"Banger", de Bertrand de Langeron (dit "So Me"), photographié par Mathieu Plainfossé, AFC, une histoire de familles
Par Ariane Damain Vergallo, pour Leitz CineBertrand Lagros de Langeron, alias "So Me", est le réalisateur, l’auteur et l’incarnation même de ce film puisqu’il a été le directeur artistique du label du même nom, Ed Banger Records, fondé en 2003. Un label qui a fait connaître dans le monde entier le son de la French Touch avec un tel succès que le mot "banger" est passé dans le langage (presque) courant pour désigner quelque chose de remarquable, de dingue, qui déchire.
Il y a donc forcément une ambition et un enjeu particuliers dans ce film qui raconte l’histoire de Scorpex, un DJ sur le déclin, incarné par Vincent Cassel, recruté par une agente de la DGSI, Laura Felpin, pour faire tomber son rival Vestax, joué par Mister V. Tous les ingrédients de la comédie, de la satire même, sont réunis et pourtant, au départ, le scénario se présente masqué au point que certains techniciens le prennent au premier degré et croient qu’il s’agit d’une représentation imagée, certes, mais fidèle du milieu de la musique électro que le réalisateur connaît bien.
Pour encore brouiller les pistes, Bertrand de Langeron et son chef opérateur, Mathieu Plainfossé, AFC, présentent à Netflix des intentions esthétiques précises et ambitieuses afin que le spectateur « se fasse embarquer par la beauté de l’image », une démarche courante pour les productions américaines mais encore rare en France. Pour cela ils proposent une lumière avec de la brillance, des contre-jours marqués et des couleurs saturées et chaudes, et un cadre qui mélangera à la fois des plans fixes sans recadrage - comme dans les films des frères Coen - et des plans en mouvement de conception très sophistiquée.
Le comédien Vincent Cassel amène avec lui son complice de toujours, l’opérateur Steadicam Éric Catelan, habitué aux grosses productions et "un as" du mouvement. Il rentre en France après 10 ans passés au Brésil et aux USA et ne rejoint l’équipe que la deuxième semaine de tournage sans avoir vu aucun décor ni eu de découpage. Il retrouve sur ce film, par le hasard de ces rencontres dont le cinéma a le secret, Mathieu Plainfossé, qui a été son stagiaire 20 ans auparavant et qui - en un mouvement contraire - l’intègre au projet.

Éric Catelan filme, soit au Steadicam, soit avec une caméra installée sur une dolly et cadrée "à l’ancienne" avec une tête manivelle Arrihead, un système qui demande du doigté, de la précision et de l’expérience mais qui suit les personnages avec une fluidité et une précision sans pareilles.
Le chef opérateur Mathieu Plainfossé décide de tourner le film avec la caméra Alexa 35 d’Arri, en Super 35 et au format 2,40 et, après des d’essais comparatifs, avec des optiques Hugo de Leitz : des optiques petites, légères, réputées pour leur brillance et leur éclat, et qui restituent une parfaite géométrie de l’image.
Les courtes focales 24 mm et 28 mm sont privilégiées afin de montrer le décor en arrière-plan même quand le comédien est cadré en gros plan.
Cela amène Mathieu Plainfossé à devoir éclairer un champ beaucoup plus grand que s’il tournait en longue focale et avec un diaphragme de T:2,8 afin d’avoir de la profondeur de champ.
Ce dispositif permet au réalisateur Bertrand de Langeron une grande latitude de mouvement et il choisit une méthode de tournage qui permet aux comédiens d’entrer progressivement dans leurs personnages.
En effet, si le comédien principal Vincent Cassel a une bonne connaissance technique et une capacité hors normes à écouter ses partenaires, les autres comédiens, comme Laura Felpin, Mister V, Paul Mirabel ou Panayotis Pascot, sont des artistes qui ont l’habitude d’évoluer seuls en scène.
Le matin, il leur propose donc, ensemble, une lecture approfondie du texte et seulement ensuite une mise en place dans le décor et plusieurs répétitions avant de tourner. L’équipe, impressionnée par sa culture, sa capacité à saisir les modes et son sens de l’image, s’adapte à cette manière de travailler inhabituelle trouvant que Bertrand de Langeron, dont c’est le premier long métrage, « mérite de réussir ».

