"Dark Night : une lueur dans la nuit"
Par Hélène Louvart, AFCNous avons tourné Dark Night en juin 2015, à Sarasota, en Floride. Il faisait très chaud en pleine saison des pluies. C’était ma première collaboration avec le réalisateur Tim Sutton, nous ne nous étions jamais rencontrés avant mon arrivée sur le plateau. Nous avons préparé le tournage par courrier électronique : je lui ai écrit beaucoup, plusieurs fois, et il répondait toujours très précisément.
Tim savait exactement quel genre d’histoire il voulait raconter, et comment il voulait la tourner, jusque dans les choix budgétaires. Notre productrice, Alexandra Byer, s’est également totalement impliquée dans les choix artistiques tout au long du chemin.
Pour ma part, je voulais comprendre qui était Tim en tant que réalisateur, ce qu’il aimait, et surtout ce qu’il n’aimait pas, en tant qu’artiste. Nous avons échangé de nombreuses photos pour définir le concept visuel du film. Nous n’avons pas parlé d’autres films car nous ne voulions pas nous perdre dans les références, mais nous avons, par exemple, examiné des photos de Goodbye Dragon Inn et de Rebels of the Neon God, de Tsai Ming Liang. Tim avait pris beaucoup de photos lors de ses repérages : des paysages atmosphériques, des couleurs qu’il aimait – des magentas bleutés, en particulier -, des lumières naturelles de vitrines et quelques instants de crépuscule. Ça m’a été très utile pour préparer le tournage, car cela m’a donné beaucoup d’indices, et une bonne idée de ses goûts et de sa vision globale. Plus précisément, la façon dont il a cadré ses photos m’a vraiment aidée à comprendre sa façon particulière d’observer le monde qui l’entoure.
Nous étions d’accord sur le fait que le découpage devait être simple et efficace, et de ce fait, le dispositif lumière devait être léger et les cadres construits sur des idées sûres. Nous avons également décidé que les lampadaires défectueux pouvaient s’intégrer à l’esthétique du film, que ce type de lumière spécifique, dans le champ, pourrait faire briller l’obscurité. A part cela, nous devions juste rester ouverts aux possibilités qui s’offraient à nous pendant le tournage, et suivre notre ligne visuelle.
Quand j’ai finalement rencontré Tim, trois jours avant le tournage, j’ai eu l’impression étrange que je le connaissais déjà depuis longtemps. Tout au long des seize jours de tournage, nous étions clairement sur la même longueur d’onde. Nous n’avons jamais douté de nos choix. Chaque matin, Tim dessinait le story-board de la journée, pas plus de seize plans, et nous ne tournions pas plus de deux ou trois plans par séquence, sauf quand je travaillais en caméra portée, donc je n’avais pas de problèmes de raccords lumière. Mais nous avons bien sûr dû travailler dans un plan de travail serré ; nous devions chaque jour nous assurer que nous décrivions visuellement chaque personnage selon le script, pour sa journée, du lever du soleil à minuit. C’est au montage que Tim a assemblé ces histoires séparées en une seule.
Côté technique, nous avons tourné avec l’Amira (en 1,85), les Cooke S4, et avons utilisé des filtres diffuseurs Mitchell pour adoucir les textures numériques. Dans le film, vous pouvez voir un mélange de quelques plans larges (au 25 mm), quelques très gros plans au 100 mm, et quelques travellings tout en douceur, tournés au 32 mm ou au 50 mm depuis un monospace aménagé et conduit avec expertise par notre chef électricien Andrew Gaford -.
J’ai travaillé très étroitement avec notre premier assistant opérateur, Soren Nielson, et notre deuxième assistant, Mo Shane. J’ai créé quelques nouvelles LUTS avec Soren pour les rushes, qui étaient moins contrastées, aux hautes lumières moins fortes, que la Rec 709 standard. Chaque soir, nous appliquions nos LUTS pour le montage. J’ai également pris quelques photos pour servir de référence à l’étalonnage.
La palette de couleurs était très importante pour l’histoire, et était même écrite dans le scénario. Par exemple, lors de la première scène, les lumières rouges et bleues rougeoyantes de la police clignotent sur les cils d’une fille dans un parking de nuit – c’est quelque chose que Tim avait décrit spécifiquement. Ou la scène dans la chambre de Bryce, un jeune skateur de 14 ans, avec son serpent de compagnie illuminé par une lampe rouge vif. Ou, à la fin du film, la façon dont la voiture de Jumper accroche les feux verts. Il y a une interview avec Jumper où nous avons utilisé des effets de changement de couleur (bleue et rouge) quand il parle devant la caméra. C’était clairement un effet de style, mais c’est un parti pris assumé, et ce style est majoritairement naturaliste.
En tournant par ou autour des fenêtres, j’ai diminué la surexposition naturelle avec des tulles noirs ou des gélatines. En général, nous utilisions un Joker Bug 800 W pour renforcer l’ambiance jour, mais le plus souvent en réflexion sur le sol, pour éviter la lumière directe, le Joker Bug 800 W n’étant pas assez puissant pour donner une lumière naturellement aussi réussie que celle du soleil.
Tout au long du film, nous avons ponctuellement utilisé la caméra à l’épaule pour rompre avec les travellings plus longs et plus installés. Cadrer à l’épaule est toujours un grand plaisir pour moi.
Un moment magique pour moi pendant le tournage a été la scène dans laquelle Rosa se promène au crépuscule, juste après la scène de la plage, éclairée avec son seul téléphone portable. Nous avons réellement tourné la scène au crépuscule, à la seule lumière de son téléphone, et à ce moment-là, j’ai découvert que le tournage en numérique est vraiment génial pour tourner dans l’obscurité.
(Traduit de l’américain par Laurent Andrieux pour l’AFC)
- Lire l’article original, en anglais, sur le site de Movie Maker.