Le nitrate de retour à Hollywood
Par Yoram Kahana pour l’HFPAAujourd’hui, le nitrate est vu comme un matériau obscur et obsolète. Mais pendant la première moitié du XXe siècle, il rendit possible l’industrie du film. Tous les films, que ce soit pour la prise de vues ou la projection, étaient faits d’une émulsion photosensible couchée de façon homogène sur une bande de film nitrate. Le nitrate était le premier matériau flexible, solide, et assez transparent pour autoriser le transport d’images de film dans les roues dentées et les fenêtres de projecteurs.
Eastman Kodak fut le premier à fabriquer ce film et à le vendre au public, dans les années 1880. Projeté sur un écran, il offrait des images lumineuses, nettes et subtiles, mais à un certain prix. Le nitrate est très inflammable quand il sort du laboratoire, et, avec le temps, il perd de sa brillance, un vrai gâchis, toujours inflammable, et source de gaz explosifs, avant de tomber, littéralement, en poussière.
La chaleur extrême générée par les projecteurs mettait fréquemment le feu au film nitrate qui les parcourait, et de nombreux incidents ont tué et blessé des exploitants, par le feu, la fumée ou la panique provoquée. Le film Cinema Paradiso (Italie, 1988), du réalisateur Giuseppe Tornatore, lauréat du Meilleur film étranger au Golden Globe, a reconstitué ce type d’incident, en contant l’histoire de l’amitié entre un jeune garçon et le projectionniste du cinéma d’une petite ville, quand les films étaient au nitrate. Même après que l’industrie du cinéma ait adopté un support de sécurité à base d’acétate dans les années 1950, le danger du nitrate continuait à la hanter. En 1978, les archives nationales de Washington et la collection Kodak de la maison George Eastman ont vu leurs films nitrate s’auto-enflammer, provoquant une perte phénoménale de films irremplaçables.
Aujourd’hui, la seule façon de projeter des copies historiques de films nitrate est de le faire dans des cabines de projection spécialement conçues, à l’épreuve du feu et des explosions, que peu d’instituts de conservation ou d’exposition peuvent assumer.
C’est pourquoi la HFPA, soucieuse de l’idée de conservation, en partenariat avec la Cinémathèque américaine, dont les locaux sont basés dans la salle de l’Egyptian Theater de 1922, à Hollywood, fit la donation des fonds permettant de construire une cabine de projection nitrate sécurisée et moderne. Le nitrate est classé comme dangereux, ce qui implique la détention de licences pour son stockage et son transport. Les copies nitrate doivent être stockées dans des locaux spécifiques, à l’épreuve du feu ; la salle de projection doit satisfaire à de rigoureuses normes de sécurité, et à certaines prescriptions, afin d’obtenir l’autorisation de projeter des films nitrate. Cela implique une cabine de projection à l’épreuve du feu, des chambres étanches au feu pour les bobines, ainsi que des extincteurs intégrés au projecteur, orientés vers la fenêtre de projection.
La projection d’inauguration a eu lieu le 7 novembre 2016, dans la salle principale, remplie d’invités. Le président de la HFPA, Lorenzo Soria, expliqua aux spectateurs que la HFPA assume un « engagement de longue date dans l’histoire du cinéma », ayant investi « près de 5 millions de dollars dans des projets de conservation de films ».
Bien sûr, nombre de la centaine de titres restaurés avec les fonds de la HFPA ont été produits au cours de l’ère du nitrate, et, de ce fait, étaient en grand danger ; des classiques comme Ben Hur (1925), King Kong (1933), Les Chaussons rouges (1948) ou Les Dix commandements (1923). « Nous sommes ravis d’aider ce projet à devenir réalité. C’est un prolongement pour l’amour du cinéma de la HFPA, et de notre credo pour que les grands films soient projetés tels qu’ils ont été conçus, en film, sur le grand écran », poursuit Lorenzo Soria.
L’idée de rendre à nouveau la cabine de projection de l’Egyptien opérationnelle pour le nitrate est venue du metteur en scène et scénariste Alexander Payne, qui est administrateur de la Fondation du Film et avocat de longue date de la conservation du film. A. Payne a été nommé sept fois au Golden Globe et en a été le lauréat deux fois pour le Meilleur scénario, en 2002 pour Monsieur Schmidt, et en 2005 pour Sideways. A. Payne a dit que la première fois qu’il a vu du film nitrate à la Maison Esatman, il a « pensé que le nitrate est magique… Ce soir la magie va s’exprimer par la projection nitrate. Nous sommes peut-être la dernière génération à voir du film nitrate, mais aujourd’hui, nous pouvons avoir le même plaisir qu’à la Maison Eastman, à regarder des films nitrate. »
La Fondation du Film, dit-il, a débattu pour savoir quel film montrer ce soir, et s’est arrêtée sur Casablanca (1942), et a emprunté la dernière copie nitrate au Musée d’Art Moderne de New York. « Tout le monde a vu Casablanca sur d’autres écrans, sur d’autres supports. Mais c’est le meilleur film à montrer ici, sur support nitrate, précisément parce que tout le monde le connaît. »
Le public a applaudi le choix de Casablanca, et les stars ont été accueillies par des applaudissements assourdissants à leur première apparition à l’écran, dans leur magnifique lumière noir-et-blanc, et glorieux nitrate.
(Traduit de l’anglais par Laurent Andrieux pour l’AFC)
- Lire l’article en anglais sur le site des Golden Globe Awards.