Retour sur la table ronde "Inclusion et excellence dans notre industrie"
Par Margot Cavret pour l’AFCLa table ronde a été modérée par Anna Higgs, productrice et membre du comité des BAFTA. Avant d’accueillir ses invité
e s, elle précise que cette table ronde, tenue en réponse à l’appel de "Women in Cinematography" suite à la publication de Marek Żydowicz dans Cinematography World, n’a cependant pas pour but d’évoquer directement la polémique. Elle précise également : « Nous ne sommes pas là pour débattre de l’inclusion, ce n’est pas un débat ! Nous sommes là pour chercher comment apporter plus de représentation de la diversité devant et derrière la caméra. Il ne s’agit pas de donner une impulsion à certaines, mais d’abolir les barrières qui nous excluent toutes. Les histoires que racontent les films modèlent nos sociétés. Aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin de nous rassembler, de nous connecter grâce aux histoires ».Elle invite ensuite ses invité
e s : Sandy Powell, cheffe costumière et membre du jury de la Compétition principale ; Maura Delpero, réalisatrice du film Vermiglio, en Compétition principale ; Rodrigo Prieto, AMC, ASC, réalisateur du film Pedro Paramo en compétition "Director’s Debuts" ; Mandy Walker, ASC, ACS, présidente du jury des FilmLight Color Awards ; Christopher Ross, BSC, président de la BSC ; et Cate Blanchett, comédienne, productrice, présidente du jury de la compétition principale.Anna Higgs résume la vie d’un film à trois stades sur lesquels réfléchir à des solutions pour favoriser l’inclusion : "pipeline", la production et la promotion. Elle définit "pipeline" » par toute la période qui précède l’officielle préparation d’un film : quels films les femmes s’autorisent à écrire, quels films les femmes sont autorisées à réaliser par les sociétés de production. Maura Delpero est la première à prendre la parole sur ce sujet : « Il y a un énorme fossé dans la communication entre celles et ceux qui réfléchissent à des solutions, et celles et ceux qui pourraient les appliquer. Dans les associations on en parle beaucoup, mais les solutions que nous proposons ne sont pas entendues par l’industrie. On parle d’excellence et de qualité, mais est-ce que la qualité est un paramètre objectif ou le résultat des goûts de ceux qui ont fait le cinéma avant nous ? Parmi la liste des 26 plus grand
La parole est ensuite donnée à Rodrigo Prieto : « J’ai eu le privilège, ces dernières années, de travailler avec des femmes sur des sujets féministes, comme Barbie, et j’ai beaucoup appris. C’est un grand honneur de pouvoir faire partie de ce combat. Pour mon film, j’ai également beaucoup appris en travaillant avec les comédiennes, pour améliorer leurs personnages. Nous avons tourné en Amérique latine, et là-bas on m’a dit : « Nous ne sommes pas racistes, il n’y a pas de personnes noires dans notre pays ! ». En tant que réalisateurs, chef opérateurs, nous sommes privilégiés, mais nous ne devons pas abuser de ce pouvoir. Nous avons la responsabilité d’apporter cette conversation. La clé est d’ouvrir les yeux, de regarder plus intensément autour de nous. Si on s’arrête sur ceux qui sont le plus présent et le plus visible, rien ne changera ».
Anna Higgs reprend ensuite la parole pour avancer vers la deuxième étape, celle de la production et du tournage des films. Les femmes sont très rarement mises en charge de films à gros budget. Elle cite le remarquable travaille de Mandy Walker sur le film Elvis, mais qui reste malheureusement une rare exception. Sandy Powell est invitée à prendre la parole : « En costumes, nous avons un peu le problème inverse, car 80 % de la profession sont des femmes. Mais j’essaye toujours d’avoir la parité dans mes équipes. Je cherche des gens talentueux, mais également des personnes qui formeront une bonne équipe ensemble. C’est de cet ensemble harmonieux que naît l’excellence. J’essaye aussi de diversifier les générations, parfois les plus jeunes peuvent créer des choses auxquelles je n’aurais pas même pensé ». Mandy Walker complète : « C’est un processus qui avance très lentement, d’avoir plus de femmes à la caméra. Quand j’ai commencé, en Australie il y a trente ans, on m’ignorait et on me rejetait. J’ai persévéré car j’étais passionnée, j’ai commencé tout en bas de l’échelle, et nous n’étions que trois femmes à cette époque. Je savais que je pouvais faire ce travail, mais il y avait un biais conscient ou inconscient chez mes collaborateurs qui ne m’en croyaient pas capable. Quand j’ai commencé à être cheffe opératrice, je savais que je devais toujours être à 120 %, simplement pour être acceptée. Je sens encore parfois cette pression. Je suis souvent la seule femme sur les plateaux aux postes techniques. Désormais je cherche activement à mettre plus de diversité dans mes équipes, à trouver et entraîner avec moi les bonnes personnes, les aider à avancer. Parce qu’aujourd’hui encore, il n’y a que 7 % de femmes cheffes opératrices ». Cate Blanchett complète : « En tant que comédienne, je vois les équipes autour de moi évoluer de film en film. Et ça m’a fait un grand choc quand je me suis rendu compte que les femmes qui faisaient le clap quelques années plus tôt, je ne les voyais plus nulle part, tandis que les hommes qui portaient les caisses étaient tous devenus opérateurs. Les festivals sont importants, car ils sont une vitrine de notre industrie, mais très souvent quand on regarde les vainqueurs, ce ne sont quasiment que des hommes. Quand j’ai atteint un point d’influence et d’opportunité en tant que comédienne, j’ai commencé à être également productrice, et à soutenir les femmes réalisatrices. On ne peut pas attendre que les studios évoluent, il faut le faire nous-mêmes ».
