Une interview de Sylvain Rodriguez, directeur de la photographie sur la série "Extra", par Panavision France

par Panavision Alga Contre-Champ AFC n°351

Le directeur de la photographie Sylvain Rodriguez nous parle de son travail sur la série "Extra", réalisée par Jonathan Hazan et Matthieu Bernard.

Comment avez-vous été impliqué dans le projet ?
Sylvain Rodriguez : J’ai été contacté environ quatre mois avant le tournage de la série. Cela nous a permis de discuter de l’univers général dès le départ. Nous avons pu longuement réfléchir sur le style recherché, le format du cadre, le découpage et le look du projet, en fonction du scénario et du minutage quotidien prévu, qui était assez conséquent, afin de trouver la justesse de ton et d’ajuster tous les curseurs de nos critères.

Comment décririez-vous le look du projet ?
SR : La série "Extra" est une comédie au ton décalé. Elle traite de la sexualité des handicapés et des assistants sexuels qui les accompagnent parfois, et touche avec justesse les problématiques sur ce sujet. J’ai tout de suite senti la force du scénario. C’est une proposition singulière dans le paysage de la série française. Il fallait créer un ton, à l’image du scénario. L’humour est savamment dosé pour bien décrire la complexité du sujet. Les personnages sont colorés et verrouillés dans leurs problématiques. Les réalisateurs, Jonathan Hazan et Matthieu Bernard, voulaient ressentir cela à l’image, notamment au niveau du cadre. Pour donner un ton particulier mais aussi au vu du minutage journalier, nous avons privilégié des plans efficaces qui combinent dans une composition rigoureuse les placements des personnages et l’architecture du décor. Nous avons aussi opté pour l’utilisation de courtes focales, tout en gardant une certaine proximité avec les comédiens, toujours en plongée ou en contre-plongée, pour épouser et renforcer la force dramatique et humoristique de la série.

La série a été tournée avec des focales comprises entre le 10 mm et le 35 mm. Nous avons fait des essais filmés en amont chez Panavision pour bien ajuster la focale au cadre, et avoir le rapport le plus juste entre l’impact de la focale et la présence du comédien. Avec les réalisateurs, nous ne voulions pas les défauts des courtes focales et les déformations trop prononcées qui pouvaient nous sortir de l’histoire. Nous voulions toujours trouver le point d’équilibre de la narration, tout en donnant une énergie et un style particuliers aux séquences. Le travail avec la cheffe décoratrice, Julie Plumelle, a été très important, pour trouver un ton dans chacun des décors et l’adapter à la personnalité du personnage tout en gardant des lignes graphiques pour créer une profondeur avec les courtes focales.


Y a-t-il des références visuelles particulières qui vous ont inspiré ?
SR : A la lecture du scénario et à l’évocation du travail en courtes focales, j’ai tout de suite pensé aux films des frères Coen pour le ton emphatique, la caractérisation forte des personnages et la puissance de l’action. Dans leurs films, la narration visuelle prend toute son importance. J’ai fait un "moodboard" avec différents films qui ont cette approche, pour voir jusqu’où nous pouvions aller.

Ce qui est important pour une comédie, c’est d’avoir le bon dosage. Dans ce type de cinéma, le plan est roi. Le discours se fait par la caméra. A la lecture, j’avais en tête le film A Serious Man, de Joel et Ethan Coen, car il y a aussi dans la série une évocation de la religion. Le personnage principal est en effet chef de chœur dans une chorale catholique. Je trouve que dans le film des frères Coen, le choix fort de l’axe, de l’angle, le décadrage, la présence et la proximité de la caméra donnent tout de suite le ton, et enrichissent le vécu du personnage et le regard du spectateur. Jonathan m’avait aussi évoqué Le Grand bain, de Gilles Lellouche, comme référence française. La référence est une étape qui vient surtout au début, pour bien échanger sur la vision du projet mais il faut vite s’en détacher et la fondre avec notre vision de l’histoire.

