Petite Solange
Paru le Contre-Champ AFC n°328
Petite Solange fut de ceux là : un petit budget qui nous mettait hors annexe, vingt-cinq jours de tournage maximum, une très jeune actrice (formidable Jade Springer) qu’il faut filmer le plus vite possible pour ne pas perdre son adolescence, et enfin le désir express d’Axelle de tourner en argentique. C’est le deuxième film que nous faisions ensemble, et elle ne voulait pas réitérer l’expérience du numérique qu’elle jugeait trop décevante avec le recul (La Prunelle de mes yeux).
Avec le 35 mm, l’équation était insoluble même en 2 perfs, mais pourquoi pas le Super 16 ? C‘est un format que j’utilise régulièrement avec Mikhael Hers, je le connais bien. Eric Martin, chez Hiventy, me propose un nouveau workflow plus économique : un scan 2K en16 bits sur Scanity, une machine plus récente qui scanne en temps réel, ce qui permet de scanner directement les rushes et de ne plus retoucher au négatif par la suite.
Le film est un mélodrame familial et Axelle veut renouer avec les grands mélos. L’ambition est grande, toujours chez Axelle, qui aime ses classiques : Douglas Sirk, Kramer contre Kramer et un magnifique film que je ne connaissais pas L’Incompris, de Luigi Comencini. Bref des références écrasantes, sans parler du très beau et très récent Mariage Story, de Noah Baumbach que nous avions adoré. Il faudra donc de l’ampleur, du mystère, de la grandeur et Axelle redoute encore l’aspect "pauvre" du Super 16.
Pourquoi alors persévérer avec le Super 16 ? La directrice de production (merci Julia Maraval !) me soutient beaucoup dans cette direction mais rien n’est sûr encore, pourra-t-on se l’offrir ? Je sais que beaucoup d’entre nous trouveraient ce choix aberrant en termes esthétique comme économique. Mais voilà : je préfère toujours et quoiqu’il arrive cette image. Je la préfère pour son rendu des couleurs mais aussi pour ses nombreuses imperfections qui donnent de la vie. Ce n’est pas juste le grain, c’est l’ensemble et c’est aussi les petites différences qu’il provoque dans le travail : l’écran n’est pas l’endroit où l’image se crée, elle se crée dans la tête. On n’a d’autre support que le souvenir du/des plans précédents et une idée de comment cela sera interprété, j’allais dire transfiguré, tant les surprises sont grandes le lendemain au vu des "stills" (oui, tout est comme sur un film normal ! Si les rushes sont développées le matin, on a les rushes – ou au moins les "stills" – à J+1).
Donc pour ce film fragile économiquement (peu de ventouses, pas de figurants, budget déco très réduit, parfois quatre décors par jour), la pellicule apporterait une stylisation naturelle mais forte et cela me permettrait de partir avec un dispositif de lumière très léger, condition indispensable à la faisabilité du film. (Merci à toutes les nouveautés LED et à Matteo, en alternance via la cinéfabrique qui changea la plupart des tubes du collège !).
Après essai, Axelle était conquise, il fallait maintenant que ce soit réalisable financièrement. Je savais qu’Axelle tournait peu et précisément, on a commandé moins d’une heure de rushes par jour. On a limité le nombre d’émulsions à deux (la 250D et la 500T) pour réduire les chutes et le matériel ne comportait que le strict nécessaire : Une Aaton Xtera, une série Zeiss T2,1 (ainsi qu’un 12 et un 14 mm UP), un zoom Angénieux 25-250 HR, une Peewee 3 que Panavision a eu la gentillesse de nous laisser tout le film, un seul poids lourd pour la machinerie et l’électricité réunie.
La préparation, magistralement orchestrée par Julie Gouet (assistante mise en scène) a fait le reste : enchaînement de décors, orchestration de notre figuration (les enfants de la classe), plan de travail, anticipation des moindres problèmes de logistique.
Le tournage a commencé fin février pour une première moitié de tournage à Nantes, dans un collège encore en vacances. Le mauvais temps ne nous a pas quitté d’une semelle : je ne crois pas avoir autant tourner sous la pluie, parce qu’il le fallait bien mais aussi parce que… finalement ce n’était pas si mal pour un mélo !
Le vendredi 13 mars, nous attaquons notre premier jour à Paris. Il reste toute la maison à tourner mais on ne parle plus que du Corona Virus. Le dimanche, Axelle et la production décident d’arrêter le tournage et le mardi, le confinement est décrété. Un sacré coup de massue pour tout le monde mais qui nous a peut-être permis de gagner quelques petites choses. On a craint que Jade Springer se métamorphose mais en fait, pas tant. Cette parenthèse nous a permis de travailler encore plus, et mieux, cette partie du tournage, moins préparée que la partie Nantes. Nous sommes repartis mieux armés et puis cette histoire, qui se déroulait en réalité sur un temps assez long, a bénéficié de cette nouvelle saison, l’été, qui permit de mieux raconter et filmer les deux scènes dans le jardin, la scène d’anniversaire de mariage, au début du film et la longue scène finale pour lesquelles la végétation et le soleil étaient une aubaine. Bien sûr, il y a aussi eu quelques casse-têtes à résoudre : cette maison était censée être à Nantes, donc sous la pluie elle aussi, de beaux raccords s’annonçaient en perspective. C’est donc en juin finalement que le tournage s’est bouclé, la majeure partie de l’équipe était là, sans laquelle rien de tout ça n’aurait été possible.
Bande annonce officielle
Équipe
Assistante Caméra : Marie Queinec, assistée d’Isabelle MaurelMachinerie : Fabrice Pucel, assisté de Maxime Le Gros
Electricité : Laetitia Duvert, assistée de Cécile Hannequin et Matteo Eustachon
Technique
Matériel caméra, machinerie et électricité : Panavision (caméra Aaton Xtera, série Zeiss T2,1, 12 et 14 mm UP, zoom Angénieux 25-250 HR), Panagrip, PanaluxPellicule Kodak 250D et 500T
Laboratoire rushes : Hiventy et Cosmodigital
Etalonnage final : Cosmodigital (sur Resolve)
Etalonneuse : Mathilde Delacroix