Compte rendu de l’Atelier Focus Innovation

Par Philippe Ros, AFC
L’Atelier Focus Innovation, organisé par Marc Bourhis, délégué adjoint Technologies et Edition à la Ficam, s’est tenu le jeudi 6 février 2014, à la veille du Micro Salon de l’AFC. Cette journée avait pour but de faire comprendre la dématérialisation des contenus dans la filière Cinéma et la convergence des " workflows " IT.

Personnellement, en tant que directeur de la photo, depuis la dématérialisation, je n’ai jamais vu autant de matériel sur un plateau, mais ce n’est peut-être qu’une impression. Aussi, il m’a semblé intéressant d’essayer de me débarrasser d’un certain nombre de préjugés. Pour lire cet article, je recommande de ne pas être trop allergique aux anglicismes et aux acronymes.

Si l’on parle de dématérialisation, on n’est pas forcément obligé de se référer aux systèmes de déplacement spatio-temporel de Star Trek. Plus simplement, la dématérialisation fait référence au passage du film ou de la cassette aux fichiers numériques. Plus récemment, on peut parler du stockage sur le Cloud. On reviendra sur ces nouveaux termes.
Quant aux " workflows " IT, ils font référence aux chaînes numériques intégrées dans les nouvelles technologies de la communication.
Je ne ferai pas le compte rendu complet de toute les présentations afin d’éviter que cet article ne fasse pas l’équivalent d’un fascicule de 80 pages. Décision fort subjective mais vous pourrez cependant toutes les télécharger sur le site suivant www.focusinnovation.fr.
Ce site est une véritable plateforme de veille technologique qui, avec le travail de la CST, permet de nous tenir vraiment au courant. Je conseille de télécharger l’intro faite par Marc qui donne un bon aperçu de l’évolution de nos métiers.

L’introduction de Marc Bourhis commençait par ces données récentes
Tournage
Raz-de-marée des caméras grands capteurs 2K/4K (chiffres Ficam : en 2013 plus que 13 % de longs métrages tournés en pellicule)
Postproduction
Disparition de la postproduction traditionnelle : 24 % en 2009, 1 % en 2013 (chiffres Ficam)
Distribution-Exploitation
Fin 2014, 100 % des cinémas français pourront recevoir des DCPs dématérialisés.
Selon les chiffres Cinego, les salles de cinéma françaises sont presque intégralement équipées en accès dématérialisé (Sur 1 959 cinémas équipés en numérique 1 148 cinémas sont connectés via Smartjog/Ymagis et 673 via Globecast).
Estimation en France : 1/3 de livraison via disque dur - 2/3 de manière dématérialisée (50/60 000 films livrés en ligne en 2013)

Présentation de Franck Montagné
Spécialiste en postproduction, consultant à l’AFC
Dématérialisation : l’impératif de parler le même langage
Cette présentation utilisait une nouvelle application (Prezi) qui permet par sa dynamique et ses effets de zoom très maîtrisés de comprendre l’imbrication de l’ensemble de la chaîne numérique cinéma. Du tournage en passant par le traitement des rushes, le stockage " raid ", le montage " off line ", les VFX, l’auto confo, jusqu’aux PAD, DCP et autres produits délivrés, toutes ces phases sont étudiées par Franck avec pour mission de redéfinir les étapes clés de la fabrication et de l’exploitation d’un film en fonction des avancées technologiques de la dématérialisation des contenus.
L’impératif de parler le même langage est au cœur du problème. Plus la technologie progresse plus de nouveaux noms apparaissent sans que leurs définitions soient véritablement contrôlées par une quelconque instance. Le travail de Franck permet à chaque passage entre les différentes étapes de fabrication de saisir la présence ou l’absence de standard et les effets qui en découlent.
Pour nous directeurs de la photo, c’est, dans un premier temps, une analyse synoptique très importante qui nous permet d’identifier et de comprendre les difficultés que nous pouvons rencontrer au niveau de la qualité tout au long de la chaîne numérique. Dans un second temps, les possibilités dynamiques de cette présentation vont en profondeur dans toutes les phases en identifiant les procédés et les dénominations.

