81e édition de la Mostra de Venise

Entretiens avec Elin Kirschfink, AFC, SBC, et Carine Tardieu, réalisatrice, à propos de "L’Attachement"

"Rien ne vaut la vie", par François Reumont pour l’AFC

Contre-Champ AFC n°358


Sélectionné à Venise dans la section Orizzonti, le cinquième film de la réalisatrice Carine Tardieu aborde le thème des liens familiaux qui se tissent sur deux ans à l’issue d’un drame. Marqué dès les premières scènes par un deuil maternel, L’Attachement évite pour autant le patos grâce à l’interprétation lumineuse et pleine d’innocence du personnage d’Elliot par le jeune César Botti (6 ans). C’est Elin Kirschfink, AFC, SBC, qui signe les images de ce film produit par Fabrice Goldstein et Antoine Rein (Karé Productions). (FR)

Sandra, une quinquagénaire farouchement indépendante partage soudainement et malgré elle l’intimité de son voisin de palier et de ses deux enfants. Contre toute attente, elle s’attache peu à peu à cette famille d’adoption. Mais qui est-elle pour eux ? Qui sont-ils pour elle ?

Elin Kirschfink : Ce n’est pas un film choral, mais pourtant difficile de savoir qui est le protagoniste principal ...
Les 4 personnages (Alex, Sandra, Emillia et Eliott) ont pour moi la même importance dans le film, et leurs points de vue respectifs jouent tour à tour. Ce qui me semble très cohérent car le film parle au fond du lien dans une famille. Qu’est-ce que cette chose, par quoi elle se constitue, et bien sûr comment ce lien se construit à travers le temps... Et c’est surtout de ce lien qu’on a parlé en préparation avec Carine. Elle a une manière très précise de travailler, elle prépare en pré-découpant l’intégralité des scènes, et en confiant à l’équipe un document très complet qui rassemble les influences, le découpage, et les idées pour toute la fabrication du film. Ensuite, libérée de cette question, elle peut se consacrer totalement aux comédiens sur le tournage. C’est aussi une réalisatrice très attachée au texte, et aux mots qui sont dits. Pour elle, pas vraiment question de changer une ligne de dialogue sur le plateau, et face à des comédiens qui sont des bêtes d’improvisation, il faut savoir obtenir les choses et tenir la barre !

Où avez-vous tourné ?

EK : Même s’il n’en est pas fait mention dans le film directement, tout a été tourné à Rennes, en limitant au minimum les déplacements, dans une démarche de production très respectueuse de l’environnement. Tout a été fait donc en décors naturels, avec notamment ces deux appartements voisins de palier qu’on souhaitait vraiment trouver en réalité. Ce qui a été presque chose faite, puisqu’on a finalement déniché deux appartements dans le même immeuble, mais à un étage d’écart. Ce face à face a été tricoté avec le découpage, et grâce à cette situation on pouvait très facilement garder une certaine continuité dans le jeu en déménageant simplement d’un étage en fonction des scènes... Ne pouvant pas me libérer sur l’intégralité de ces deux blocs à cause d’un autre engagement, c’est Yann Maritaud qui m’a remplacée sur une dizaine de jours, dans la partie tournée en hiver. Pour se mettre d’accord, il est venu préalablement cadrer une deuxième caméra sur la séquence du mariage (la seule tournée à deux caméras) et a pu observer notre méthode avec Carine sur quelques jours de préparation découpage. Ce découpage étant assez établi à l’avance et intégré dans le moodboard que j’évoquais, Yann a regardé les rushes de la première partie et s’est généreusement mis dans mes pas. Je pense qu’on ne peut pas vraiment distinguer une différence entre les deux parties.

L’écriture du film repose beaucoup sur le temps qui passe, les chapitres étant marqués par l’âge de la jeune protagoniste.

EK : C’est vrai que je me suis un peu creusée la tête pour pouvoir faire passer le temps et les saisons à l’image mais avec une réalité qui en décide parfois autrement. La séquence de fin, par exemple, qui se veut très solaire dans le parc a été planifiée en été pour assurer la météo, mais nous sommes passés à deux doigts d’une journée sinistrée à cause... d’une pluie d’été torrentielle qui a fini par cesser en fin de matinée mais alternant entre très gris et plein soleil par la suite...
Sur les appartements, j’avais assez peu de marge de manœuvre, avec des plafonds très bas et peu d’options de contrôle depuis l’extérieur. Pour aller vite et pouvoir passer d’une scène et d’une saison à l’autre, ou assurer le raccord face à la course du soleil, j’ai décidé d’utiliser des plaques de plexiglas, en 2 types de densité, qui pouvaient rapidement être installées sur les fenêtres et contrôler le niveau de lumière extérieure pour équilibrer différemment la compensation intérieure. A la réception de ces plaques nous avons eu la surprise qu’elles étaient très teintées cyan… On a fait "avec", en alignant les compensations en vert et/ou bleu en fonction du mélange que nous souhaitions et pouvoir étalonner l’ensemble d’une manière cohérente.

