The Wall

Entretien avec Philippe Van Leeuw, AFC, à propos de son dernier film, The Wall, qu’il a écrit et réalisé (entretien faisant partie du dossier de presse du distributeur, Bodega Films).

Après avoir exploré le conflit rwandais (Le jour où Dieu est parti en voyage) puis le conflit syrien (Une famille syrienne) dans vos deux premiers longs métrages, qu’est-ce qui vous a amené à la frontière du Mexique pour y explorer la thématique de l’immigration illégale ?

Philippe Van Leeuw : Pour mes deux premiers films, je me suis résolument concentré sur le personnage de la victime, laissant celui du bourreau davantage sous la forme d’une silhouette plutôt que véritablement un personnage, mais il est évidemment l’autre face de la même médaille, et j’ai toujours voulu m’en approcher. Je ne voulais pourtant pas qu’il existe dans un contexte de guerre, ou de génocide, là où le chaos règne et où les règles de la société n’ont plus court, il me fallait au contraire un espace régi par le droit, et c’est ce que j’ai trouvé à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, et plus précisément en Arizona, dans la région de Tucson. Une région où l’état de droit est à sens unique et où les forces de l’ordre agissent comme si elles étaient en guerre. C’est le lieu de l’abus de pouvoir et de l’impunité. A l’image de Donald Trump qui s’est instauré "chevalier blanc" de la lutte contre l’immigration. Le fait que j’ai choisi une femme plutôt qu’un homme tient au fait que, par ce choix, mon personnage me paraît plus exemplaire et en même temps plus nuancé.

Philippe Van Leeuw réglant un plan avec Joachim Philippe, à gauche, et Vicky Krieps, au 2<sup class="typo_exposants">e</sup> plan - Photo Jeff Smith
Philippe Van Leeuw réglant un plan avec Joachim Philippe, à gauche, et Vicky Krieps, au 2e plan
Photo Jeff Smith

Elle est aussi en butte à d’autres problèmes tels que la place que le corps des policiers, patrouilleurs de la frontière veut bien lui faire. C’est un milieu extrêmement machiste, et les femmes qui s’y enrôlent sont régulièrement victimes de brimades, mais aussi parfois bien pire. Pour autant, je ne voulais pas victimiser mon personnage, mais au contraire en faire une sorte de Jeanne d’Arc, prête à tout pour sauver son pays, l’Amérique, et dont les collègues masculins se méfient tant elle n’hésite jamais à entrer en compétition avec eux.
D’autre part, depuis bien longtemps, mais aussi à partir des déclarations incendiaires de Donald Trump, et même avant qu’il soit au pouvoir, j’ai voulu explorer cette Amérique bigote, fondamentaliste et réactionnaire, intolérante et raciste. Le personnage de Jessica Comley est de ceux-là. Et face à elle, il y a la problématique de la frontière telle qu’elle est vécue par les Amérindiens (ici Tohono O’odham dont le territoire millénaire est coupé en deux par la frontière établie en 1857 par les Américains, et militarisée depuis la fin de la présidence Clinton, mais bien davantage depuis G.W. Bush) et les migrants, tous ces gens désespérés qui tentent malgré le réel danger de mort de passer en Amérique. Les natifs sont mal vus, soupçonnés de tous les trafics et compromissions avec les cartels mexicains, alors qu’en plus leurs familles sont séparées de fait par la frontière, et que leurs lieux de culture et de sépultures sont souvent devenus inaccessibles.

Le mur, éponyme du film, à la frontière entre l'Arizona et le Mexique - Copyright Altitude 100 / Bodega Films
Le mur, éponyme du film, à la frontière entre l’Arizona et le Mexique
Copyright Altitude 100 / Bodega Films

Mike Wilson, qui interprète le grand-père natif américain, est - avant même de devenir acteur via votre film – un personnage très engagé issu de la nation des Tohono O’odham et joue en réalité son propre rôle. Comment l’avez-vous rencontré ? Que fait-il aujourd’hui ?