Qu’est-ce qui vous a amené chez Panavision pour ce projet ?
SR : Je suis venu chez Panavision pour les optiques. Je voulais avoir le choix dans les séries, surtout pour les courtes focales, et avoir un bel éventail d’optiques. Je voulais aussi une caméra sensible pour ajuster rapidement les changements de lumières et de décors car nous avions un timing assez serré.
J’ai choisi la Sony Venice et la série Primo. Je savais que je n’avais pas besoin d’une série complète, et je voulais surtout avoir un jeu complet de courtes focales. La série Primo est une série très complète. Ce qui est intéressant aussi, c’est de pouvoir choisir les focales à l’unité.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans les objectifs spécifiques que vous avez choisis ?
SR : J’aime beaucoup les Primo pour leur rendu. Ils ne sont pas inertes comme certaines optiques récentes, et ne sont pas trop vintage non plus. Parfois, les diffusions dans les hautes lumières peuvent être trop fortes pour certains projets ou plus compliquées à gérer. Les Primo sont un bon entre-deux. A mon sens, leur douceur est parfaite pour les visages, autant pour la peau que les contours. Ils sont précis tout en étant agréables. Le flare est chaud et a du caractère. La série était bien adaptée pour le projet. J’aime beaucoup la vie subtile qu’ils apportent dans les brillances tout en gardant une image maîtrisée et tenue.

J’ai utilisé le 10 mm, le 14,5 mm, le 17,5 mm et le 21 mm en version Primo Standard, et le 27 mm et le 35 mm en version Primo Close Focus, pour les plans les plus rapprochés. Pour les plans serrés, j’ai privilégié le 27 mm au 35 mm et l’idée était de ne pas faire des plans trop serrés, maximum taille poitrine. J’ai pris tout de même le 50 mm Primo Classic, que j’ai très peu utilisé. Uniquement pour les inserts nécessaires au récit, et les visions à distance de certains personnages. Tout cela a très bien matché. Les optiques sont bien corrigées dans les verticales. Nous avons utilisé les courtes focales plutôt pour la dynamique, l’énergie, et faire exister le personnage dans son décor par le grand angle de champ.


Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir directeur de la photographie et qu’est-ce qui vous inspire aujourd’hui ?
SR : J’aime les films qui racontent avec la caméra, par le mouvement, par le choix de la focale, d’un cadre précis et fort. Pour moi, le cinéma est une question de point de vue, de regard du réalisateur sur son histoire et son œuvre, plus simplement, la manière dont il voit ou veut rendre les choses. Tout est émotion. C’est pourquoi j’ai voulu être directeur de la photographie, pour travailler en collaboration avec le réalisateur sur son point de vue sur l’histoire et participer à cette chorégraphie émotionnelle, physique et visuelle. Chaque film est différent, et sur chaque film, c’est à nous d’établir le langage par lequel nous allons l’aborder et de savoir comment utiliser les éléments de notre palette visuelle. C’est cette recherche et cette mise en pratique qui est passionnante.

Pour moi, les grands films sont ceux qui arrivent à recréer un microcosme, une part de vérité, et à mêler plusieurs genres qui se retrouvent dans la vie. Les grands films doivent nous transporter par les personnages et doivent être intéressants dans le discours et l’histoire en même temps. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler sur des projets avec des sujets différents et des approches différentes. C’est pourquoi j’aime et je suis inspiré par des films ou des réalisateurs qui ont des regards singuliers sur leurs histoires, sur l’approche du cinéma. J’aime beaucoup Ruben Östlund et Yorgos Lanthimos et leur construction visuelle du récit, et la forte intensité de leur cinéma. Au lycée, j’étais passionné par les films de Stanley Kubrick, par le cinéma des années 1970, et j’ai aussi appris en lisant l’American Cinematographer. Comme directeur de la photographie, j’aime beaucoup Roger Deakins, BSC, ASC, pour sa philosophie de travail, son approche simple, naturelle, tout en étant forte, jamais dans l’effet. Sans exclure des images complexes et riches, il est tout le temps dans la recherche de la justesse. J’ai l’impression que c’est le plus important. J’aime beaucoup aussi Darius Khondji, AFC, ASC, pour son travail de la couleur et des nuances de noirs. Récemment, sur plusieurs projets, j’ai beaucoup échangé autour des photographes Gregory Crewdson et Saul Leiter, dont j’aime l’approche et le caractère des photos. Pour moi, il faut, à chaque fois, se poser la question du regard, de la vérité de telle ou telle séquence, se poser la question du ressenti du personnage, être toujours à l’écoute, s’interroger, découvrir, être dans la recherche, et selon les échanges, trouver cette justesse.