Décès de Michel Thévenet, fondateur du laboratoire Telcipro
Michel Thévenet et Telcipro, par Jean-Pierre Neyrac
La carrière professionnelle de Michel Thévenet a commencé chez GTC, à Joinville-le-Pont, en qualité de technicien et rapidement il en est devenu Directeur technique. GTC faisait partie avec LTC, à Saint-Cloud, et Eclair, à Epinay, des trois grands laboratoires dont l’activité essentielle était le développement et le tirage du film 35 mm couleur et noir et blanc. Ces grosses entreprises, toutes familiales, employaient entre 400 et 700 salariés. Plusieurs autres laboratoires de taille plus modeste traitaient le 16 mm couleur et noir et blanc. L’un d’entre eux, le laboratoire CTM, à Gennevilliers, a opéré un (premier) rapprochement avec GTC. C’est alors que Michel Thévenet a "découvert" chez CTM le format 16 mm. Format qui était alors utilisé en majeure partie pour la télévision et le plus souvent en procédé inversible couleur ou noir et blanc. Les premiers films en négatif 16 mm n’étaient pas d’une qualité exceptionnelle et ce format, dit substandard, n’intéressant pas les grands laboratoires : LTC, Eclair, GTC, ceux-ci en laissaient volontiers le traitement aux "petits". Mais Michel Thévenet était, lui, persuadé que ce format avait de l’avenir.
Création de Telcipro
N’obtenant pas les coudées franches chez CTM pour améliorer les conditions de traitement du 16 mm, il donna sa démission pour créer, avec son épouse Claude, un laboratoire spécialisé dans le traitement du film 16 mm négatif. Il s’entoure des meilleurs techniciens de la place et confie à son ami Charly Meunier (ex opérateur de la Fox) la Direction commerciale : Telcipro voit le jour en 1978. On découvre alors, rue d’Alsace à Levallois, un laboratoire ultra-moderne, équipé de machines neuves bénéficiant des dernières technologies, et en particulier le tirage par immersion au moyen d’une machine TCI Debrie (Tirage Continu en Immersion) mise au point par Jean-Pierre Blaublomme. Il faut souligner que le tirage en immersion était impératif en 16 mm, tant ce film était fragile et délicat ; les moindres minuscules poussières sur le support se traduisaient par de la neige à l’écran ! Le succès fût immédiat et le format 16, puis Super 16, est devenu le format d’usage pour le tournage des fictions télévision et des documentaires, et ce, jusqu’à sa substitution par le numérique.
Michel avait proposé à Arane (les effets spéciaux) de s’installer sur le site de Levallois complétant de la sorte l’offre de service aux productions.
Très rapidement, Telcipro acquiert une excellente réputation et devient largement leader sur le marché du traitement du 16 mm. Michel Thévenet n’en reste pas là et ouvrira assez vite une unité vidéo (transfert et duplication) rue d’Alsace, mais en face du laboratoire.
Dans l’impossibilité, faute de place, de passer au format 35 mm, dix ans plus tard, il construira place du Général-Leclerc, à la sortie du métro Anatole-France, un nouveau laboratoire permettant le traitement du 35 mm et regroupant sur 5 000 m2 la totalité des prestations film et vidéo. C’était un ensemble très moderne, vaste et permettant une expansion.
Mais dans l’intervalle, Michel Thévenet s’intéressait au format inventé dans les années 1960 par Rune Ericson : le Super 16. Un des intérêts de ce format résidait dans la possibilité de faire des agrandissements directs en 35 mm. Ceux-ci étaient jusqu’alors exécutés sur des trucas, dont l’inconvénient majeur était la lenteur, et par voie de conséquence, le prix élevé. Michel Thévenet sollicitait donc une nouvelle fois les Établissements Debrie et leur ingénieur Jean-Pierre Blaublomme, pour la mise au point d’une tireuse par agrandissement super 16 / 35 mm, la TAI (Tirage Alternatif en Immersion). Ce procédé plus économique que le tournage direct en 35 mm a connu son heure de gloire notamment avec la sélection et la projection au Festival de Cannes, en 1989, du film de Gérard Vienne, Le Peuple singe. Mais aussi avec de nombreux agrandissements des films de Raymond Depardon (Faits divers) et bien d’autres.
Par la suite, un autre avantage du Super 16 a été de permettre des transferts en vidéo au format 16/9e.
De 5 000 à 8 000 m2
L’importante activité de Telcipro nécessitait une extension des locaux. Avec la construction d’un immeuble contigu, rue Marius-Aufan, la surface passait à 8 000 m2. Le laboratoire compte alors 170 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 120 millions de francs (18 M€).