Je préfère encore aujourd’hui travailler en classique, avec des HMI ou Tungstène, même si effectivement les LEDs font partie intégrante de la palette. Avec Jean-Baptiste Moutrille, mon fidèle et génialissime chef électro, nous étions partis sur l’idée de compenser la lumière extérieure, entrant par une grande baie vitrée orientée sud, par des HMI (M18 et surtout des Joker Bug 800 avec Source Four, avec lesquels il est facile de faire du billard sur des matières diverses). On a abandonné cette idée après deux jours… l’appartement plein sud avec lumières et équipe devenant un sauna… Et finalement, travailler avec des LEDs en RGB a permis de nous adapter plus rapidement en couleur par rapport aux couleurs du plexiglass qui selon les densités étaient différentes.
Des grandes casquettes, installées sur des poulies à partir de l’appartement au-dessus par Corentin Geisen, notre chef machiniste (top aussi), pouvaient être équipées en noir ou en diffusion et mis en place avec une relative rapidité.
Évidemment ces deux systèmes combinés n’étaient pas une solution magique comme une tente Quechua qu’on jette en deux secondes, nous faisions des choix, en fonction de la météo annoncée et les séquences à tourner, le jour précédent.
Une terrasse nous a permis d’installer un Molebeam, avec lequel, sur des multiples miroirs, on faisait rentrer des fausses taches de soleil dans certaines séquences.
Avec Mathieu Vaillant, le premier assistant réalisateur, nous avions préalablement répertorié chaque saison, et chaque ambiance lumière souhaitée dans ces appartements, le scénario se déroulant en tout sur deux années. A la fin, je me rends compte que ce sont beaucoup les costumes, le décor et la mise en scène qui marquent le temps à l’image. On s’aide par ailleurs aussi dans cette narration du temps par des plans de coupe extérieurs, que ce soit la ville qui s’invite dans une séquence, les gouttes d’eau qui se mettent à tomber, du givre sur les tombes…

Le film démarre assez froid, pour retrouver un peu de chaleur, et s’achever dans le blanc... Est-ce une volonté de votre part ?

EK : Je ne suis pas trop dans l’intellectualisation de la lumière. Difficile, par exemple, de mettre des mots sur telle ou telle évolution, ou bascule à l’échelle du film. Je fonctionne beaucoup plus au ressenti, aux sensations sur le film en me considérant comme une humble écouteuse de chaque séquence, en essayant de proposer des solutions à la fois simples et rapides pour faire rentrer les scènes dans le plan de travail, souvent plutôt chargé. Pour construire ma continuité de lumière je lis et relis et relis encore et encore le scénario, en intégrant à ma vision de départ au fur et à mesure les contraintes liées d’abord aux décors puis les contraintes liées au plan de travail. Avec cette méthode j’arrive à construire quelque chose qui me semble cohérent au niveau artistique et pratique… Mais ce chemin est complexe sur toute la durée de préparation et à la fin je ne sais plus de quoi je suis partie. 

© 2024 - Karé Productions - France 2 Cinéma - Umedia


Une autre illustration d’intégration des contraintes est par exemple le travail avec les (grandes) lunettes que porte Valéria, partie intégrante et accessoire de jeu du personnage. Cet élément force une certaine manière d’éclairer et nous avons fini par donner à nos cadres des allures de fenêtres, en collant des faux montants au gaffer ou habiller avec des formes arrondies nos sources pour qu’elles ressemblent vaguement aux lampes dans le décor. Ça a marché pas trop mal, à part une séquence où je n’ai pas anticipé, j’étais tellement fatiguée que je me suis endormie à la caméra, elle est facile à trouver !...

En outre, quand vous vous retrouvez avec des très jeunes enfants comme acteurs principaux, l’adaptabilité est primordiale. C’est une des raisons du choix de tourner en S35 avec des optiques modernes, les Summilux, Alexandre Berry (love love) est très bon pointeur, mais pas envie de le mettre sous pression avec la profondeur de champ minimaliste d’un grand capteur, comme on l’a fait sur Sambre, de Jean-Xavier de Lestrade, par exemple.

