Au sujet du film "C’est le monde à l’envers", de Nicolas Vanier

Une démarche éco-responsable, par Cyrill Renaud, AFC
Lors de la sortie du film C’est le monde à l’envers, de Nicolas Vanier, le 16 octobre 2024, je n’ai pas pris le temps de le présenter. Puis deux, trois, quatre semaines sont passées, juste le temps pour qu’il disparaisse des écrans devant son insuccès. J’ai hésité longtemps avant de prendre l’initiative de le faire, cela pour deux raisons.

La première est que le film a été distribué et promu comme une sympathique comédie autour de l’écologie, avec une affiche qui ne laisse pas deviner la profondeur et la gravité du sujet qui y est traité. Le film est en fait une comédie dramatique, drôle et pleine d’espoir mais assez anxiogène… Il semblerait que les distributeurs aient eu peur d’effrayer "son public", il ne faudrait pas inquiéter les gens quand même face aux conséquences du réchauffement climatique !
On peut dire globalement que "les comédies" sont souvent moins considérées artistiquement et probablement moins intéressantes que les films dit "d’auteur". Je pense que c’est faux et que la comédie permet d’aborder des sujets profonds et de sensibiliser un public peu averti. En revanche, c’est vrai que c’est rarement un genre qui demande une recherche particulière sur l’image ou d’affirmer une esthétique forte. Et ça se comprend en partie dans la mesure où l’expression, la spontanéité des acteurs et la visibilité de leurs jeux est primordiale.

La deuxième raison découle du doute que j’ai eu sur l’intérêt de parler au sein de l’AFC, d’une comédie passée quasiment inaperçue malgré une grosse promo, 500 000 entrées en quatre semaines balayé entre autre par L’Amour ouf, de Gilles Lellouche. Mais au final, l’important n’est-il pas qu’une œuvre existe ? De la faire vivre au-delà de ces critères d’appréciations ? Alors oui, c’est l’occasion pour moi de redonner une noble place à cette comédie et de parler de ce film qui a autant de fond que de sens. C’est pourquoi j’ai eu envie d’écrire ce billet d’humeur et surtout de partager un petit retour d’expérience au sujet de la démarche éco-responsable qui a été mise en place sur ce tournage, d’expliquer aussi comment elle a orienté implicitement mes intentions artistiques et les moyens de les mettre en œuvre dans ce cadre.

Éco-tournage
Quand j’ai rencontré Nicolas Vanier, j’avais en tête l’image de ses films grand public tournés avec des moyens conséquents et les "grosses équipes" qui vont avec. J’ai découvert ceux qu’il avait tourné en Super 16 mm au cours de ses expéditions en équipe réduite. Le film que nous avions à faire était un film différent des autres, plus personnel et important dans ce qu’il voulait donner à voir, à transmettre.
Nicolas étant très engagé politiquement et auprès de l’éducation des jeunes sur les questions écologiques en lien avec le monde paysan, il était évident que nous nous devions d’être cohérents en abordant le tournage de manière éco-responsable.
Dans ce film, Nicolas tourne le portrait de "L’homme" face à une nature qu’il a façonnée et détruite en même temps. Une histoire contemporaine dans un monde ultra-connecté qui soudain s’effondre et nous fait basculer dans un passé pas si lointain, où la bougie éclairait encore les tables, où se posait au quotidien la question de la survie.

Le récit se déroule sur quatre saisons et débute sous la canicule parisienne. La partie campagne dans le Morvan représente 80 % du film tourné en deux parties, une en automne-hiver et une de mai à juin pour le printemps-été. La vie paysanne se déroule en grande partie en extérieur et exploiter au maximum la lumière naturelle s’imposait d’autant plus que le film parle du réchauffement climatique avec la prétention d’être éco-responsable. Ce challenge m’intéressait beaucoup mais supposait une réelle prise en considération de la mise en scène dans l’élaboration du P.d.T [plan de travail] et parfois dans le découpage des séquences (rapport minutage imposé /exécution impartie). Il a donc été pensé prioritairement selon les horaires d’ensoleillement et selon la chronologie du récit qui s’alternait dans la même journée de tournage. Paradoxalement, ces contraintes ont plu à Nicolas qui, dans ce champ d’action prédéfini, savait observer et accueillir ce que la nature nous offrait à l’instant T. C’est pourquoi j’ai toujours essayé de suivre ce regard en étant simple, en canalisant la lumière plutôt qu’en travaillant contre. En utilisant des cadres réflecteurs, blancs, écrus, noirs ou gris, en positif, négatif ou sans rien selon les saisons et les moments plus ou moins dramatiques du récit. Je pense sincèrement que cet équilibre, entre anticipation et spontanéité, a participé grandement à rendre l’ambiance du film extrêmement vivante et variée.