Christopher Ross apportent son point de vue : « En tant que président de la BSC, je me suis intéressé aux biais inconscients, qui sont des barrières pour les femmes, et comment démanteler le manque de représentation des femmes et des minorités. Par exemple, pour devenir membre de la BSC, il faut être parrainé par quelqu’un qui est déjà membre. C’est un frein qui encourage un entre-soi. Donc nous avons créé un groupe dont la mission est d’aller chercher les chef
fe s opérateur ice s isolé e s. Il y a aussi la contrainte d’avoir photographié au moins cinq films. Mais en devenant parent, surtout pour les femmes, la carrière est ralentie, ou au moins momentanément interrompue. C’est encore très ancré dans l’imaginaire collectif de nos sociétés que la maternité mène à rester à la maison en délaissant sa carrière. Tandis que la paternité ne mène qu’à l’abandon de ses enfants au profit de sa carrière ! Suzie Lavelle, BSC, ISC, qui est une cheffe opératrice à la carrière foisonnante, me racontait qu’à chaque interview on lui demandait qui s’occupait de ses enfants. Moi, j’ai quatre enfants, et jamais on ne m’a posé la question ! Nous avons donc réduit le chiffre à trois films pour les personnes ayant accédé à la parentalité. Puis, quand nous avons ouvert le champ aux séries TV, nous nous sommes rendu compte que souvent les femmes n’avaient pas accès aux pilotes des séries, donc nous avons retiré cette barrière et accepté tous les épisodes, même si ce ne sont pas des pilotes. Toutes ces barrières levées nous permettent de rassembler une communauté plus large et plus diversifiée ». Maura Delpero complète : « Quand je réalise mes films et que je laisse mes enfants, je me questionne toujours : "Suis-je une mauvaise mère ? Suis-je une mauvaise réalisatrice ?", et je n’ai aucun soutien. Alors que jamais on ne reproche aux pères de s’éloigner de leurs jeunes enfants pour aller réaliser leur film. Pour beaucoup de femmes, c’est très dur de réaliser un second film car c’est généralement le moment où elles commencent à avoir des enfants, et ensuite c’est très dur de revenir dans l’industrie. Si on faisait plus d’information autour de ce sujet, on aurait plus de possibilité d’intervenir sur ce problème. Souvent on confie aux femmes des documentaires, des clips, des épisodes de série mais jamais de pilote, parce qu’on pense qu’elles ne sont pas capables de faire face à de gros budgets. Quand on regarde en arrière, il y a seulement deux générations, nos grand-mères n’avaient pas la main sur les finances du foyer, elles devaient demander de l’argent à leurs maris, et c’est encore très ancré dan l’inconscient. Moi-même je suis toujours mal à l’aise quand je dois négocier mon salaire, j’ai cette barrière inconsciente intérieure qui me fait me sentir illégitime. Et si le premier film est un échec financier, les femmes et les minorités n’obtiennent jamais de seconde chance ».Enfin, Anna Higgs oriente la conversation vers la troisième étape, celle de la promotion des films, notamment à travers les festivals. Elle introduit : « Les festivals sont les projecteurs du cinéma, ils montrent ce qui existe, et jugent ce qui est bien. C’est un cercle, car ce qu’ils présentent et ce qu’ils encouragent est ensuite privilégié dans la production ». Christopher Ross donne son ressenti : « Les festivals ont l’aspect présentation de film, et l’aspect compétition. Mais le cinéma est un art, c’est absurde de le mettre en compétition. On ne va pas commencer à faire un match entre Rembrandt et Van Gogh ! La nature compétitive devrait être réduite, et les festivals devraient embrasser toutes les formes d’art du cinéma et élargir leur regard ». Rodrigo Prieto ajoute : « Les festivals font la course aux grands noms. Je comprends leur besoin d’inviter des stars, cela permet aussi d’attirer le public, mais on ne devrait pas en avoir besoin, le public est avant tout intéressé par les films ». Anna Higgs ajoute : « Aux BAFTA, nous avons besoin de partenariats et de sponsors, et aussi de faire venir des stars, mais cela permet d’accéder à une audience plus large, et de lui présenter des films plus fragiles. Il faut se servir de la tribune qui nous est donnée. En somme, "Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités", comme l’a dit une grand homme ! ». Sandy Powell complète : « Ce festival propose beaucoup de blockbusters. C’est dommage, ces films ont déjà tellement d’argent, ils seront vus quoi qu’il arrive ! Il faudrait proposer plus de films à petit budget ». « Il y a plein de films tout à fait dignes de gagner des trophées qui sont réalisés avec une économie plus modeste », ajoute Cate Blanchett. « Il serait inconcevable de faire une sélection de films venant tous du même pays, étant tous produits par la même compagnie, ou encore avec toujours le
a même acteur rice, alors pourquoi est-ce que le sujet tourne à la polémique quand nous réclamons plus de diversité de genre et d’ethnie dans les sélections ? », s’interroge Maura Delpero. C’est Cate Blanchett qui a le mot de la fin : « Merci d’avoir assisté à cette conversation, nous devons tous faire partie du changement, c’est important, pour l’humanité, de nous concentrer sur ce qui nous relie, tous, de nous parler, sans exclure. Plus l’industrie sera saine, plus notre société le sera également, pour celles et ceux qui font les films comme pour celles et ceux qui les regardent ».(Propos retranscrits et traduits de l’anglais par Margot Cavret pour l’AFC)