"Jean Vigo, l’étoile filante", rétrospective permettant de redécouvrir les images de Boris Kaufman

Contre-Champ AFC n°325

Voir ou revoir les images du chef opérateur Boris Kaufman, frère du réalisateur et théoricien du Kinoglaz – ou Ciné-œil –, Dziga Vertov (L’Homme à la caméra), et de l’opérateur Mikhaïl Kaufman –, est une occasion offerte par la rétrospective intégrale des films de Jean Vigo, en ce moment sur les écrans. Les cinéastes offrent un œuvre poétique où leur vision, concernant la matière filmique, est affaire de point de vue, "documenté", dixit Jean Vigo.

« L’actualité des restaurations marque le retour sur grand écran de l’œuvre de Jean Vigo : quatre films seulement réalisés entre 1930 et 1934, qui contiennent comme en un mouchoir de poche tout un monde d’audaces et de liberté. Fils d’un célèbre anarchiste (Eugène Bonaventure Vigo, dit Miguel Almereyda), Vigo, enfant du siècle né en 1905 et fauché avant la trentaine, a rencontré cet art encore nouveau qu’était le cinéma, sur la bascule du muet au parlant. Dans cette première moitié des années 1930, en même temps que ses formes bouillonnent, le cinéma voit également se renforcer son assise industrielle, contre laquelle Vigo, artiste censuré, incompris, va foncer tête baissée. Beaucoup ont vu se réaliser en lui l’archétype du poète juvénile et maudit. Ce dont témoignent bel et bien ses films, qui portent le réalisme du rêve et de la révolte, et brûlent d’une inspiration ardente.

Tout commence avec À propos de Nice (1930), formidable premier court métrage qui inaugure une veine inédite : celle du documentaire satirique. Le portrait de la ville méridionale se construit dans une mosaïque de vues échevelées, où Vigo et son opérateur Boris Kaufman multiplient les angles et les embardées aventureuses. D’un côté, la bourgeoisie qui se pavane sur la promenade des Anglais : une dame collet monté que le montage compare à une autruche, une autre qu’une suite de fondus défait de sa fourrure et autres vêtements, jusqu’à lambiner nue au soleil. De l’autre, les ruelles insalubres des quartiers populaires où s’ébattent les gosses pauvres, dont certains portant les stigmates de la lèpre. Et pour conclure, le carnaval avec ses chars dont les figures grotesques riment avec cette société désinvolte aux si violentes disparités. » (Extraits d’un article de Mathieu Macheret paru dans Le Monde du vendredi 8 octobre 2021)

« On utilisait tout : soleil, brume, neige, nuit. Au lieu de combattre les conditions généralement défavorables, on en tirait parti. S’il y avait brouillard, on l’augmentait avec de la fumée artificielle, s’il pleuvait, on accentuait la pluie avec des projecteurs. On travaillait jour et nuit […]. On était intoxiqués par les paysages admirables des canaux de Paris et on construisait l’action sur l’arrière-fond des écluses, berges, guinguettes et terrains vagues. » Boris Kaufman (Extrait du dossier de presse de "Jean Vigo, l’étoile filante")

Bande-annonce de l’intégrale Jean Vigo, au cinéma le 29 septembre 2021 en versions restaurées


https://youtu.be/KcB0q5BhLp0

A propos de Nice (documentaire, 24 min, 1930, version restaurée en 4K, en 2017, par Gaumont avec le soutien du CNC)
Une promenade dans Nice où l’on voit le décor et son envers. Avec ce court-métrage qu’il décrivait comme un « point de vue documenté », Jean Vigo se positionne en faveur d’un art engagé, il construit son film sur des contrastes, des associations d’images chocs et porte un regard satirique sur le monde fortuné des estivants.

Taris ou la natation (11 min, 1931, version restaurée en 4K, en 2017, par Gaumont avec le soutien du CNC)
Trois semaines après la réalisation de ce qui devait constituer le premier volume d’une série sur le sport, et restera finalement prototype sans suite, Vigo le reniait déjà. Pourtant, le traitement que Vigo réserve à l’insu sans doute de son sujet, au champion de France de natation d’alors, tient du prodige d’ironie non méchante : nous saurons tout de la nage en piscine, et à la fois rien, bien sûr. L’effort humain est célébré, mais moquée est sa prétention à s’ériger en modèle.

Zéro de conduite , avec Jean Dasté, Robert le Flon, Du Verron (50 min, 1933, version restaurée en 4K, en 2017, par Gaumont avec le soutien du CNC aux laboratoires de L’Immagine Ritrovata et L’Image Retrouvée)
C’est la rentrée scolaire dans un collège de province. La vie reprend avec les chahuts au dortoir, les punitions traditionnelles, les récréations, les études houleuses et les conflits avec l’administration. Un soir, les pensionnaires décident de se libérer de l’autorité des adultes et déclenchent une révolte. Une œuvre impertinente et iconoclaste, la plus autobiographique de Jean Vigo.

L’Atalante , avec Michel Simon, Dita Parlo, Jean Dasté (89 min, 1934, version restaurée en 4K par Gaumont et la Cinémathèque française, en partenariat avec la Film Foundation, avec le soutien du CNC)
La jeune femme d’un marinier, fatiguée de sa vie monotone sur la péniche "l’Atalante", se laisse un jour attirer par les artifices de la ville, laissant son mari dans un profond désespoir. Mais cruellement déçue, elle revient à lui et le bonheur tranquille reprend son cours le long des fleuves, en compagnie du vieux marinier, le père Jules. Un monument du cinéma !

(Source Malavida Films – Intégrale Jean Vigo, actuellement, à Paris 5e, au Reflet Médicis)