Festival Manaki Brothers
Naum Doksevski, MSC, revient sur le dispositif de tournage pour "Housekeeping for Beginners", de Goran Stolevski
"Famille je vous aime", par François Reumont pour l’AFCLa vie d’une famille macédonienne pas comme les autres, composée de deux femmes qui s’aiment, un homme qui en aime un autre... et plusieurs enfants autour de ça. Quand l’une des deux femmes apprend qu’elle est atteinte d’un cancer, l’équilibre précaire de la famille est mis en danger...
Quelle est la genèse de ce film pour vous ?
Naum Doksevski : J’ai rencontré Goran sur un court métrage précédent qui avait déjà une très belle carrière ici-même et à Sundance (Would You Look at Her, 2017). Quand il m’a proposé ce script, j’ai tout de suite été emballé. C’était un gros défi de transposer cette histoire à l’écran, principalement à cause du nombre de personnages, et des émotions très fortes qu’ils traversent au cours du film. Rapidement, la décision d’aller vers une image très brute, très proche de chaque comédien s’est imposée. Avec l’idée de filmer tout à l’épaule, car c’est un style qu’il apprécie. Et puis rester le plus naturel possible dans l’approche de la lumière, pas faire d’effets... Et près de 70 % du film tourné dans un décor unique, l’appartement de cette famille.
Parlons justement de ce décor...
ND : On a organisé une recherche très sérieuse pour ce lieu... Trouver l’endroit qui convenait à la fois à la scénographie, et qui colle aussi au contexte de cette famille. Et comble du hasard, même si beaucoup de décors ont été visités, c’est celui qu’on a vu en premier qu’on a gardé !
Un appartement situé à Skopje sur deux étages, avec les chambres au-dessus, et cet espace de vie en dessous qui convenait parfaitement à la description faite dans le scénario. Comme nous n’étions pas en studio, on a convenu avec Goran qu’il fallait pouvoir travailler presque à 360° en termes d’angles de prises de vues, et n’utiliser aucun projecteur à l’intérieur, à part bien sûr les sources de figuration. J’ai donc tout éclairé depuis l’extérieur, soit le premier étage pour la pièce de vie, et le deuxième pour les chambres. Une grosse installation avec des praticables pour les projecteurs placés à l’extérieur, mais qui nous a permis de littéralement couvrir tous les angles et suivre les comédiens avec une liberté totale. On a pu ainsi tourner aussi très vite, avec des journées à parfois 50 plans par jour !
Les ambiances jour, par exemple, ne varient pas énormément au cours du film... Vous étiez-vous mis d’accord sur cette sorte d’écart à la temporalité ?
ND : C’était une option pour nous de faire plus varier les ambiances, mais on s’est vite aperçu qu’on n’avait juste pas le temps en 23 jours de tournage. En plus, on voulait vraiment se concentrer sur les personnages, éviter tout effet d’image qui serait peut-être venu distraire le spectateur d’une manière ou d’une autre. Il y a donc les ambiances plutôt de journées, et celles de nuit, mais on reste toujours tellement près des personnages, avec eux dans leur action, que je crois qu’on ne remarque pas tant que ça les variations d’ambiances dans ce lieu.
Le film est surtout marqué par une volonté permanente de couverture des scènes entièrement en longues focales...
ND : Vous avez pu le constater, Goran n’affectionne pas vraiment les grands-angles ! Tout le film est tourné au plus large au 75 mm, le 100 mm et le 150 mm étant régulièrement sur la caméra, voire avec des focales encore plus longues sur certains plans. La caméra était une Alexa Mini LF, dépouillée le plus possible d’accessoires, avec un pack batterie porté par mon chef machino. Ainsi je pouvais facilement travailler avec cette espèce de bloc très compact sans trop me fatiguer et me faufiler à peu près n’importe où en fonction des mises en place. Le choix du plein format ayant été décidé pour séparer le plus possible les comédiens du reste du plan, et notamment du décor.
Et le fait travailler avec une jeune enfant au milieu de tous ces adultes ? Son rôle est d’ailleurs crucial, et elle ramène beaucoup d’humour au côté tragique de l’histoire...
ND : Quand vous tournez avec une enfant de cet âge, c’est pas toujours facile de la diriger. C’est donc nous qui nous adaptions en permanence à son jeu, avec la nécessité parfois de changer brutalement d’axe ou de position caméra pour pouvoir obtenir le plan, un regard, son action. C’était une manière de travailler très instinctive, très passionnante, qui oscille en permanence entre le documentaire et la fiction. Mon assistante opératrice, Marina, a vraiment fait des miracles car je tournais la plupart du temps sans répétition à pleine ouverture avec les Cooke S7 (T2). Je la remercie chaleureusement pour son travail, tout comme la productrice Marija Dimitrova, qui m’a soutenu tout au long de la production. J’insiste beaucoup sur cette relation privilégiée, car comme chacun le sait peut-être, devoir se battre en tant qu’opérateur et devoir défendre à chaque fois ses choix face aux producteurs, c’est réellement épuisant et tellement contre-productif pour le film.
Aviez-vous préparé des LUTs sur le plateau ?
ND : Non, je n’ai pas utilisé de LUT sur mesure. Tout a été fait avec la LUT de base Rec 709, qui me convient très bien sur l’Alexa. Là encore, cette volonté d’image très brute nous tenait à cœur. Et d’ailleurs, à part peut-être une ou deux séquences qu’on a un petit peu plus corrigées à l’étalonnage, je peux vous dire que la quasi intégralité du film ressemble vraiment à ce qu’on a vu sur le moniteur lors du tournage. Il y avait cette volonté d’un geste simple, direct dans la cinématographie. Qui soit le plus proche et le plus fidèle aux émotions et aux personnages de cette histoire pas comme les autres.
(Propos recueillis par François Reumont, pour l’AFC)