"Workflow" de long métrage
"Workflow" de long métrage


Voir en détail le schéma d’un exemple de " workflow " de long métrage réalisé par Franck Montagné.

Je conseille vivement à toutes et à tous d’assister à cette présentation qui est extrêmement claire et instructive.
Pour information, Prezi est une application dématérialisée basée sur… Le Cloud.

Présentation de Tommaso Vergallo
Directeur du laboratoire cinéma numérique de Digimage
" Les bonnes pratiques en matière de sécurisation des données numériques en cours de tournage et de la postproduction "
Tommaso est intervenu en déroulant, diapo après diapo, le " workflow " du film de Jean-Pierre Jeunet tourné en ArriRaw relief au Canada. La présentation mettait en valeur les principaux choix de sécurisation et de communication.
Le volume important de données (1,2 To) était quotidiennement transmis par une liaison en fibre optique spécialement installée entre le prestataire canadien Vision Global et Digimage. Les rushes étaient transcodés en double flux DnXHD115. Le monteur, Hervé Schneid, travaillait sur Media Composer Avid 6, nouvelle version compatible pour les contenus stéréographiques permettant de travailler en double flux et non en simple flux " side by side ".
Possibilité de dissocier ainsi les deux yeux et d’avoir une meilleure qualité pour les travaux qui suivent, effets spéciaux numériques inclus. Thomas Hardmeier, AFC, avait accès, via son iPad, aux fichiers cryptés et pouvait, le cas échéant, envoyer sur la station OSD (On Set Daily) ses corrections pour l’étalonnage.
On peut lire à ce sujet un article plus complet, " Digimage : La technologie au service de l’artistique " sur le site Mediakwest.

"Workflow" de "T.S. Spivet"
"Workflow" de "T.S. Spivet"


Voir en détail le schéma du " worflow " effectué par Digimage pour le film en 3D T.S. Spivet.

La dématérialisation des contenus a permis d’accélérer l’ensemble des processus liés à l’étalonnage, au relief et aux effets spéciaux, malgré la distance entre le Canada et la France. La station d’étalonnage Mistika était considérée comme le centre du processus gérant toutes les entrées et sorties du film fini. A cette époque, en 2012, le débat sur le stockage sur le Cloud n’a pas eu lieu pour ce film.
La position de Tommaso est simple sur ce point : « Le Cloud comme seul et unique lieu de stockage ? Certes non ! Mais en parallèle avec des sécurisations sur LTO, bien sûr ! De plus en plus de productions pensent que le fait de stocker chez eux leurs rushes et leurs films sur disques durs est une méthode sérieuse. Ils oublient que la durée de vie d’un disque dur est de trois ans ! Toutes les deux générations de LTO, nous sommes obligés de migrer d’un système de LTO à un autre ».

Pour les aficionados des schémas de " workflow ", voir ci-dessous ceux du film Michael Kohlhaas.

Un grand merci à la production des Films d’Ici qui a produit le film et à Focal, la fondation Suisse de formation, qui nous ont gentiment donné l’autorisation de montrer l’ensemble du " workflow " du film. Un grand merci à Jeanne Lapoirie, AFC, pour sa validation. L’analyse du film a eu lieu en Pologne en novembre 2013 lors du séminaire annuel Digital Production Challenge, destiné aux producteurs et directeurs de production et de postproduction.
J’ai mis au point ce schéma avec la même méthode que celui de T.S. Spivet : un synoptique permettant de repérer les endroits les plus sensibles.

