Editorial de la Lettre de juillet-août 2018
Par Gilles Porte, AFCEn utilisant les perforations de la pellicule argentique 35 mm – destinées alors au seul cinéma, non pas dans le sens vertical mais dans le sens horizontal – Oskar Barnack, l’ingénieur en mécanique de précision des ateliers d’Ernst Leitz, révolutionne le geste du photographe ! Que cette initiative de faire visiter des ateliers de lentilles optiques, tout en proposant aux visiteurs d’admirer des images fixes, est pertinente !
Pas question, de ce côté-ci du Rhin, d’opposer la technique à l’objet cinématographique, comme cela arrive au sein d’un Hexagone parfois trop étroit. Pourtant n’est-ce pas grâce, entre autres, à une griffe qui s’introduisait dans la perforation de la pellicule sous l’action douce d’un ressort avant la descente du film, qu’André Coutant avait permis à toute une vague de cinéastes d’abandonner des studios et de descendre dans les rues de Paris avec la nouvelle caméra Eclair ?
Lové dans mon point rouge, impossible de ne pas penser à Jean-Pierre Beauviala qui avait modifié la visée de sa caméra Aaton afin que l’opérateur ne se penche plus sur sa caméra mais que celle-ci vienne se loger sur une épaule, donnant ainsi au cadreur l’impression d’avoir un chat près de son oreille et à un metteur en scène, un tigre dans son moteur !
Combien sont-ils à avoir permis à des cinéastes de changer leurs manières de filmer grâce à l’invention de petits détails qui ont parfois révolutionné le cinéma ? Cela n’a-t-il pas débouché sur la naissance d’un étrange mouvement au début des années 1960, caractérisé par deux notions pourtant antinomiques : "le cinéma vérité" ?
« La vérité dépend-elle de l’outil ou de l’esprit qui s’en sert ? »
Plutôt que de répondre à cette interrogation, qui n’était pas au programme du bac philo ce mois-ci, j’ai une pensée pour les lycéens et les étudiants qui ont rendez-vous sur un autre point rouge ce mois-ci et qui vont attendre en bas d’une liste pour savoir si leurs noms y figurent.
N’oublions jamais qu’il y a parmi eux un artiste qui n’a pas besoin de comprendre les nuances entre la fonction logarithme décimale et la fonction exponentielle… Un futur chef d’entreprise qui n’aura pas besoin de se souvenir des principales caractéristiques des différents éléments qui définissent ce qu’est un système oscillant… Un musicien, dont les notes de chimie n’auront pas d’impact dans sa vie… Une danseuse qui devrait se concentrer sur sa forme physique plutôt que sur la physique en général…
Si le candidat obtient de bonnes notes, tant mieux. Mais si jamais ce n’est pas le cas, faut-il le condamner pour autant ? Nul doute qu’il accomplira des choses bien plus importantes au cours de sa vie. Et si son examen raté l’encourageait, au final, à prendre plus de risques ? Ne cherchons pas à ressembler à André Coutant, Ernst Leitz et Jean-Pierre Beauviala, qui sont des êtres d’exception, mais continuons, à l’AFC et ailleurs, d’essayer de nous accomplir artistiquement, humainement et techniquement dans une passion sans forcément avoir validé tous les examens de passage…
Gilles Porte, président de l’AFC et père d’une ado de 15 ans