Retour sur le Prix CST de l’Artiste-Technicien
Par François Ray, diplômé de La FémisEn quelques mots, voici mes impressions de néophyte du festival, jeune chef opérateur qui a regardé avec admiration le travail de ses aînés sur grand écran.
Tout d’abord j’ai été honoré par l’invitation de Pierre-William Glenn d’être membre de ce jury, qui consistait pour moi à regarder avec attention les 21 films en compétition et à délibérer avec les autres membres du jury. La particularité de ce prix est de distinguer un, voire deux “artistes techniciens” pour la qualité de sa collaboration à l’élaboration d’un film.
Ce n’est pas chose aisée dans ce festival qui est avant tout un festival de réalisateurs, d’acteurs, de scénaristes. Il est très difficile de séparer notre appréciation du travail d’un technicien de notre appréciation générale du film.
Les questions que posent ce prix sont finalement au cœur des questions de la collaboration au cinéma. Un chef de poste, un “artiste technicien”, doit trouver sa place auprès du réalisateur. Trouver comment apporter sa sensibilité à la vision du metteur en scène, sans jamais la trahir. Les délibérations (parfois animées) entre les membres du jury, issus de différents corps de métier, ont donc été l’occasion d’en débattre au cours du festival.
Au-delà du plaisir que j’ai eu à voir à la suite les 21 films de la sélection, j’ai été particulièrement sensible au travail de Claire Mathon, directrice de la photographie, sur deux films très différents : Le Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma, et Atlantique, de Mati Diop .
Dans Atlantique, les plans de la mer, filmée comme un être vivant, m’ont coupé le souffle. Ils viennent ponctuer le récit. Ils remettent au premier plan l’absence de ces hommes, partis pour un avenir meilleur, engloutis par ce vain espoir.
L’ensemble du film, éclairé avec douceur, est très touchant dans sa simplicité de dispositif. La caméra laisse pleinement place aux acteurs, et à l’imaginaire du spectateur.
Dans Le Portrait de la jeune fille en feu, encore à travers l’image de Claire Mathon, on retrouve la mer, qui vient envelopper ce récit humaniste d’une rencontre amoureuse éphémère. La mer est l’espace de projection des états intérieurs des personnages. Mais c’est aussi ce qui cloisonne encore un peu plus ce quasi-huis-clos, ou ces femmes se rencontrent isolées du monde extérieur.
Ici la volonté de maîtrise de l’image est beaucoup plus grande. L’image est parfois rigide, fixée comme une peinture. J’ai été très touché par cette histoire humaine, et je me suis laissé emporter par ce dispositif filmique ambitieux, jusqu’au long plan de fin qui a eu pour moi un grand retentissement.
Quelques mots bien sûr pour Les Misérables, film vu tôt dans la compétition, un des premiers films à m’interpeler. Nous avons décidé de remettre le prix CST conjointement à Julien Poupard à l’image et à Flora Volpeliere au montage. Leur travail est remarquable.
Nous entrons dans le film par un dispositif quasi-documentaire, qui restitue l’engouement collectif du soir du 15 juillet 2018 : la France entière, unie autour de la victoire de son équipe de football. Puis il nous ouvre les portes de la cité, de la désunion, du monde de la fracture sociale.
Tout au long du film, on est emporté par l’équilibre fragile de la cité. J’ai particulièrement apprécié l’intensité que reprend le film dans les vingt dernières minutes. Ce moment est une prise de risque payante du réalisateur Ladj Ly, servi par une image qui reprend une place symbolique, et un montage haletant.
Cette 72e édition du festival fut passionnante en tant que spectateur et jury. Découvrir les films de grands cinéastes, déjà lauréats de la Palme d’or, qui n’ont plus à prouver leur talent - les Frères Dardenne, Ken Loach, Terrence Malick, Quentin Tarantino, Abdelatif Kechiche – est toujours un plaisir. Pourtant, ce ne sont pas leurs films qui m’ont le plus marqué.
L’expérience de jury a été pour moi extrêmement épanouissante, je reprends les tournages avec encore plus d’envie, après m’être nourri de deux semaines foisonnantes de Cinéma.
Une expérience rare et marquante.