Petite mise en contexte

par Daniel Vincelette, CSC, producteur et directeur de la photo sur " Le Gant "

La Lettre AFC n°138

Tout a débuté à l’automne 2002, lors de la semaine Cinéma du Québec à Paris, événement tenu annuellement au Cinéma de l’ARP (Cinéma des Cinéastes). A l’instigation de Madame Joëlle Levie, directrice générale, direction générale cinéma et production télévisuelle de la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles, Québec), je fus sollicité pour tenir une rencontre exploratoire avec Pierre-William Glenn et Yves Louchez, respectivement président et délégué général de la CST, afin de voir s’il ne serait pas possible de trouver un moyen qui puisse à la fois favoriser les échanges entre les professionnels du cinéma de France et du Québec tout en permettant de faire partager les connaissances particulières, les avancées technologiques et l’information sur les façons de faire que l’on retrouve chez les uns et les autres.

Est née de cette rencontre l’idée de faire annuellement des ateliers aller-retour entre Montréal et Paris axés autour de sujets d’intérêts communs. Sachant que la CST et l’AFC préparaient des essais avec la Viper, nous choisîmes de bâtir ce premier atelier autour de ce projet. Avec le soutien de l’Association québécoise des techniciens de l’image et du son (AQTIS) et celle du Festival du nouveau cinéma de Montréal, des collègues français sont venus nous présenter les résultats de ces essais, fort bien accueillis d’ailleurs. Afin de compléter l’atelier, j’avais aussi invité les représentants de la firme canadienne Dalsa, lesquels avaient mis au point un prototype de caméra ultra haute définition tournant des images en fichiers 4K, l’Origin, à nous présenter quelques images tournées avec leur prototype. Ce fut la stupeur générale ; personne de chez vous ou de chez nous n’avait jamais vu d’images numériques de cette qualité (il semble que le même effet se soit produit chez vous auprès de ceux qui purent voir quelques extraits de notre film lors de la journée CST de juin 2004 tenue à Paris).

Ayant déjà eu la primeur de ces images, l’idée de faire des essais avec cette caméra me semblait essentielle, et au vu de l’enthousiasme de tous ceux qui étaient présents à cette projection, la décision fut prise d’aller de l’avant. Ce fut avec grande facilité que j’arrivai à convaincre les gens de Dalsa de participer à une telle aventure et à trouver des collaborateurs pour mettre sur pied le projet. Il fut décidé que nous tournerions dans des conditions normales de production un " vrai " court métrage avec scénario et tout, le but étant d’avoir plus que des essais, soit un film véritable en bout de course.

Avec François Leclerc de Zicatela Films, producteur, Kim Nguyen, metteur en scène, et René Villeneuve, responsable de la postproduction, forts d’une certaine audace et d’une bonne dose de naïveté, nous nous sommes attelés à la tâche de trouver les moyens de réaliser un tel projet. Je vous épargne les détails, mais nous étions, semble-t-il, au bon endroit au bon moment. La Sodec, Téléfilm Canada et l’AQTIS appuyèrent notre action dès le début et la pertinence de notre recherche fit que les partenaires nécessaires à une telle entreprise se recrutèrent somme toute assez facilement. Le projet se complexifiait, le budget explosait, mais tout restait relativement sous contrôle. L’idée d’avoir un court métrage tourné à la fois en numérique 4K et sur pellicule 35 mm semblait accrocheuse et permettrait à plein de gens de s’en servir comme banc d’essai pour mettre à l’épreuve diverses méthodes nouvelles de production et postproduction dans un cadre pas trop lourd (comparé à un long métrage par exemple). C’est ainsi, lors d’une rencontre chez Discreet à Montréal, que nos amis d’Éclair se sont intéressés au projet, à notre plus grande satisfaction d’ailleurs. En effet, nous n’arrivions pas à trouver chez nous une maison qui pourrait s’occuper entièrement de la postproduction en 4K ; c’est une technologie nouvelle, très lourde à supporter et malgré leur meilleure volonté, Technicolor Montréal et les Studios Météor qui ont participé au projet ne pouvaient nous assurer de pouvoir compléter le travail. L’arrivée d’Eclair dans le portrait nous soulagea d’un grand poids.

Photogramme issu de la caméra Origin
Photogramme issu de la caméra Origin

Pour le tournage proprement dit, lequel eut lieu en février de cette année dans une variété de conditions (intégrées au scénario) afin de vraiment mettre à l’épreuve la caméra, nous dûmes nous résoudre à tourner avec une version modifiée du prototype Origin, avec les failles que cela impliquait. Dalsa avait encouru des retards de production et la nouvelle version de la caméra avec laquelle nous devions à l’origine (!) tourner n’était pas prête - elle doit finalement être disponible à partir de janvier 2005. Donc, nous avions une caméra qui employait des objectifs 35 mm, avait une visée optique, un senseur (capteur) plus grand que la fenêtre 35 mm, mais qui ne permettait pas le visionnage simultané des images 4K en temps réel, dont l’obturateur mécanique s’avéra moins précis que prévu (scintillement avec l’emploi de HMI) et qui surtout était beaucoup moins sensible que nous l’espérions (autour de 64 ISO avec filtre bleu car balancé (équilibré) " lumière du jour "), problèmes tous résolus, je dois le préciser, par le capteur de la nouvelle version.

Nous avons quand même choisi de tourner avec ces difficultés car, malgré celles-ci, la pertinence de tenter ces essais ne faisait aucun doute. Vous verrez par vous-mêmes sans doute bientôt que la qualité picturale de ces images numériques est impressionnante et que nous sommes à l’aube d’une certaine révolution dans nos façons de considérer le numérique. Vous verrez aussi, et c’est une découverte intéressante qui découle de ce projet, que l’argentique n’a pas dit ses derniers mots. Il y a une richesse étonnante et probablement insoupçonnée dans les images argentiques numérisées en 4K, une texture rarement dévoilée par les méthodes conventionnelles de laboratoire.

Photogramme issu de la caméra Origin
Photogramme issu de la caméra Origin

Quant aux collègues opérateurs qui se sont joints à nous pour le tournage, la plupart avaient vu les premières images présentées lors de l’atelier de l’automne 2003 et souhaitaient ardemment avoir l’occasion de " pratiquer " cette nouvelle technique. Plusieurs furent sollicités et les seuls obstacles que nous avons rencontrés ont été des restrictions relatives à leur disponibilité pour les dates prévues du tournage. John Berrie, CSC, Eric Cayla, CSC, Serge Desrosiers, CSC, et Pierre Mignot se joignirent à moi pour tourner Le Gant. Cinq jours de tournage, un directeur photo différent à chaque jour. Le tout s’est fait dans la collaboration et la fascination pour ce nouvel outil, le seul ennui majeur déploré par tous étant la très faible sensibilité du capteur, mais tous souhaitent travailler bientôt avec la nouvelle Origin, beaucoup plus performante d’après Dalsa. Espérons que ce souhait se réalisera et que vous aussi pourrez l’utiliser bientôt.

Amicalement.