Bright Star
de Jane Campion, photographié par Greig FraserUn film très attendu qui marque le retour en compétition cannoise de la cinéaste récompensée par la Palme d’or en 1993.
Comment la réalisatrice vous a-t-elle présenté le projet ?
Greig Fraser : A vrai dire, Jane Campion ne m’a jamais donné aucune référence visuelle pour Bright Star. Nous avons lu les poèmes de Keats, et nous avons discuté ensemble de ce qu’ils pouvaient évoquer en termes de lumière ou d’ambiance visuelle… C’était assez passionnant parce que c’est la première fois pour moi qu’une réalisatrice me demande de travailler à partir de poèmes plutôt que d’images, de photos…
En m’immergeant dans l’univers de Keats, qui est finalement assez complexe et pas toujours facile d’accès, j’ai tout de suite eu l’impression qu’il fallait rester sur un créneau très direct et très naturel… Histoire aussi de ne pas distraire l’attention du spectateur en dehors de la chose principale, c’est-à-dire les comédiens et les dialogues qu’ils échangent. Avec le recul, je pense que notre maître mot sur ce film était avant tout la simplicité.
Qu’entendez-vous par simplicité ?
Cette simplicité s’est traduite, par exemple, en couvrant très peu l’action. Jane ne découpait chaque scène qu’avec un minimum d’axes et de prises, et restait sur un mode de mise en scène très économique, très frugal. Vous verrez, il y a très peu de plans de coupe dans le film, ou de très gros plans de visages…
Dans un autre ordre d’idée, on n’a pas vraiment essayé de donner une ambiance avec la caméra… Je n’ai jamais filtré, par exemple. Je pense que Jane voulait juste capturer avant tout l’action, sans artifice particulier, et en traduisant à l’écran les différentes saisons qui rythment l’histoire.
Ces saisons ont donc sûrement avoir eu une importance par rapport à votre travail d’image…
Jane a vraiment écrit le film de manière à ce que les saisons accompagnent l’histoire. Ce qui me rappelle d’ailleurs que, parmi les rares tableaux auxquels les mots de Keats et le script m’ont fait penser, il y a la série des bottes de foin de Claude Monet. Bien sûr, l’idéal aurait été qu’on tourne par intermittence sur une année complète… Mais c’est rarement comme ça que ça se passe ! Le film a été tourné sur la période de mars à juin, presque entièrement en Angleterre, à l’exception d’une scène finale à Rome.
La précision des repérages a été très importante pour arriver à nos fins… Pour le décor de la maison, avec les murs en bois très sombres par exemple, j’ai essayé d’éclairer plus en direct pour l’été et le printemps, tandis que je diffusais plus les projecteurs pour les parties hivernales. La lumière change ainsi complètement la manière dont le lieu est perçu à l’écran.
Quels types de projecteurs avez-vous utilisé par exemple pour ce décor ?
J’ai éclairé majoritairement par l’extérieur, en utilisant des Wendy Light, ces sortes de Maxi Brutes géants d’environ 40 kW (36 lampes Par de 1 kW ou 650 W), gélatinés en CTB. Très peu de sources à l’intérieur, pas de fluos. A l’exception d’un Image 85 placé au plafond d’un des décors, pour donner un petit niveau d’ambiance…, mais que je n’ai finalement pas allumé car je n’étais jamais satisfait par la qualité de lumière comparée aux sources tungstène.
Parlez-moi un peu du plan de fin…
Le plan final est un vrai défi. L’équipe machinerie avait passé la journée entière à construire ce travelling de 90 m qui dure à l’écran un peu plus de 2 minutes… Nous nous sommes installés un peu plus de deux heures avant le coucher du soleil, de manière à avoir suffisamment de temps pour répéter. Mais comme à chaque fois dans ce genre de cas, le temps passe plus vite que prévu ! Et à la fin, la prise qui est montée est celle qui a été faite vraiment à la dernière minute à pleine ouverture (T2), juste avant que la nuit nous force à arrêter ! Comme j’avais très peur de ne pas avoir assez d’informations sur le négatif, dès le lendemain, je me suis empressé d’appeler le laboratoire où le télécinéma était fait pour savoir si ça passait… Je dois avouer que je suis encore maintenant très étonné par le rendu final que je trouve très beau…
Quel était votre choix en matière de caméra ?