© 2024 - Karé Productions - France 2 Cinéma - Umedia


Justement parlons des enfants qui sont au centre de cette histoire...

EK : C’était notre petit comédien César et les plusieurs petites filles qui incarnent sa demi-sœur qui étaient toujours prioritaires dans l’ordre de tournage. On commençait presque invariablement par eux, leur temps disponible étant très limité comparé au reste du casting. Pour faciliter les choses, Carine a pas mal utilisé de longues prises au cours desquelles elle peut faire reprendre un mot, une phrase dont elle se servira au montage. Ceci afin de garder une certaine fluidité et ne pas rompre l’importance des premières prises. Sur ce genre de séquence, on doit être prêt tout le temps à la caméra. Je m’installe alors sur un cube, avec des roulettes, et je peux immédiatement me repositionner ou trouver la place parfaite. Cette priorité oblige aussi parfois à couper une scène en deux, et assurer le raccord direct le lendemain avec les adultes. Par exemple, la séquence du stéthoscope avec la petite fille, qui est presque un petit miracle vu l’âge de la comédienne (12 mois) a été tournée sur deux jours avec un grand soleil le deuxième jour que je n’avais pas la veille... Quant aux séquences de nuit, elles ont presque toutes été tournées de jour, avec des borniols. Certes, on perd un peu dans les profondeurs, mais, là encore, c’est la présence des enfants à l’image qui détermine la configuration de tournage.

Une autre donnée liée à la présence des enfants est la hauteur du point de vue souvent très bas et de ce fait en contre-plongée. Cela fait de la construction des plafonds techniques un casse-tête chinois. Déports et modularité, Corentin a poussé son inventivité jusqu’au bout et là-encore notre découpage préalable nous a beaucoup aidés dans l’anticipation. Dans mon souvenir, on ne s’est trouvé qu’une fois dans la situation où les dispositifs techniques rentraient dans le champ…

Qu’avez-vous appris sur ce film ?

EK : A chaque film j’apprends un peu plus à faire confiance à mon instinct… Au cadre ça a toujours été très évident et avec le temps je me rends compte qu’en lumière quand on me fait confiance comme Carine le fait, je peux me faire confiance aussi… Je tiens aussi à transmettre un immense merci à toute mon équipe image, ainsi qu’à Pascale (déco), Gaby (accessoires) Nathalie (costumes) et Sylvian (régie), qui ont été des collaborateurs et collaboratrices essentielles…

Elin Kirschfink et Carine Tardieu, en 2021, sur le tournage des "Jeunes amants" - Photo Thibault Grabherr
Elin Kirschfink et Carine Tardieu, en 2021, sur le tournage des "Jeunes amants"
Photo Thibault Grabherr


L’attachement est un film sur la famille, et sur le temps qui passe. Comment raconter ça au cinéma ?

Carine Tardieu : J’ai eu cette idée dès l’écriture, de marquer l’évolution du film via des cartons qui indiquent l’âge de la petite fille depuis sa naissance au début de l’histoire, celle-ci se déroulant donc sur deux ans. Une manière d’évoquer l’irréversibilité de l’attachement, et qui marque en même temps les étapes du deuil puisque chaque anniversaire de cette enfant coïncide avec l’anniversaire de la mort de sa mère. Sur le temps qui passe à l’image, la décision de scinder le tournage en deux blocs (été et début d’hiver 2023) nous a permis de marquer les saisons en extérieur. Mais nous avons quand même eu à tricher parfois certaines ambiances de tournage qui ne correspondaient pas à la saison du film, pour des raisons de disponibilité de lieux ou d’emploi du temps des comédiens. Plusieurs séquences nous ont donné du fil à retordre, comme cette scène de canicule dans laquelle la fillette est conduite aux urgences en pleine nuit, tournée dans le deuxième bloc, avec des comédiens qui devaient endurer, en tenue d’été, des températures négatives. Cela étant, avec un peu de fausse sueur quelques ventilos et des figurants qui s’éventent, la sensation de chaleur paraît plutôt réaliste je crois. Nous nous sommes aussi aidés du calendrier pour marquer les saisons, en mettant en scène de manière plus ou moins visible la chasse aux œufs de Pâques, la galette des rois, la présence d’un sapin ou des décorations de Noël dans la librairie...

Un exemple d’une scène dont la tonalité a dû changer entre l’écriture et le tournage ?

