Chronique de plusieurs morts annoncées

Par Marc Galerne, One Stop

par One Stop Contre-Champ AFC n°353


En 1981, l’écrivain et Prix Nobel Gabriel Garcia Marquez publie Chronique d’une mort annoncée. En 1987, Francesco Rosi en fait un film. Dans ce roman, tous les habitants d’un village savent qu’un jeune homme est menacé de mort, mais personne ne prend l’information au sérieux. Chacun participant, sans même s’en douter, au destin tragique de la victime.

Certains préfèrent mourir en silence, par pudeur peut-être, par honte parfois. D’autres, dont je fais partie, choisissent d’informer, de tenter de fédérer, de se battre pour défendre des valeurs, des entreprises et des emplois. Comme de nombreuses autres entreprises du secteur, nous mettrons la clé sous la porte, après plus de trente ans d’existence, dans les mois à venir. Je ne veux pas entendre alors : « On ne savait pas », « Si on avait su ! », « Il aurait fallu que cela se sache »… Je vais donc tenter d’expliquer cette tragédie qui touche de nombreux fabricants occidentaux de la profession.

Le (ou la) Covid-19
Si certains ont pu surfer en profitant d’une vague de subventions, d’autres, dont nous faisons partie, n’ont bénéficié que des fameux Prêts Garantis par l’État (PGE). Un prêt à un taux avantageux sur une période de 6 ans. Attention, cela ne veut pas dire que l’on rembourse en 72 mensualités. La première année, on ne rembourse pas, mais au terme d’un an, on est censé rembourser la totalité de la dette en une fois, si la trésorerie le permet, ou sur 5 ans soit en 60 mensualités maintenant. Beaucoup d’entreprises n’étaient pas en mesure de rembourser, au terme de ces douze mois, les mensualités, et encore moins le tout. Un nouvel avenant au prêt initial permettant de reculer le remboursement d’un an a été proposé. C’est comme cela qu’un prêt sur 6 ans a fini par être de 48 mois.

Les grèves d’Hollywood
La grève des scénaristes de mai à septembre 2023 a déclenché un ralentissement de la production de fiction dans de nombreux pays, suivie par celle des acteurs en juillet, qui a stoppé net toutes les productions sur lesquelles des acteurs de la SAG travaillaient. On ne peut pas, malgré ses conséquences financières dramatiques, ne pas adhérer aux réclamations des ces deux syndicats.
C’est près de cinq mois d’immobilisation complète qui ont impacté sévèrement l’économie de nombreux techniciens, prestataires et fabricants. La France a été partiellement épargnée grâce à la production locale mais cette dernière, avouons-le, ne suffit pas à alimenter le marché local, en l’absence des grosses séries et des gros budgets US. L’Angleterre est, sans nul doute, le pays d’Europe qui a été le plus touché. Suivent l’Espagne, les pays de l’Est, l’Allemagne et l’Italie. Les méga-loueurs internationaux comme MBS, Cinelease ou Panavision ont été contraints de licencier un peu partout et de stopper net tous les achats dans l’attente d’un retour à meilleure fortune. Ce mois-ci, en mars 2024, le redémarrage n’est toujours pas là. On parle d’un retour à la normale cet été.
L’export représentant près de 70 % de notre chiffre d’affaires, c’est une baisse significative de trésorerie pour nous mais aussi pour tous les fabricants. Pas tous, et l’on sait déjà où les ventes vont aller…

Le péril jaune
Dans un monde du politiquement correct, je ne devrais probablement pas employer ce terme, mais je m’en fous. En plus, cela fait référence à une allégation qui date de 1896.

