Karl Freund, ASC, sa vie, son œuvre... enfin presque !
Par Marc SalomonFaut-il présenter Karl Freund ? Pionnier parmi les pionniers, celui que l’on surnommera plus tard « le père des opérateurs » avait débuté, comme beaucoup de ses confrères de l’époque, en tant que projectionniste, en 1905, avant de commencer à tourner lui-même des courtes bandes dès 1907 puis de travailler pour les actualités Pathé. Sous contrat avec le producteur Paul Davidson à partir de 1913, Karl Freund collabore aux prises de vues de quelques films de la star danoise Asta Nielsen, venue tourner à Berlin avec son mari et réalisateur Urban Gad, accompagnés de leur opérateur Axel Graatkjaer*.

C’est au sortir de la Première Guerre mondiale que la carrière de Karl Freund démarre vraiment quand il commence à collaborer avec F. W. Murnau (Satanas) et F. Lang (Les Araignées). S’il collabora à neuf reprises avec Murnau, Freund refusera de retravailler avec Lang pour incompatibilité d’humeur mais acceptera tout de même, sous l’insistance du producteur Erich Pommer, d’assurer les prises de vues de Metropolis.
Les innovations et les trouvailles de Karl Freund dans Le Dernier des hommes, (Murnau, 1924), pour mettre en mouvement une caméra jusqu’alors jugée trop statique impacteront durablement l’art cinématographique, trois ans avant le Napoléon d’Abel Gance.

Mais Karl Freund fut aussi, avec ses confrères Carl Hoffmann, Fritz Arno Wagner, Willy Hameister, Günther Krampf, Karl Hasselmann… le grand artisan de cette lumière expressionniste, de cette exploration photographique de la pénombre et de la nuit, de « Ces effets de glissement de la lumière sur les murs qui donnent de la profondeur à l’espace » (Lotte Eisner, L’Ecran démoniaque) qui allaient indiquer à tous les opérateurs du monde la direction à suivre.
Parti aux Etats-Unis en 1929, après au moins 70 films tournés en Allemagne, Freund rejoint tout naturellement l’Universal, le studio du fantastique, avant d’être sous contrat avec la MGM à partir de 1936. Récompensé par un Oscar en 1937 pour ses images de Visages d’Orient, suivront deux autres nominations en 1941 avec The Chocolate Soldier, en n&b et Blossoms in the Dust, en Technicolor, maigre palmarès mais il est vrai qu’il ne retrouvera jamais tout à fait les sommets qui furent les siens dans les années 1920 bien que sa notoriété soit restée grande et son travail d’excellente facture. Il mit un terme à sa carrière cinématographique en 1950 après un bref passage à la Warner : Key Largo, de Huston et Le Roi du tabac, de Curtiz.
Rappelons qu’en 1941 Karl Freund avait fondé la société Photo Research et que reprenant le brevet du posemètre Norwood (mesure incidente), il conçut la cellule Spectra Professional, longtemps utilisée par la majorité des opérateurs dans le monde. Il est aussi à l’origine de la Spectra Combi 500, en 1961 (posemètre hybride sélénium-CdS), d’un thermocolorimètre, en 1949 et d’un brillancemètre (spotmètre) en 1953, innovations qui lui valurent un Oscar technique en 1954.

Autant dire qu’il y a matière à développer si l’on veut bien revoir attentivement ses films, creuser une carrière et un parcours hors norme, explorer différentes archives qui doivent bien exister quelque part, en Allemagne comme aux Etats-Unis.
Hélas, l’auteur, Gavin Schmitt, semble tourner constamment autour de son sujet, ce qui, compte tenu de la corpulence du personnage en question, nous donne un rayon assez large ! On ne rentre que trop rarement dans le travail caméra et lumière de Karl Freund mais l’on s’égare dans des digressions sur les conditions de production, la genèse d’un scénario, quelques aspects de la vie personnelle de Freund etc... autant d’informations qui seraient appréciées si elles servaient, dans un premier temps, à replacer les événements dans leur contexte pour introduire ensuite des analyses pertinentes quant au travail spécifique du chef opérateur.
L’iconographie est malheureusement au diapason du texte : anecdotique et hors sujet, juste quelques affiches et photos d’exploitation qui ne montrent en rien le travail de Freund. On notera même que sous une célèbre photo de tournage de Camille (page 128), la légende indique Karl Freund à la place de George Cukor, alors que de surcroit on reconnaît parfaitement William Daniels derrière la caméra !
La quatrième de couverture nous apprend que l’auteur est un journaliste qui a écrit sur le crime organisé dans le Milwaukee (sic !) et qu’il collabore au magazine Horrorhound... Ce qui explique sans doute que Gavin Schmitt s’attarde davantage sur les sujets fantastiques traités par Freund chef op (Dracula ; Double assassinat dans la rue Morgue) ou réalisateur (La Momie ; Mad Love).
Dans un entretien accordé au mensuel International Photographer, en octobre1960, Freund déclarait être en train de rédiger un livre sur sa carrière, ouvrage qui ne semble, malheureusement, n’avoir jamais vu le jour.
L’occasion pour nous de rappeler ici que le meilleur livre jamais écrit sur la carrière et le travail d’un chef opérateur reste toujours, et pour longtemps sans doute, celui de Todd Rainsberger, consacré à James Wong Howe, paru en 1982...
NB : les photos qui illustrent cet article ne sont pas dans le livre...
* Axel Graatkjaer (1885-1969) fut le grand pionnier de la cinématographie danoise, avec son confrère Johan Ankerstjerne (1886-1959). Installé en Allemagne à partir de 1913, Graatkjaer signera la très belle photographie du Phantom, de F. W. Murnau, en 1922.