CT : La séquence du déjeuner familial avec le toast de la grand-mère (« A la vie »). A l’écriture, ça devait être un beau déjeuner printanier en extérieur, sous un soleil nécessaire à ce stade du récit où l’espoir renaît, l’une des rares occasions aussi, de prendre un peu l’air dans ce film essentiellement tourné dans deux appartements et en ville... Mais elle a dû être rapatriée en intérieur pour cause de mauvais temps... Sur le moment, j’étais franchement dépitée, mais finalement, j’aime me raconter que si ce déjeuner a lieu dans un espace clos, c’est parce qu’il annonce, en creux, que la légèreté apparente qui s’en dégage est trompeuse, que les personnages ont encore du chemin à faire avant d’accéder à une issue disons plus lumineuse, à une forme d’apaisement.

Le premier acte du film est tout de même assez froid, gris...

CT : Comme il s’agit de raconter la mort d’une femme, je ne voulais surtout pas que l’image aille à l’encontre du contexte. Les premières scènes dans la librairie ou dans l’appartement sont relativement austères, la scène de l’annonce de la disparition de sa maman à Elliot est une aube grise un peu triste...

Parlons justement de cette scène capitale, où Eliott apprend la disparition de sa mère... Ce mot "déjà" dans sa bouche résume assez bien à la fois l’innocence et la gravité dans lequel baigne tout le film.

CT : Le film est adapté d’un livre, dont on s’est finalement pas mal éloigné avec mes co-autrices, mais cette réplique en l’occurrence, qui m’avait bouleversée à la lecture, a grandement participé à mon désir de me lancer dans ce projet. Elle nous plonge avec vertige dans la tête de cet enfant dont le rapport au temps est totalement différent de celui d’un adulte : Elliott ne réalise pas ce que c’est que d’avoir perdu sa mère. Il comprend que c’est dramatique et en même temps, n’a pas du tout conscience de ce que ça va impliquer. Et puis j’étais touchée par cette femme de 50 ans, farouchement indépendante, qui n’a jamais désiré avoir d’enfants et qui voit soudain sa vie bouleversée par sa rencontre avec un gamin et son beau-père endeuillés.

Pour en revenir à cette séquence, je tenais à basculer au plus tôt dans le point de vue de Sandra. Nous n’avons pas tourné de plan sur le visage d’Elliot quand Alex lui annonce la nouvelle. Ça me paraissait impudique d’être "sur lui" à ce moment-là, et surtout, rester avec Sandra qui les écoute discrètement nous permettait de vivre avec elle cette bascule, cette cristallisation. A partir du moment où elle a assisté à cette scène, il n’y a plus de retour en arrière possible... Qu’elle le veuille ou non, elle est définitivement impliquée dans leur drame...

© 2024 - Karé Productions - France 2 Cinéma - Umedia


L’autre défi a été d’accompagner Pio Marmaï dans un registre très dramatique et assez inédit pour lui. Pour l’aider, je lui ai suggéré, sans certitude, de mettre son réveil toutes les heures, la nuit précédente, pour atteindre un degré d’épuisement proche de celui du personnage... Et je crois que c’est plus ou moins ce qu’il a fait : ce matin-là il est arrivé sur le plateau, extrêmement concentré, l’air hagard et défait... comme rempli de larmes... Toute l’équipe, silencieuse autour de lui, s’est affairée pour que l’attente soit la moins longue possible entre deux plans, deux prises... Valeria aussi, dans ces cas-là, est une formidable partenaire, très généreuse. Après coup, je crois qu’il était à la fois éreinté et heureux d’avoir réussi à s’abandonner ainsi...

Comment avez-vous sélectionné votre jeune comédien ?

CT : Du haut de ses 5 ans ½ (âge auquel il a passé les essais), César avait une qualité essentielle : l’écoute, une attention aux autres, un regard et une curiosité insatiables pour ses partenaires... En casting, j’ai vu tout un tas d’enfants capables de tenir le texte, mais César s’est imposé d’emblée car il était à peu de choses près le seul capable de gérer le silence notamment. Et puis il avait le désir et la joie ! César débordait d’enthousiasme et se réjouissait, chaque matin, de retrouver l’équipe, les acteurs... Néanmoins, comme tous les enfants de son âge, même avec seulement 4 heures de présence quotidienne, il se fatiguait rapidement, et il fallait savoir tirer parti des premières prises. Aussi, j’ai parfois eu recours à quelques stratégies pour lui faire dire telle ou telle réplique qui ne passait pas naturellement, en laissant tourner la caméra en fin de prise par exemple, et en lui demandant de répéter le texte après moi. Cette méthode du "perroquet" est assez efficace. Je me souviens, par exemple, de répliques très simples qui sonnaient pourtant faux dans sa bouche parce qu’elle étaient écrites avec des contractions et que César parlait "trop bien" pour un enfant de son âge.

