur les expos et multiplier les encarts publicitaires dans tous les magazines du métier. Tout cela est possible grâce à une aide bienveillante du gouvernement chinois
• Sortir régulièrement une nouvelle version d’un même appareil : Daylight puis bicolor puis RGBWCAL… et finir par une version plus puissante qui n’est rien de plus que la première mais boostée. La baisse importante de la durée de vie de l’appareil n’est même pas un sujet car dans les mois suivants un nouvel appareil sortira
• Réparabilité quasi impossible
• Délais de réparation à rallonge qui finissent parfois à décourager les clients qui finissent par prendre le tout nouveau modèle qui est sorti entre temps.

On est en train d’encourager ces fabricants à faire encore mieux en préconisant l’utilisation des LEDs comme référence écologique, alors que l’on sait que ces produits ont un bilan carbone épouvantable dès le départ de leurs usines de fabrication en supertanker. Il est clair que ces appareils éphémères sont difficilement recyclables étant faits de plastique et de circuits imprimés. Des étagères, voire des hangars, s’emplissent d’appareils en panne ou simplement obsolètes chez les loueurs du monde entier.

Le propos n’est pas d’être rétrograde et anti-progrès mais de ramener une part d’information nécessaire à apporter une contre argumentation qui pourra laisser chacun libre de ses choix en son âme et conscience.

La technologie LED est très intéressante mais c’est de vouloir en faire la panacée pour remplacer tout qui est malhonnête. Quand on parle d’économie d’énergie, de compacité, de légèreté on fait référence aux panneaux de petites puissances. La LED a cette particularité qu’elle ne supporte pas sa propre chaleur. Au maximum la température doit être aux alentours de 100° C sur la partie arrière de la LED (bien moins pour les LEDs rouges). Il faut donc refroidir fortement pour obtenir un produit qui garde des caractéristiques optiques utilisables dans notre métier. Les panneaux puissants nécessitent donc un refroidissement passif (utilisation de radiateur dissipateur) ou actif (recours à des ventilateurs). Dans tous les cas, cela devient plus lourd et plus encombrant. Parlons maintenant des projecteurs de type directionnel avec un COB (Chip On Board) qui n’est rien d’autre qu’une agglomération de LEDs d’une, deux ou plusieurs couleurs sur une surface minimum afin de pouvoir utiliser des accessoires optiques (nez optique, lentilles différentes…). Inutile de dire que cela chauffe encore davantage que les panneaux car à puissance équivalente, il faut refroidir une surface beaucoup plus petite. On commence à arriver à des appareils disproportionnés en taille et en poids par rapport à ce qui existe déjà. Alors que l’on se plaignait avant des tailles des appareils, de la présence de ballasts, aujourd’hui les produits directionnels s’accompagnent de nombreuses caisses d’accessoires. Moins de puissance consommée mais plus de camions, nous sommes davantage dans l’éco pas logique que dans l’écologique.

Pour rappel, la technologie HMI, qui fut popularisée en 1972, a une efficacité supérieure à 90 lumens par watt. Les LEDs commencent seulement à présenter une efficacité similaire depuis quelques années. On peut dire que les HMIs étaient écologiques avant l’heure. Si l’on ajoute à cela la durabilité dans le temps (plus de vingt ans) et le fait que l’aluminium et l’acier font partie des rares matériaux recyclables à 100 % et à l’infini, on se rend compte que l’on atteint, avec cette technologie vieille de 50 ans, un maximum d’atouts dans la préservation de la planète.

La LED apporte des facilités et une notion "green" dans le cas de certains types de produits, essentiellement sur les panneaux et à condition d’être fabriqués pour durer. La LED a des avantages indéniables : dimming de 0 à 100 %, allumage instantané, possibilité de changer rapidement les couleurs. Mais la LED a ses limites comme le HMI a les siennes.

Optiquement, pas sûr que l’on y gagne beaucoup par rapport à l’existant. Certes, il est pratique de ne pas avoir à changer les gélatines mais encore faut-il que les produits soient de la même marque, du même batch et, plus compliqué encore, pour ne pas dire impossible, que tous les appareils aient le même vécu. Plus précisément, un appareil qui aura fonctionné en rouge et un autre à faire du fond vert pendant deux mois n’auront plus les mêmes rendus dans une couleur donnée (référence de gélatine par exemple). La tendance est de vouloir remplacer les HMIs, à force d’essais comparatifs plus ou moins sincères (comparer un LED en spot contre un HMI en flood). Plus particulièrement les Fresnels sont une cible privilégiée. Rappelons d’abord ce qu’est un projecteur Fresnel et pourquoi ce type de lentille fut utilisé très tôt dans la prise de vues cinématographique et photographique. La caractéristique de la plage est d’avoir un centre puissant et une diminution GRADUELLE de la lumière jusqu’au bord de la plage. La Fresnel génère une qualité d’ombre naturelle (et une seule) et un faisceau qui peut être coupé avec les volets de façon "propre". Alors, dire que d’avoir une plage homogène sur toute la surface de la plage est un argument commercial comme un autre mais ce n’est PAS l’effet d’une lentille de Fresnel. Le point chaud (plus puissant) au centre de la Fresnel est ce qui attire notre attention dans une situation. Que ce soit un portrait où l’on va mettre en avant les yeux du personnage, ou un paysage, les peintres ont utilisé ce langage visuel depuis des siècles et la Fresnel est ce qui rend le mieux cet effet. Les LEDs ont du mal à répéter cette caractéristique à cause de la taille de la source par rapport à la taille de lentille employée. Si le COB est trop grand, la Fresnel deviendra une loupe et projettera la forme du COB et l’on perdra les spécificités de la Fresnel. Des sociétés sérieuses et passionnées travaillent sur de vraies sources de ce type mais s’accordent à dire que l’on atteindra jamais des fortes puissances sans créer des usines à gaz disproportionnées.

Il existe des alternatives à ces produits jetables grâce à quelques fabricants qui respectent une certaine déontologie, bizarrement (vraiment ?) ce sont souvent les fabricants historiques. Mais aussi, et plus généralement, les sociétés qui ont une proximité avec les utilisateurs et qui aiment ce métier. Des fabricants qui ne pratiquent pas la politique du tout plastique, du dégradable pas bio et sont à l’écoute des utilisateurs. Ils se reconnaîtront et ceux qui se souviennent de ce qu’est la lumière n’auront pas de difficultés à les identifier. (Marc Galerne)