Le décor le plus important du film est le majestueux Pavillon Baltard, à Nogent, transformé en une scène pour un défilé de mode extravagant. Un immense soleil doré est installé qui fait référence à une œuvre majeure de l’artiste contemporain islando-danois Olafur Eliasson, The Weather Project, une œuvre qui, inondant de lumière les spectateurs, provoque un sentiment d’infini. Après réflexions et études diverses, Mathieu Plainfossé et son chef électricien, Guillaume Lemerle, décident de placer un 24 kW à lentille de Fresnel à l’extrémité d’une structure légère en forme de tube noir de 6 mètres de long et 5 mètres de diamètre avec, à son bout, une toile de diffusion permettant d’avoir un cercle de lumière parfaitement étale, la couleur dorée étant obtenue en dimmant le projecteur et en lui ajoutant une gélatine de type Amber.
Ce "soleil infini" devient ainsi un élément-clef du décor et aussi une source de lumière pouvant l’éclairer complètement, le côté opposé de la scène étant éclairé par 150 lampes reliées à un ordinateur - le "pixel mapping" - permettant d’animer des dessins de lumière qui serviront de fond lumineux au défilé de mode.

L’autre scène phare du film se déroule au théâtre de la Gaité Lyrique, à Paris, où le DJ Scorpex - Vincent Cassel - donne un concert devant 400 figurants survoltés.
Dans l’idée d’une plongée immersive des soirées électro et, pour ce lieu uniquement où la caméra doit se faufiler partout, Mathieu Plainfossé opte pour la RED Raptor X en plein format qui permettra une esthétique différente du reste du film avec extrêmement peu de profondeur de champ. Il conserve les optiques Hugo de Leitz et notamment le Noctilux ouvrant à T:0,95, qui permet à la première assistante caméra, Anaïs Andreassian, d’avoir sûrement un moment de fierté mais aussi des sueurs froides tant la profondeur de champ est infime !
Durant la préparation du film, elle avait d’ailleurs tourné des essais avec le réalisateur lors d’une fête électro éclairée avec des flashs et des lasers pour constater ensuite qu’il était préférable d’utiliser la RED Raptor X avec un "global shutter" afin d’éviter les traînées blanches des lumières sur l’image.
À la Gaîté Lyrique, Mathieu Plainfossé a imaginé un plan spectaculaire où un travelling serait fixé au plafond, la caméra se déplaçant à la diagonale au-dessus de la scène en plongée totale puis descendant à la verticale dans la fosse pour être récupérée à la main par le cadreur afin de suivre Vincent Cassel dans la foule.

Le chef machiniste Jan Gagnaire se lance dans l’aventure. Il décide de monter le travelling au sol sur un double plafond qui sera ensuite fixé à l’envers sur le vrai plafond de la Gaité Lyrique en étant hissé à l’aide de palans électriques et la caméra manipulée par télécommande.
Un double système d’électroaimants arrime la caméra sur le travelling au plafond puis sur la poulie qui lui permet, à l’aide de deux câbles, de descendre au sol jusqu’à ce que le cadreur s’en empare.
Mais le jour J, la pression est énorme, la journée est très chargée avec 400 figurants qui patientent dans la fosse et malgré des essais concluants la veille au soir, le cadreur propose une autre version plus simple et plus rapide. « La première des qualités, c’est le bon sens », souligne le chef machiniste Jan Gagnaire qui en accepte l’idée.
Pour ce décor de la Gaité Lyrique, le chef opérateur Mathieu Plainfossé fait appel à un des meilleurs directeurs techniques de Paris, Théo Gazeau, rencontré quelques mois auparavant sur le défilé Thierry Mügler dont il avait fait la création lumière.
Il lui adjoint l’élite des lighting designers, Vincent Lerisson, plus connu sous le nom de Lewis et qui fait d’habitude la lumière des concerts du groupe Justice.
Il est l’héritier "créatif" du DJ Medhi avec qui le réalisateur Bertrand de Langeron avait fondé le label Ed Banger.
Opérant dans l’ombre, derrière son pupitre placé tout au fond de la salle de spectacle, Lewis est comme une réplique du DJ face à lui - Scorpex, alias Vincent Cassel - qui fait surgir le son tandis que lui, tel un deus ex machina, fait jaillir la lumière.
Une totale confiance s’établit avec le chef opérateur Mathieu Plainfossé et son chef électricien, Guillaume Lemerle, qui découvrent sur place les propositions de Lewis qu’ils adaptent ensuite aux exigences de la caméra. Fascination réciproque de deux mondes.
Et peut-être que l’observation fine, amusée mais réaliste, du milieu de la musique électro que Bertrand de Langeron propose dans son film Banger ne se porte désormais sur la grande famille du cinéma qu’il a pu observer à loisir durant le tournage et ne fasse l’objet d’un prochain film.

(Propos recueillis auprès de Mathieu Plainfossé, directeur de la photographie, Éric Catelan, opérateur Steadicam, Anaïs Andreassian, première assistante opératrice, Guillaume Lemerle, chef électricien, et Jan Gagnaire, chef machiniste, par Ariane Damain Vergallo pour Leitz Cine)