Elin évoquait votre bible de travail très épaisse !

CT : En prépa, je pré-découpe in situ l’intégralité des séquences avec Elin, le premier assistant Mathieu Vaillant, la scripte Anaïs Sergeant, nous jouons les scènes, incarnant tour à tour les personnages, cherchons ce qui paraît le plus juste d’un point de vue émotionnel et comment transcender le tout par l’image... Puis je confie à l’équipe ce document très complet qui rassemble mes influences (films, musiques, costumes, etc.), ainsi qu’une sorte story-board composé de photos prises lors de ce pré-découpage. Chacun sachant précisément ce qu’il a à faire en arrivant sur le plateau, je peux me concentrer essentiellement sur mes acteurs.

Pour L’Attachement j’avais pour références des films très différents qui m’inspiraient, l’un pour son casting, l’autre pour ses cadres, sa direction artistique ou tout à la fois... Je me souviens, par exemple, avoir demandé à Vimala Pons de revoir l’un de mes films préférés Tendres passions, de James Brooks (1983), dans lequel Debra Winger interprète un personnage qui me semblait assez proche de celui d’Emilia en terme d’énergie. J’ai moi-même revu Kramer contre Kramer qui met en scène un homme qui se retrouve soudain seul responsable d’un enfant. J’avais aussi en tête Boyhood, pour sa gestion des ellipses, du temps qui passe donc, et les liens familiaux bien évidemment, ou encore le cinéma de Noah Baumbach, qui sait dépeindre les sentiments les plus complexes avec une apparente simplicité. Pour ses cadres aussi... D’ailleurs, sans opposer l’un à l’autre, je crois que je suis plus sensible au cadre qu’à la lumière en règle générale... Et à ce propos, je ne peux pas ne pas citer Claude Sautet dont je revois les films pendant chaque prépa : cette manière qu’il avait d’être au plus près de ses acteurs, son art du champ-contre-champ n’a de cesse de me fasciner. Enfin, je citerais un film moins connu, Kolya, du cinéaste tchèque Jan Sveràk (1996), qui raconte l’histoire d’un musicien célibataire endurci de 60 ans qui doit s’occuper d’un enfant de 5 ans un peu malgré lui.

Qu’avez-vous appris sur ce film ?

CT : Difficile à dire ! Je ressors lessivée de tous mes tournages, pour des raisons à chaque fois différentes... Quand on est réalisateurrice, chaque film demande beaucoup d’obstination, d’engagement, d’énergie évidemment... Je dirais que sur L’Attachement, c’est le casting dans son ensemble qui a été le plus complexe à gérer pour moi. Le cumul de personnalités très fortes du côté des adultes ajouté à la présence du jeune César et de très nombreux bébés a rendu chaque journée pour le moins intense !... Ne rien lâcher, savoir contenir émotionnellement les uns, accompagner les autres à l’inverse, leur donner un espace de liberté suffisant tout en tâchant de leur faire respecter le texte.

© 2024 - Karé Productions - France 2 Cinéma - Umedia


Raphaël Quenard a une personnalité tellement affirmée qu’il faut le travailler au corps pour que celui qu’il incarne prenne la main sur l’acteur. J’avais envie de l’emmener vers un rôle plus en retenue que dans ses précédents films. Son personnage, David, marche sur des œufs - tout au moins dans la première partie du film... Il s’agissait pour moi d’aider Raphaël à trouver un autre rythme de diction, de retenir un peu son allégresse. Vimala Pons, quant à elle, est une grande travailleuse, intense, imprévisible, elle peut être tout et son contraire : d’une prise à l’autre, maîtriser ses sentiments ou s’abandonner complètement à une émotion qu’il me fallait canaliser quand c’était nécessaire. Pour Valeria Bruni Tedeschi, le personnage de Sandra était quasi un contre-emploi. Valeria est d’un naturel assez expansif et puis elle a un rapport très instinctif aux enfants. Or, à l’écriture, Sandra était au contraire une femme dans la retenue, voire distante, qui pèse ses mots. Sur le plateau, je n’ai eu de cesse de réfréner son naturel pour tenir le fil du personnage. Mais au final, son incarnation si organique va bien au-delà de mes espérances. Et même si le tournage a été parfois éprouvant pour nous deux, nous ne regrettons pas nos batailles et je crois qu’elle a désormais très envie de découvrir le film à Venise.

(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)