PVL : J’ai rencontré Mike grâce au documentaire réalisé par Caroline D’Hondt, Inside THe Labyrinth, dont il est le personnage principal. Mike est resté longtemps indécis à l’idée de participer à un film de fiction qui le placerait dans le même contexte que celui qu’il vit au quotidien. Il a fallu que je montre combien j’avais à cœur de représenter honnêtement la réalité qui est la sienne et celle des Tohono O’odham. J’ai dû me plier à certaines de leurs exigences, véhiculées par Mike et son ami de toujours David Garcia, qui joue le rôle de son frère Manuel dans le film, afin de les convaincre. Mais j’ai fait comme j’avais déjà fait auparavant pour Le jour où Dieu est parti en voyage et Une famille syrienne. J’ai cherché les protagonistes de mon film parmi la population locale, tant du côté Tohono et en respectant leurs inquiétudes et leurs questionnements, que du côté des "Blancs".
Zick, le petit garçon est lui aussi Tohono. Je devais trouver un enfant sachant bien monter à cheval. J’en ai rencontré un seul, Ezekiel, et pour mettre toutes les chances de mon côté et lui donner confiance, à ses parents et à lui, Mike a décidé de m’accompagner au premier rendez-vous, me donnant ainsi sa caution. Mike a été très généreux et très précieux tout au long du tournage, en m’indiquant comment les choses se passaient, ou ce dont il fallait se méfier, et surtout en restant continuellement un lien et une caution auprès des gens de son peuple. Les Amérindiens ont été lésés, abusés, dépossédés, assassinés depuis l’arrivée des Blancs, et ils n’oublient rien, surtout pas de garder leurs distances et de se protéger contre l’imagerie américaine que les médias et le cinéma ont créé pour les représenter. Mike a été comme un vrai grand-père pour Zeke. Il a tout de suite compris les codes dont dépend un acteur. Il disait à Zeke « Ne fait rien, regarde-moi, c’est tout. »

Vicky Krieps est glaçante en agente de la douane américaine. Le choix – étonnant – du cast luxembourgeois était-il pour vous une évidence ?

PVL : Quand j’ai vu Vicky dans Pantom Thread j’ai tout de suite pensé à elle, et je n’ai plus changé d’avis. Vicky est une actrice entière, c’est-à-dire qu’elle entre dans son personnage une fois pour toutes. Ici en particulier, nous étions conscients tous les deux qu’il fallait qu’elle apparaisse foncièrement américaine, et donc elle a dû travailler son accent, ce qu’elle a fait pendant tout l’été avant le tournage avec une coach du Julliard Institute à New York.
Elles ont décortiqué le scénario de fond en comble et quand elle est arrivée, Vicky était prête, absolument prête. Elle avait envisagé toutes les situations, y compris le meurtre, moment extrêmement délicat puisqu’il devait apparaître comme un débordement plutôt qu’un acte résolu, et dès la première prise, tout était en place et parfaitement lisible. En plus il y a dans son visage une vulnérabilité, une pudeur aussi qui viennent en contrepied de la dureté et de l’absolu de son personnage, et j’en avais terriblement besoin pour qu’il apparaisse humain et qu’on puisse malgré tout s’attacher à elle.

Vicky Krieps - Copyright Altitude 100 / Bodega Films
Vicky Krieps
Copyright Altitude 100 / Bodega Films

Quelles sont les difficultés de tourner dans le désert, et comment avez-vous approché l’image du film ?