Paul Henri d’Estournelles de Constant, ancien diplomate et député de la Sarthe, semble être le premier à envisager les événements d’Extrême-Orient comme le début d’un péril économique. Préoccupé des signes internes de déclin de la France et de l’Europe, il évoque, dans un article publié dans la Revue des Deux Mondes [1896], les conséquences de la révolution des transports sur la mondialisation des échanges, d’une part, les conséquences des prétentions impérialistes européennes en Chine, d’autre part. Le péril chinois désigne alors, sous sa plume, une autre invasion : celle, sur les marchés européens, des produits de consommation courante fabriqués en Chine, reposant dans un premier temps sur une probable délocalisation de la production et conduisant, à terme, à la désindustrialisation de l’Europe. Dès 1896, d’Estournelles avait considéré comme naïve la position intellectuelle consistant à s’en remettre aux vertus du libre-échange. D’une part, parce que même si l’on concède à l’idée qu’il faudra des décennies avant que l’Extrême-Orient ne développe ses propres innovations, le danger est que l’Europe devienne un centre de recherche ou d’innovation sans lieux de fabrication. - Extrait d’un dossier très intéressant par Marion Gaspard (Revue économique 2015/5, Vol. 66, pages 933 à 966, éditions Presses de Sciences Po), accessible sur le site Cairn.info.

Comme expliqué précédemment, les différentes crises (Covid, grèves) ont engendré des changements dans les habitudes d’investissement. Si les dépenses d’investissement diminuent, on achète moins et surtout moins cher. C’est logique et compréhensible. Je l’accepterais si les dés n’étaient pas pipés…

Lors de discussions diverses avec d’autres constructeurs occidentaux, j’ai appris de l’un d’eux qu’il avait démonté entièrement un produit chinois pour en déterminer le coût de revient. Il s’avère que celui-ci est supérieur au prix de vente. La Chine n’a que faire des lois anti-dumping, ni des procès pour plagiat, des normes et des mesures de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE).
Surfant sur une idée bien établie, et qui semble satisfaire tout le monde, que les produits LED sont écologiques, des sociétés gigantesques et agressives dans leurs pratiques ont raflé une partie importante du marché. En pratiquant des prix bas, elles imposent une baisse de marge pour les concurrents qui n’ont pas derrière eux un gouvernement en guerre. Il ne faut pas s’y méprendre, le mot n’est pas trop fort. Avec la croissance économique, la plus faible depuis 30 ans, et une démographie en baisse pour la deuxième année consécutive, la Chine réagit avec une politique d’aides hors normes (et hors la loi) aux entreprises chinoises. Ce qui était jusqu’alors réservé à des segments de gros volumes comme l’électroménager, la téléphonie, l’informatique, et maintenant l’automobile, arrive aussi dans notre industrie de la prise de vues. Le gouvernement chinois est derrière ses entreprises.

Les récents salons professionnels nous ont permis de constater la façon inquiétante avec laquelle utilisateurs et prestataires se ruent vers ces produits jetables et peu couteux. Les trois vertus d’un produit manufacturé sont la proximité de production, la longévité et la recyclabilté. Ces produits ne cochent aucune de ces cases.

Vous, qui avez la fibre écologique et la conscience d’un monde en dérive de surconsommation et de pollution extrême. Vous, qui faites le tri de vos déchets. Vous, qui limitez l’usage de la voiture et votre consommation quotidienne de viande. Vous, qui surveillez le gaspillage d’électricité et d’eau. Vous, qui comprenez les revendications des agriculteurs et des industriels français face à la concurrence déloyale des puissances étrangères qui ne respectent pas les normes. Vous, plus que quiconque, devez prendre conscience que la technologie LED est écologique mais que les fabricants, eux, ne le sont pas forcément tous.

Il existe des fabricants vertueux à l’écoute des utilisateurs et qui entendent les prestataires. Vous les connaissez et les reconnaissez pour la qualité de leurs produits et leur longévité, le service qu’ils assurent sur plusieurs années. Et, surtout, sur la logique économique de leur business model : aucun industriel responsable ne sort un produit tous les six mois, ce n’est juste pas viable et, encore une fois, c’est une insulte à l’avenir de notre planète.