Témoignage de Matthieu Straub, DIT
Mathieu Straub, a fait part de son expérience de la dématérialisation qui a commencé pour lui en 2005 sur le film Le Poulain avec une caméra Viper et l’enregistrement sur disques durs. La dématérialisation n’a fait que se poursuivre avec la Red One et l’Alexa. Mathieu a souligné le fait que chaque film génère son propre " workflow ". Aujourd’hui, l’essentiel des rushes de films sont sécurisés sur disques durs ou LTO, tandis que les proxy et le pré-montage transitent via les réseaux IP entre le tournage et la postproduction. A ce jour, Matthieu n’a travaillé sur aucun film dont les rushes en Haute Définition vont directement à la postproduction via les réseaux.
Comme la plupart des DIT, Matthieu emporte généralement un mini-labo qui lui permet de renseigner avec exactitude ce qui a été tourné, avec un rapport caméra, le minutage, des metadonnées.
« Dans de plus en plus de cas de tournages à l’étranger, la postproduction me renvoie même les rushes pré-étalonnés qui sont ensuite visionnés en pleine définition le lendemain sur le lieu de tournage. Le Raw ouvre toutes les possibilités entre tournage postproduction, donc on est plus attentif. Avec la 3D et le 4K, il faut d’autant plus anticiper le volume des rushes quotidiens, les temps disponibles pour les sécuriser, avoir les machines qui offrent les bons taux de transfert pour ne pas avoir de surprise lors du tournage ».

Présentation de Philippe Recouppé
Président du Forum Atena, Chargé du développement du Mastère Spécialisé Expert Cloud Computing de l’ISEP
" Le Cloud Computing est-il soluble dans le cinéma ? "
« Le Cloud est un concept de consommation de ressources informatiques à la demande offrant accessibilité via les réseaux, attractivité des coûts grâce à la mutualisation et ergonomie des services ». Telle est la définition que l’on pourra trouver sur le site de Focus Innovation. Une autre définition donnée par Philippe Recouppé : « Un modèle de déploiement industrialisé de ressources informatiques standardisées sous forme de services à la demande accessibles via Internet ou Intranet ».
Je recommande fortement de télécharger cette présentation bien qu’elle ne pourra pas remplacer le numéro d’acteur fort intelligent de Philippe Recouppé qui nous montre avec beaucoup d’humour que le passage au Cloud est inéluctable avec des conséquences.

Quelques-uns des points abordés :
Avantages
- Rapidité de mise en œuvre
- Adaptabilité en temps réel des ressources aux besoins de l’entreprise et à l’audience d’un service (volumétrie, temps de réponse des applications)
- Facilité de mise en place d’outils collaboratifs
Inconvénients
- Interfaçage avec une infrastructure informatique existante problématique (nouveaux projets)
- Surcoûts liés à une mauvaise connaissance des infrastructures et de l’écosystème Cloud
- Quel niveau de sécurisation et de confidentialité des données ?
- Quelles clauses de sortie, quelle réversibilité des données ? Standard réexploitable ?
Télécharger le document relatif au Cloud Computing.

Présentation de François Helt
Directeur scientifique Highlands Technologies Solutions
" Colorimétrie & préservation "
Je crois avoir déjà vanté les mérites de cette présentation qui permet de mieux comprendre la colorimétrie, l’architecture ACES et aussi les enjeux de la conservation.
C’est toujours plus agréable de ne pas avoir l’air surpris quand on découvre les limites de son disque dur et des différentes interfaces et connectiques. Mais surtout quand on peut mesurer les problématiques de la conservation des fichiers.
Télécharger le document relatif à la présentation de François Helt.

Présentation de Benoît Février
Senior Vice-President EVS et Directeur Scientifique HTS
" Fichiers pivot, mezzanine et de conservation : comment s’y retrouver "
La présentation suivante était fort instructive et très pédagogique sur tout le travail de standardisation des fichiers en cours mais vraiment destiné aux spécialistes de la postproduction.
- A la recherche des " Packages numériques ou formats mezzanine " destinées à différents types d’utilisation : mieux comprendre la problématique de l’encapsulation et des métadonnées
- Nécessité de se référer à de nouveaux standards tenant compte de l’amélioration qualitative de l’ensemble de la chaîne numérique cinéma (compression, couleurs) et de la convergence des " workflows " IT.
Télécharger le document concernant la présentation de Benoît Févrie.

