L’éditorial d’août 2024, par Nathalie Durand, vice-présidente de l’AFC


J’ai eu le privilège d’assister à la projection du Napoléon vu par Abel Gance dans sa version restaurée (16 ans de travail – merci la Cinémathèque !) avec l’orchestre philharmonique et le chœur de Radio France qui performaient dans la salle. Sept heures de film en deux soirées de 3h30. Ce fut formidable, sans doute unique.

Une cinématographie inventive, audacieuse dans la fabrication des plans, dans le montage. Un attachement aux acteurs et aux éléments, un biopic mais surtout une aventure de cinéma par tous les temps, dans tous les lieux, dans des scènes intimistes ou de foule. Le tout magnifié par la musique en Live, synchrone avec les images et dans une salle pleine et enthousiaste. Évidemment c’était parfois étrange d’assister à un film glorifiant un petit homme révolutionnaire devenu empereur et dictateur, surtout sachant que quelques années plus tard son réalisateur a versé dans le pétainisme et l’antisémitisme affirmé. Mais le spectacle emporte le public majoritairement blanc, d’un certain age, de milieu sans doute "intellectuel" éduqué et parisien...
Cet événement s’est déroulé dans cette période tourmentée d’après dissolution. Entre deux tours d’élections législatives et au vu des résultats du premier tour, la fracture entre les villes et le reste du pays interpelle.

Partout, la pensée marquée par le conservatisme et le repli sur soi se déploie. L’autre est perçu comme l’ennemi, source de mal-être. La prise de contrôle des médias et l’influence des réseaux sociaux exacerbent ces tendances.
La transmission, l’éducation au cinéma et aux images peut répondre à cette désinformation et déshumanisation. Chaque année, près de 3 millions d’élèves découvrent des œuvres variées en salles, contrebalançant les inégalités territoriales et sociales. Pourtant, le dispositif "école et cinéma" est menacé (lire l’article paru dans les Cahiers du Cinéma).

D’autre part, les décisions votées au CNC le 27 juin 2024 entérinent la volonté d’assainir les tournages et le soutien à la diffusion d’un cinéma plus fragile.
- L’octroi des subventions au long métrage de fiction sera conditionné à la formation VHSS (violences et harcèlement sexiste et sexuel) pour toute l’équipe de tournage, c’est-à-dire le-la réalisateurrice, les cheffes de postes de l’équipe technique, les comédiennes, à partir du 1er décembre 2024.
- Pour les mineurs, la présence d’un "responsable enfant" sur les tournages devient obligatoire à l’été 2024 pour accéder aux aides du CNC.
- Une réforme du classement art et essai, proposée suite au rapport de Bruno Lasserre d’avril 2023, introduit des évolutions pour mieux accompagner les exploitants. Elle vise à moderniser les critères de classement et récompenser les exploitants soutenant des films moins diffusés, tout en assurant une large diffusion de ces films sur tout le territoire. Cette réforme valorise également le travail en direction des 15-25 ans, visant à renouveler le public des salles.

« Regarder un film avec d’autres dans une salle de cinéma est une formidable expérience collective. Ensemble nous partageons les rires, les chagrins, la colère, la peur, dans l’espérance d’une catharsis commune. Et c’est ce qui est sacré. Alors je l’affirme : le futur du cinéma est là où il a commencé : dans la salle de cinéma. » Sean Baker lors de la réception de sa Palme d’or en mai dernier à Cannes.

En ces temps mouvementés, nous tenons à ce que le CNC reste fidèle à ses principes fondateurs tout en s’adaptant aux nouveaux défis. Souhaitons que la nouvelle présidence du CNC poursuive ses efforts pour un cinéma respectueux des personnes et ouvert à la diversité.