Puis, avec Henri Cégarra, Président de Télétota, Michel Thévenet convaincra Philippe Dormoy, Président d’Eclair, de créer, en 1988, le Groupe Tectis. Celui-ci était constitué essentiellement de Télétota, Telcipro, Eclair, Duplication France, Even Vidéo… Il sera présidé par Gérald Calderon.
Assez vite, Tectis se séparera de Duplication France, Even Vidéo et de Telcipro.
Michel Thévenet quittera Tectis où il n’est pas resté longtemps, il reprendra Telcipro, en 1995 et pour deux ans, repris ensuite par Renaud Callet, qui lui-même cèdera l’entreprise au Président d’Ecoutez Voir, Patrick Dumez. Ce dernier décidera de déménager rue du Port à Clichy. Il construira un nouveau laboratoire entièrement neuf (machines et locaux). Celui-ci sera liquidé en 2002. Ce sera la fin de Telcipro. Repris à la barre du tribunal par Tarak Ben Ammar, le matériel partira en Tunisie.
Présidence de la FITCA
Michel Thévenet a été élu, en 1993, Président de la FITCA (Fédération nationale des industries techniques du cinéma et de l’audiovisuel), mettant fin à une présidence partagée de longue date alternativement par Philippe Dormoy et Jean-Georges Noël (Président de GTC). Michel a beaucoup œuvré pour un rapprochement entre le Syndicat national des entreprises de vidéocommunication (SNVC) et la FITCA. Cette fusion a donné naissance à la FICAM (Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia), qui est devenue ainsi l’importante Fédération que l’on connaît.
Une grande amitié
J’entretenais avec Michel des relations de grande amitié. Il était pour moi un redoutable concurrent mais un concurrent loyal et droit. Quelques années après la création de Telcipro, nous sommes devenus amis, on se voyait très souvent, nous concevions tous les deux nos métiers comme de l’artisanat et non de l’industrie. Nous partagions beaucoup d’idées, et c’est avec cet esprit d’artisans que nous avons créé ensemble la société Cinarchives, un laboratoire spécialisé dans la restauration des films d’archives. J’en était le gérant mais Michel suivait avec intérêt les travaux que nous réalisions : restaurations photochimiques de La Belle et la Bête, de L’Atalante, des Enfants du paradis, entre autres.
On se parlait souvent au téléphone, on déjeunait et il m’interrogeait sur l’évolution de notre profession, de la technique, sur le devenir de telle ou telle entreprise.
Ces dernières années ont été fort difficiles pour Michel, l’état de santé de son épouse Claude s’étant dramatiquement aggravé.
(Les intertitres sont de la rédaction)
Telcipro et l’AFC
S’étant associé, au tout début de l’AFC, aux projections d’avant-première, le laboratoire Telcipro adhère à l’association en tant que membre associé à part entière en octobre 1995. Michel Thévenet est PDG ; Francine Jean-Baptiste, directrice des relations publiques ; Claire Marquet, chargée des contacts Film / Pub / Courts métrages ; Jean-François Ridame, directeur technique ; Thierry Gazaud, responsable du département Exploitation film et vidéo ; Christian Rever, conseiller Image ; Angela Pascoux, Pascal Massonneau, Jean-Louis Caplain et Gérard Gaveau, étalonneurs Film ; Rachel Maire, étalonneuse Vidéo.
Dans la Lettre de l’AFC n° 33 d’avril 1995, on pouvait lire, sous la rubrique "Nos associés", que « Centrimage et Telcipro [étaient] en voie de devenir cousins germains » ! En effet Jean-Pierre Neyrac et Michel Tévenet, leurs directeurs respectifs, venaient de signer avec le groupe Tectis (holding qui avait réuni Telcipro, Eclair et Télétota en 1988) le rachat à 50-50 du laboratoire de Levallois. Ils avaient créé en commun, neuf ans plus tôt, Cinarchive, une société de restauration et de tirage de films anciens (image et son) ayant à son actif, notamment, la restauration de La Belle et la Bête, de Jean Cocteau.
Début 1998, alors que La Fémis, installée dans les anciens studios Pathé, au 6 de la rue Francœur – où l’AFC bénéficiait d’un 100 m2 au 1er étage d’un pavillon isolé au milieu des bâtiments historiques –, allait fermer ses portes et entreprendre d’importants travaux de rénovation et de mise aux normes, Telcipro nous avait accueillis non seulement à bras ouverts mais aussi en nous ouvrant les portes d’un bureau de deux pièces dans la partie de l’immeuble, située rue Marius-Aufan, à Levallois-Perret, jouxtant celle du laboratoire, et de sa salle de projection, où il était possible d’organiser chaque mois nos soirées d’avant-première. Et nous avait permis d’y séjourner pendant plus d’un an, jusqu’au mois de mai 1999, avant de regagner le 18e arrondissement et d’y avoir cette fois-ci pignon sur rue... Francœur de nouveau. (JNF)