Présentation de Muriel Lebellac
Société Vidéomenthe
" Media workflow solutions "
Prestataire de services autour des solutions distribuées (installation, intégration et formation), Distributeur de solutions audiovisuelles innovantes (IT)
L’intérêt de cette présentation est qu’elle nous montrait Le Cloud où l’on stocke les données de tournage, des clones, des étapes de travail pour le moins cher possible dans des conditions de contrôle qualité et d’expertise qui restent… à définir. Il est à parier que ce type de solutions, qui évitera d’avoir des postes fixes dans des postproductions, rencontrera malheureusement du succès. Les techniciennes d’une société de postproduction présentes à mes côtés ne s’y sont pas trompées.
Télécharger le document relatif aux Media workflow solutions.

Présentation de Nicolas Berthier et Sébastien Dufay
Respectivement Directeur du développement à RS2i et Delivery Manager à RS2i
" SOA et BPM "
(Service Oriented Architecture et Business Process Management)
Dans cette présentation d’une " démarche " de gestion du " management ", les acronymes et les anglicismes étaient plus que nombreux. La volonté d’imposer une nouvelle gestion plus efficace et de faire des économies à travers un mode transversal et l’utilisation du Cloud provient évidemment d’Outre-Atlantique.
Je ne suis pas certain que la référence au " parfait " management de l’Airbus A380 fût vraiment judicieuse quand on connaît les problèmes de compatibilité rencontrés lors de l’assemblage des divers modules de l’avion.
Par contre, le fait que des sociétés, comme TV5 Monde, décident d’utiliser un système qui privilégie les discussions entre cadres sans de réelles concertations avec les techniciens est apparu comme assez inquiétant pour pas mal de participants à cette conférence. Les productions de cinéma sont loin d’utiliser un tel système pour l’instant. Mais je conseille de regarder cette présentation, ne serait-ce que sur le plan sociologique, et de prendre en compte les dangers du Cloud dont parlait Philippe Recouppé.


Télécharger le document concernant la présentation de SOA et BPM.

Pour terminer, j’ai tenu à demander à Marc Bourhis comment il définissait cette journée : « Le thème de cette journée était la dématéralisation des contenus au sens où le rapport à la matérialité des contenus dans le processus de fabrication et de distribution d’un film est devenu une notion très abstraite, qui n’est plus couplée à un support unique tout au long de la chaîne (K7 ou film). La rematérialisation d’un film peut prendre des tas de formes différentes tout au long de la chaîne cinéma aujourd’hui.
C’est pourquoi, sont de plus en plus utiles pour " matérialiser " les différentes opérations réalisées sur un film d’avoir des professionnels comme toi ou Franck qui donnent à voir des schémas synoptiques expliquant les différentes mutations de ce contenu numérique au fil de la chaîne et lui donnant par là même une certaine matérialité via des spécifications techniques concernant les essences et les métadonnées associées. »
On nous demande souvent à Franck Montagné et moi-même pourquoi nous avons besoin de tous ces schémas, Marc en donne une bonne réponse.

Même si le titre de cette session n’englobe pas toute la multiplicité des interventions, notamment celles sur la télévision, le travail de Marc Bourhis a permis de se faire une idée très précise des nouveaux procédés liés à la dématérialisation.
Cette journée donnait une bonne vision du futur avec des points positifs : la standardisation de beaucoup de processus et avec des nuages en prévision sur une large partie des employés de notre profession. L’automatisation est en marche forcée. Malgré les propos rassurants sur " l’optimisation des processus " la réalité est que nous allons voir se créer des générations de chômeurs.

Et pour finir ce long compte rendu, une citation, cela fait toujours sérieux, celle d’un philosophe spécialiste des techniques, Gilbert Simondon : « La culture se conduit envers l’objet technique comme l’homme lorsqu’il se laisse emporter par la xénophobie primitive. La machine est l’étrangère. C’est l’étrangère en laquelle reste enfermé de l’humain, méconnu, matérialisé, asservi, mais restant pourtant de l’humain. La plus forte cause d’aliénation dans notre monde contemporain réside dans la méconnaissance de la machine, qui n’est pas une aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance de sa nature. »
In Sur la technique, PUF.

TIC : Les technologies de l’information et de la communication
NTIC : de nouvelles technologies de l’information et de la communication
Dématérialisation :
https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mat%C3%A9rialisation
Technologies de l’information et de la communication :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Technologies_de_l%27information_et_de_la_communication