Entretien avec David Kessler, directeur général du CNC
accordé à Laurent HoussayLaurent Houssay - La production française a semblé marquer le pas, doit-on craindre une aggravation de cette tendance ?
David Kessler - Si vous prenez le nombre de films produits, on passe de 204 en 2001 à 200 l’année suivante, ce qui reste un chiffre fort car je rappelle que c’est trente films de plus que les années précédentes, 200 reste un nombre historique en termes de films agréés.
On a certes constaté un recul des investissements de Canal+, vraisemblablement à cause de la baisse du nombre de ses abonnés, mais il n’y a rien de tout cela qui soit dramatique en termes macro-économiques : on ne peut parler de baisse brutale de la production, ni de baisse grossière du financement, ces chiffres indiquent le maintien d’une production à très haut niveau.
On n’est pas en situation de crise.
En revanche, on s’aperçoit que certains films ont plus de mal à se financer et c’est une tendance forte aujourd’hui ; même si les chaînes de télévision remplissent leurs obligations, elles mettent un peu moins sur chaque film. L’ensemble des financiers regarde de plus près les budgets et il y a une réelle difficulté à boucler les financements, ce qui explique certainement le recours à des financements internationaux qui sont de plus en plus nombreux. Aujourd’hui, les producteurs ont besoin d’autres sources de financement.
L. H. - Les tendances que vous décrivez ont des conséquences directes sur les industries techniques françaises, le phénomène de la délocalisation des tournages pèse également sur l’activité de ces industries, comment enrayer ces phénomènes ?
D. K. - Un des volets importants de la communication du ministre de la Culture (ndlr : le 30 avril dernier, en Conseil des ministres), c’est d’encourager les financements liés à la localisation.
En Europe, il y a des pays en termes d’aide au cinéma qui ont porté tout l’accent sur la localisation et souvent au détriment du soutien à l’industrie nationale, à l’image des fonds régionaux allemands ou du système britannique. Nombre de pays ont ainsi créé des " tax-shelters " (abris fiscaux), du coup on peut voir des films américains aidés par des fonds allemands.
En France, inversement, le soutien à l’industrie nationale du cinéma a probablement un peu négligé les aides à la partie technique, même si, dans notre système d’agrément, des points sont liés à l’utilisation de moyens techniques français. Mais cela n’était pas suffisamment incitatif pour éviter qu’un producteur se dise qu’il paiera moins cher en allant tourner ailleurs.
Ce que préconise le ministre, c’est la mise en place justement d’incitation à la localisation.
Il y a deux mesures importantes à cet égard : une qui est d’ores et déjà actée, c’est l’aide apportée par l’Etat à la mise en place des fonds régionaux. Dans le mécanisme prévu, lorsqu’il y aura des fonds régionaux, pour deux euros mis par un fonds régional l’Etat viendra apporter un euro. Avec cet effet de levier, on souhaite encourager les Régions à aider la production. Les Régions peuvent évidemment poser des conditions en fixant par exemple le pourcentage des dépenses de production qui sont effectuées localement.
Le second aspect, qui est mis à l’étude mais dont on espère qu’il débouchera dans le projet de loi de finances 2004, c’est le crédit bail fiscal. C’est en réalité une forme de tax-shelter à la française dans laquelle une des conditions d’octroi du crédit-bail sera la localisation du tournage en France. Les régions ont un intérêt direct à soutenir une production dès lors qu’une partie du travail se fait chez elles. Il faudra jouer sur le cumul des mécanismes régionaux d’aides et d’incitations fiscales, avec la mesure, très importante, qui permet aux collectivités locales d’exonérer une industrie technique de la taxe professionnelle si elle a des difficultés. Tout cela doit constituer une incitation favorable à la relocalisation des tournages. Il est vrai aussi que le problème des coûts de main d’œuvre fait qu’il peut être, malgré tout, plus intéressant d’aller tourner à l’étranger, mais ce sont là des problèmes qui ne sont pas propres au cinéma. Cela relève d’une politique générale sur les charges. Il faut s’employer à diminuer les contraintes, c’est ce que souhaite le gouvernement.
L. H. - Les directeurs de la photo sont préoccupés par les questions liées au droit d’auteur, notamment face à la multiplication des supports et les risques de dénaturation du travail qui est le leur. Peut-on en attendre des évolutions ?
D. K. - Sur cette question du droit d’auteur, la France a, c’est vrai, cette spécificité qu’elle partage avec d’autres pays européens qui n’est pas le copyright à l’anglo-saxonne. C’est à cette spécificité que je pense, et les pouvoirs publics et toute la communauté des auteurs y sont fondamentalement attachés.
La difficulté aujourd’hui tient aux questions de mise en œuvre de ces droits, aux nouvelles technologies, à un certain nombre d’usages des œuvres, même à l’utilisation des œuvres cinématographiques à la télévision ou à la création d’une œuvre multimédia avec des extraits...
Ce qui me semble indispensable, s’il doit y avoir des évolutions, c’est qu’elles se fassent en liaison avec les auteurs. Les auteurs ne sont pas totalement limités là-dessus. Ils savent très bien qu’il faut des évolutions mais dans le respect des principes de ce droit, c’est dans ce cadre-là que les choses doivent évoluer.
Cela fait l’objet de discussions notamment sur l’application des directives européennes sur la propriété intellectuelle, mais c’est évidemment difficile car nous sommes dans un univers mondial où la vision anglo-saxonne a tendance à vouloir s’imposer.
C’est aussi la tâche du Conseil supérieur de la Propriété littéraire et artistique au ministère de la Culture, qui rassemble les représentants des industries, des intellectuels, des spécialistes, des juristes et des auteurs, de façon à ce que des décisions sur ces sujets ne se prennent pas sans concertation. Je pense que le rôle des pouvoirs publics, c’est à un moment de trancher, même s’ils doivent aussi, notamment s’agissant d’application de directives, proposer des textes. Je sais qu’ils sont très attachés à ce que cela se fasse après une concertation.
Evidemment sur ces sujets-là, il n’y a pas toujours d’unanimité et il faudra des arbitrages, mais la concertation est un élément fondamental à la préparation d’arbitrages.
L. H. - Les projets de réformes des institutions européennes montrent qu’il existe le risque de voir la politique culturelle se décider à la majorité des 15 (bientôt 25) états-membres de l’UE, au lieu de l’unanimité actuellement en vigueur.
Y voyez-vous des risques sérieux pour le cinéma ou plus largement la culture ?
D. K. - Si on passe à la majorité qualifiée, la notion même de politique culturelle sera assez rapidement compromise face aux tentations de trocs entre Etats membres.
Le risque est également très important lors des négociations commerciales multilatérales à l’OMC, sur des sujets de politique culturelle qui vont bien au-delà des seules questions de droit d’auteur.
Dans l’Union européenne, il ne faut pas qu’on se trouve avec des compromis qui soient liés à des majorités de circonstance selon les besoins de tel ou tel pays. C’est la raison pour laquelle la France se bat pour que soit maintenue la prise de décisions à l’unanimité, comme cela a été rappelé à Cannes par les ministres de la culture et Mme Viviane Reding, commissaire européen pour la culture et l’éducation, puis par les directeurs des agences européennes en charge du cinéma (cf. rubrique CNC).