Antony Diaz parle de la photographie de "Carbone", d’Olivier Marchal
Comment avez-vous conçu l’image de Carbone avec Olivier Marchal ?
Antony Diaz : J’ai fait tout un travail en amont pour définir le look du film, en m’appuyant sur des références existantes. J’ai présenté différentes propositions à Olivier qui a choisi ce qui l’intéressait. Notre principale référence, c’était The Most Violent Year, de J.C. Chandor. Un film assez lent, très beau, avec beaucoup de plans dans la longueur. Olivier a adoré. On s’est vite mis d’accord pour faire un film élégant, avec quelque chose de brillant la nuit pour faire ressortir le côté bling-bling des personnages, traduire leur côté flamboyant. En journée, on est allé dans des choses un peu plus froides, avec des contrastes assez marqués. Au niveau de l’image, c’était une vraie évolution pour Olivier. Avec ce film, il passait d’un univers de polars très sombres et très découpés à un thriller avec une image plus chaude et des plans plus longs. Il a complètement poussé dans ce sens.
Pourquoi avoir choisi des Alexa Mini ?
AD : Avec Berto, qui m’accompagnait au cadre, nous avons hésité au début avec la SXT mais comme il y avait pas mal de plans de voitures, on a opté pour deux Alexa Mini. La caméra est très ergonomique. Cela nous a fait gagner du temps sur le tournage. Et au niveau du capteur, c’est le même rendu. Souvent, dans la pub, on m’impose une RED mais je préfère de loin l’Alexa. Je sais jusqu’où je peux aller avec elle. Je vais la pousser dans ses retranchements en allant chercher des choses dans les basses lumières. Elle en a dans le ventre. Avec une autre caméra, dans les mêmes conditions, je n’aurais certainement pas pris les mêmes risques. Et puis, en terme de workflow, je suis sûr de retrouver au labo ce que j’avais sur le tournage.
Quelles optiques avez-vous utilisées ?
AD : J’ai travaillé avec les Arri Master Anamorphic que nous avons achetées avec mes deux associés, Pierre Dejon et Quentin de Lamarzelle. On voulait investir dans des optiques et on a flashé sur cette série. Je suis complètement amoureux de leur rendu. Elles n’ont pas les aberrations qu’aiment tant les chefs opérateurs dans les autres optiques Scope mais je les trouve d’une grande justesse dans les couleurs et les proportions des visages sont très jolies. En plus, les "bokehs" sont sublimes. Ces optiques peuvent être assez dures mais il y a un piqué, une justesse dans les valeurs que j’aime beaucoup.
D’ailleurs, The Most Violent Year a été le premier long métrage à être tourné en Arri Master Anamorphic. Sur Carbone, ces optiques étaient mes meilleures alliées pour tirer le film vers quelque chose d’élégant, de brillant. Et puis, au niveau de la météo, nous avons eu de la chance avec un beau soleil hivernal et ces optiques sont très réceptives à un soleil à contre. Je m’en suis beaucoup servi pour donner un côté très enrobé dans l’image.
Comment avez-vous exposé la caméra ?
AD : Quasiment tout le film est tourné à 800 ISO. En lumière du jour, je travaillais en Pro Res 4444 XQ. Dès qu’il y avait la moindre pénombre, j’utilisais l’ArriRaw pour obtenir un peu plus de matière dans les très hautes ou les très basses lumières. Dans les extérieurs, j’aime bien casser l’image en sous-exposant d’un ou deux diaphs pour aller chercher cet aspect "pellicule" dans l’exposition et ne pas avoir des extérieurs trop éclatants. De nuit, quelques fois je suis passé à 1 000 ISO mais le plus loin que je sois allé, c’est la séquence du parking avec les Chinois. Je ne voulais pas rajouter de lumière, à part quelques néons, j’ai donc poussé l’Alexa Mini à 1 600 ISO, sans avoir aucun bruitage.
Est-ce que vous avez utilisé des LUTs ?
AD : Oui, bien sûr. Dix jours avant le début du tournage, j’ai obtenu de faire des essais caméra avec les comédiens, la déco et les costumes. Cela m’a permis de tester les différents éclairages avec les vraies matières utilisées dans le film. A partir de ces tests, je suis allé travailler mes LUTs avec l’étalonneuse Magalie Léonard. J’en ai créé une pour chaque type d’éclairage : ext. jour, ext. nuit, int. jour et int. nuit. Et j’ai fait tout le tournage avec ces quatre LUTs. Elles ont tellement bien fonctionné que j’ai eu très peu de retouches à faire à l’étalonnage. Disons que 70 % de l’image du film était faite sur le tournage.
Quelle a été la séquence où vous avez pris le plus de risques sur ce film ?
AD : C’est une scène de dialogues dans une voiture, que l’on tournait à deux caméras, de nuit, dans le bois de Boulogne. Il avait plu, tout était mouillé. J’ai envoyé quatre bacs sodium de l’autre côté du lac pour créer une réflexion sur l’eau qui vienne dessiner les personnages et aussi faire briller un peu leurs yeux. Je me suis arraché les cheveux à gérer le lac avec toutes ces brillances mais je suis content du résultat. La scène fonctionne très bien.