J’ai tourné la plupart du film avec une série Cooke S4. Mais, dans certaines situations, je savais que j’allais avoir besoin d’optiques grandes ouvertures. J’ai essayé les Master Prime, mais je les ai trouvées trop dures et trop contrastées en terme de rendu comparé aux Cooke…
Du coup, j’ai décidé d’investir dans une série Optica Elite, des objectifs russes fabriqués à Saint-Pétersbourg dont le rendu en grande ouverture est finalement assez proche de la douceur des Cooke. Cette décision a été motivée par la prépondérance des visages dans les images du film. C’est aussi pour cette raison qu’on a décidé de tourner en 1,85:1 plutôt qu’en format 2,35:1.
Vous n’avez pas envisagé de tourner en numérique ?
Lors de notre expérience précédente avec Jane (un des courts métrages du film du 60e anniversaire du Festival de Cannes), nous avions pu tourner avec la caméra Genesis de Panavision. Et le résultat nous avait réellement enchanté.
Mais le film reste pour moi le média le plus défini en information et en richesse de couleurs, ce qui est capital quand on filme des visages comme sur Bright Star. Certes, quand un projet regorge de paysages ou de scènes d’actions, le choix peut tout à fait être différent.
La richesse et la qualité à l’écran des rendus de carnations reste encore l’un des points sur lequel la prise de vues argentique est – à mon sens – supérieure à la prise de vues numérique...
Du point de vue pellicule, le film a été tourné en Kodak 500T Vision3, ainsi qu’en 250D et 50D pour les extérieurs.
Comment s’est effectuée la postproduction du film ?
Toute la postproduction du film a été faite à Sydney. C’est Olivier Fontenay, du laboratoire Deluxe, qui s’est chargé du travail. On a scanné le film en 2K et on a pu faire un inter numérique avec lui. Je dois dire que j’ai entièrement confiance en lui, et que son apport a été grand dans la phase d’étalonnage. En fait, les outils très sophistiqués fournis par le numérique ne nous ont pas spécialement servis dans cette phase. On a essayé de conserver un esprit d’étalonnage assez proche de ce qu’on aurait pu faire en argentique.
Vous n’avez pas été tentés d’utiliser l’étalonnage par zone par exemple ?
Si bien sûr, si vous avez la possibilité de jouer les quelques fenêtres d’étalonnage, je pense que vous êtes bien bêtes de vous l’interdire ! La seule chose, c’est de faire en adéquation avec la manière dont le film a été filmé… Je pense d’abord que pour vraiment bénéficier des possibilités offertes par la machine, il faut que, sur le plateau, on sache déjà si le film va être suivi d’une chaîne numérique ou pas. Et puis que le réalisateur, ou que le producteur, ne change soudain pas d’avis à 180° en cours de route, en demandant de transformer une scène très sombre en scène claire !
Sur Bright Star en tout cas, tout s’est très bien passé avec Jane, et ça nous a permis de gagner du temps sur certains décors. Si je prends l’exemple de la chambre de la jeune fille, c’est très révélateur… C’était une mise en place en décor naturel, au deuxième étage d’une maison… A cause de la hauteur, j’avais donc beaucoup de mal à contrôler la lumière en provenance mes projecteurs placés à l’extérieur. Une fenêtre d’étalonnage bien placée permet soudain d’assombrir telle ou telle partie du décor, de faire mourir la lumière la où c’est nécessaire…, sans avoir à installer une forêt de drapeaux en extérieur à 12 m de haut… C’est là où les possibilités modernes de la retouche numérique prennent tout leur sens et permettent de faire réellement économiser de l’argent.
(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)