La caméra Sony Venice a été précieuse grâce à son remarquable échantillonnage de couleurs. La présence d’un DIT (Aurélian Pechmeja) a été cruciale pour poser les ambiances au fur et à mesure et constituer la mémoire du film sur les différentes périodes de tournage. De ce fait, l’étalonnage final chez Le Labo Paris, opéré par Fabien Napoli, a été beaucoup plus fluide. J’ai choisi de tourner l’ensemble du film à 2 500 ISO car en plus d’apporter une souplesse à la prise de vues pour certains intérieurs, il m’a permis de gérer facilement les profondeurs de champ en 6K. Cette sensibilité a aussi apporté une texture plus organique dans les carnations et les divers matières minérales, végétales (bois, métal, rouille, etc.) D’autre part, il était important d’être crédible sur les contraintes qu’imposent le réchauffement climatique dans le récit. La dynamique de la Sony m’a permis, en intérieur, d’imaginer des rapports d’éclairage peu courants, comme par exemple éclairer un dîner à 19h en plein été après le labeur d’une journée sous le cagnard : les paysans mangent tôt, les volets et fenêtres sont fermés pour garder la fraîcheur mais nécessite dans cette pénombre des bougies pour éclairer le repas.

Après divers essais d’optiques j’ai choisi la série Angénieux Optimo Prime + filtre IOP - 1/8 Low Contrast qui est restée à demeure. En effet, je voulais filtrer le moins possible en frontal pour ne pas avoir à les gérer continuellement sur le plateau en plus de m’exposer aux doubles images face au soleil ou aux nombreuses bougies en intérieur. Je recherchais également des optiques assez piquées pour contrer les 2 500 ISO et donner à ressentir l’aspect caniculaire en cassant légèrement le contraste. Le but était aussi de filmer les acteurs et actrices sans être obligé de rediffuser exagérément l’éclairage que je voulais brut à certains moments. Ainsi je crois avoir donné à éprouver l’âpreté de cette vie rustique sans tomber dans un réalisme cru et dur, qui à mon sens aurait fait obstacle à ressentir, à fleur de peau, la souffrance, la peur et l’espoir qui ré-unit ces personnages.

Eco-responsabilité
Fort de cette expérience et membre du groupe de réflexion Eco-tournage au sein de l’AFC, je voudrais encourager et sensibiliser par ce témoignage toustes les directeurs et directrices de la photographie, et techniciens en général, à reconsidérer leur approche face aux défis qui se présentent à nous. Beaucoup de questions et de sujets sont encore à traiter. L’apport de solutions progresse de jour en jour, à nous de les intégrer et de les faire évoluer.
Pour info, voici ce qui a pu être mis en place :
- Il a été demandé aux comédiens de ne pas avoir de loge personnelle mais d’occuper et partager des locaux à proximité.
- Le parc automobile était entièrement équipé de voitures électriques.
- Installation de toilettes sèches sur le décor (hygiénique et confortable).
- La décoration n’a utilisé que des produits éco-responsables, non toxiques et biodégradables.
- La cantine ne s’est fournie que chez des producteurs locaux en cuisinant des produits de saison.
- Nous avons constitué une équipe image suffisamment conséquente pour ne pas devoir prendre de renforts qui génèrent des déplacements en train ou en voiture.
- La liste lumière a également été pensée dans ce sens. Choix de projecteurs polyvalents à faible consommation énergétique autant que possible et utilisables sur batterie si besoin.
- Pas de gaffeur ou de gélatine non indispensable en privilégiant les matières dégradables ou réutilisables (Permacel, craie, toile, tulle, tarlatane).
- L’énergie a été fournie en partie par des panneaux solaires posés sur remorque et installés par la société Mobilvolts).
Ce système suffisait à lui seul à alimenter la régie, de recharger les véhicules la journée, et les batteries de talkie-walkies, caméra et lumière la nuit (10 % d’excédent a été restitué à EDF !). En complément nous utilisions autant que possible des projecteurs LED 12 lampes et autres, sur batterie. Malgré ces efforts nous avons dû parfois utiliser l’électricité à partir d’un coffret EDF afin d’alimenter les sources HMI encore indispensables à bien des moments. Un petit groupe de 6 kW insonorisé nous a dépannés en appoint. Je crois de fait que la clé de la gestion des ressources énergétiques passe par la diversité des solutions qu’il faut approprier au cas par cas.

En conclusion, je crois que la clé de la gestion des ressources énergétiques passe par la diversité des solutions qu’il faut approprier au cas par cas. Bien que certaines économies puissent être réalisées, cette démarche a un véritable coût pour la production qu’il faut pouvoir contrebalancer par une réflexion globale sur tous les postes, le rapport temps/argent restant la principale équation à résoudre.

Conditions idéales pour un éco-tournage ! - Photo Cyrill Renaud
Conditions idéales pour un éco-tournage !
Photo Cyrill Renaud
Photo Cyrill Renaud

Exemple d’installation quand le PdT n’est pas en phase avec l’ambiance recherchée pour la séquence… Les moyens techniques augmentent !

Photo Cyrill Renaud