J’ai fait l’Indo avec Pierre-William
Par Gilles Porte, AFCAprès la lecture de ce roman qui s’inspire de faits réels, je prends conscience de la difficulté à monter un tel projet dont l’action se déroule au Vietnam dans les années 1950. Je propose alors à ce producteur de s’associer à un autre, plus solide. C’est ainsi que je vais chez Little Bear et que je me retrouve face à Frédéric Bourboulon et Bertrand Tavernier.
Dès mes premiers mots, Bertrand m’interrompt pour me dire qu’il connait parfaitement bien cette histoire. C’est son ancien directeur de la photographie Pierre William Glenn qui en a acquis les droits. Pierre-William Glenn dont Dominique Chapuis, décédé en 2001, a été un de ses assistants...
Je viens de rentrer à l’AFC...
Dans un petit restaurant du 18e arrondissement, proche de l’AFC, Pierre-William me confirme que c’est bien lui qui a les droits de ce livre qui met en scène une rencontre entre Roman Lazarevitch Karmen, cinéaste officiel de l’Union soviétique, d’origine ukrainienne, et Gascogne, officier saint-cyrien, capitaine de la légion étrangère...
Je lui présente la preuve que des droits, non renouvelés, ont été vendus à un autre. Un immense silence suit alors mon geste. Pour la première fois depuis notre entretien le regard de Pierre William me quitte pour se perdre quelque part de l’autre côté de la rue Francœur qui prend des allures d’une berge du Mékong...
« Mais Pierre-William, si tu veux faire ce film, dis-le-moi et je ne le ferai pas... »
Pierre-William se retourne alors vers moi et me fixe intensément avec ses yeux clairs. J’ai l’impression d’être dans un western de Sergio Leone où le temps n’est pas celui de la réalité avant que le coup de feu ne retentisse. Puis Pierre-William me demande de lui donner une semaine supplémentaire... Ça fait dix ans qu’il a ce film en tête...
Une semaine plus tard, Pierre-William me donne rendez-vous au même endroit. Il est arrivé en avance. Quand je rentre, il se lève et me tend un scénario co-écrit par Jean Cosmos. Il me confie être allé voir Jacques Perrin à la sortie de notre rendez-vous. Trop occupé par des cétacés au fond d’un Océan, Jacques Perrin a botté en touche. Pierre William et moi parlons alors du scénario, de certaines images qui écrivent l’Histoire... D’un plan en plongée où plusieurs milliers de soldats, encadrés par une poignée de combattants vietnamiens, défilent en forme de S. Un plan qui symbolise à lui tout seul la reddition des combattants de Diên Biên Phù, en 1954. Un plan qui a fait le tour du monde, estampillé "documentaire". Un plan qui a été entièrement reconstitué, trois semaines après la défaite des français, afin de mieux symboliser la capitulation des français au monde entier... C’est Dominique Chapuis qui, après avoir décelé un mouvement de caméra étrange dans un documentaire, a enquêté pour découvrir que derrière une caméra se trouvait un seul homme : Roman Lazarévitch Karmen, cinéaste soviétique, « à la botte » de Staline. Le dictateur exigeait alors de son cinéaste qu’il ramène des images afin d’être plus fort dans des négociations lors d’une conférence « pour la paix » qui se déroulait déjà à l’époque à Genève...
Dans cette histoire, il y avait aussi un autre homme : le capitaine Gascogne. Contrairement à Roman Karmen, Gascogne était un personnage de fiction et n’avait donc pas réellement existé même s’il avait les traits de plusieurs officiers ayant combattu en Indochine. Et c’est cette rencontre, entre Gascogne et Karmen qui était en fait l’histoire principale du roman et du film. Une histoire de respect... Une histoire d’amitié... Une histoire de reconnaissance malgré d’immenses différences... Une histoire d’Hommes... Peut-être certain(e)s diraient aujourd’hui une histoire de Boomer...
Pierre-William et moi évoquions souvent Karmen qui n’hésitait jamais à imaginer un travelling afin de renforcer une émotion en ne cessant de clamer que « la réalité est une fiction mal mise en scène ».
Aujourd’hui, alors que l’Ukraine est envahie par la Russie et que jamais autant d’images ne circulent sur les réseaux sociaux, difficile de ne pas repenser à tout cela.
Mais Pierre-William savait aussi se taire et celles et ceux qui l’ont approché s’en souviennent. Les silences ne l’effrayaient pas et il partageait avec Charles Péguy le fait qu’ « heureux deux amis peuvent s’aimer assez pour savoir se taire ensemble. »
Un jour, après un de ses longs silences, je demande à Pierre William qu’elle est pour lui sa notion de l’amitié. En guise de réponse, il me regarde et me fait un signe du menton pour connaître ma définition. Alors je lui cite Alain Delon : « Un ami c’est quelqu’un qui te réveille à 3 heures du matin en te disant qu’il a tué quelqu’un et à qui tu réponds où t’as mis le corps... »
Pierre William sourit et ne commente pas. J’ai toujours pensé qu’il avait un côté Alain Delon, Pierre-William Glenn, un côté Gascogne et Roman Karmen aussi....
Aujourd’hui, alors que ni Pierre-William ni moi ne sommes arrivés à monter ce film, je repense à ces mots que nous aimions nous répéter : « A trop en parler, on finit par ne pas le faire... ». Avons-nous trop parler tous les deux ? Je ne sais pas... Mais je ne regrette pas d’avoir beaucoup échangé avec Pierre-William même si cela faisait plusieurs mois que c’était beaucoup plus difficile pour lui de s’exprimer et que ses silences prenaient de plus en plus de place...
Merci Pierre-William d’être arrivé en avance à un rendez-vous et de t’être levé...
Merci Pierre-William d’avoir toujours été à l’heure lorsque j’allais te retrouver pour te demander un conseil, échanger un sourire, un silence ou te faire part d’une anecdote au sein de l’AFC où tu ne pouvais plus te rendre.
Et si jamais là-haut tu croises Roman Lazarévitch Karmen et Delon que tu as cadré dans Monsieur Klein n’hésite surtout pas à leur faire répéter la séquence 52 même si toi et moi avons toujours convenu que Truffaut disait une grosse connerie quand il déclarait que « le cinéma était plus important que la réalité ! »...
Ton ami Gilles