PVL : J’ai beaucoup apprécié travailler avec Joachim Philippe, SBC, mon chef opérateur pour ce projet. C’est chaque fois un peu délicat pour eux d’avoir un ancien chef op’ comme réalisateur, mais en réalité, parce que je comprends intimement ce qu’ils font, je pense que je les dirige comme je peux diriger les acteurs, et ce n’est que pur bénéfice. Ici je voulais une photographie très éclatée parce que je crois qu’à l’image la chaleur est un blanc dur et surtout pas un jaune-orangé. Joachim a magnifiquement réussi ce défi. Il a aussi superbement accompagné les mouvements des acteurs et de l’action, et en cela je pense que le choix d’un format compact (1,55:1) nous a aussi bien aidés, et contribue aussi au sentiment quelque peu claustrophobique auquel le film invite.
Filmer le désert est à la fois très exaltant et un peu frustrant parce que le regard embrasse toujours davantage que le cadre d’une caméra. D’autre part, j’essaie toujours de ne pas me laisser embarquer par la beauté d’un lieu, j’essaie de le rendre coutumier, comme il l’est pour les protagonistes du film. Mais c’est vrai que c’est une région d’une beauté exceptionnelle et que le tentation d’en donner plus à voir est forte.

Le tournage s’est réalisé sur la frontière au sud de Tucson en Arizona, entre les États-Unis et le Mexique. Quelles ont été les difficultés et potentielles complications sur place ?

PVL : Je pense qu’il faudrait poser cette question à Guillaume Malandrin, le producteur du film. Le département Custom & Border Protection (CBP) nous a refusé toute autorisation de tourner le long du mur. Nous avons donc dû finasser avec un corps d’armée incroyablement puissant et bourré de technologies, sachant qu’ils pouvaient contrôler le moindre de nos mouvements. Mais on a quand même réussi à voler quelques scènes le long du fameux mur.
Par contre, nous avons pu compter sur les connaissances et l’expertise de certains policiers de la frontière, qui apparaissent dans le film en tant que figurants et qui eux aussi nous ont aidés à ne pas commettre d’erreurs. Une ancienne policière de la frontière devenue militante anti-police de la frontière, Jen Budd, a bien voulu relire et corriger le langage "pro" des policières et policiers de la frontière pour qu’il colle lui aussi à la réalité du terrain.

Vicky Krieps - Copyright Altitude 100 / Bodega Films
Vicky Krieps
Copyright Altitude 100 / Bodega Films

Les journées des Border Patrols sont sans doute très monotones. Ce sont des pauses de 12 heures, seul dans un véhicule, en pleine canicule, avec la radio et rien à voir. Alors évidemment dès qu’il se passe quelque chose, ils sont comme des enfants et leur réactions sont souvent débordantes.
Mais s’il y en a un bon nombre qui sont un peu comme Jessica Comley, il y en a aussi qui vont à la rencontre des gens en détresse et qui souvent les sauvent. Le désert est impitoyable. Tout l’un dans l’autre, entre les règles Covid et les exigences de l’administration américaine pour délivrer les visas de l’équipe, ça a été très laborieux, coûteux et très très contrariant. L’assistant réalisateur, le chef décorateur et la cheffe costumière sont arrivés sur place à Tucson deux semaines avant le tournage. Entretemps, j’étais seul sur place, avec le soutien de notre équipe américaine, à préparer le tournage, mais on y est arrivé malgré tout, c’est tout ce qui compte.

The Wall
Réalisation et scénario : Philippe Van Leeuw, AFC
Production : Guillaume Malandrin (Altitude 100 Productions)
Production exécutive : Justin Kreinbrink (Monsoon Productions)
Direction de la photographie : Joachim Philippe, SBC
Décors : Thomas Bremer
Costumes : Magdalena Labuz
Maquillage : Margarita Potts
Son : Mikkel Gross, Paul Heymans, Alek Goosse
Montage : Gladys Joujou


https://youtu.be/YOfSdmESYrc

Équipe

1e assistante image : Agathe Corniquet
2e assistante image : Ada Détraz
Chef électricien : Vitalijus Kiselius
Chef machiniste : Corentin Geisen

Technique

Postproduction : Beo Post (Copenhague)
Étalonneur : Edoardo Rebecchi

synopsis

Jessica Comley fait partie de la police des frontières américaine entre l’Arizona et le Mexique. Dans ce désert impitoyable, elle est fière et déterminée à défendre par tous les moyens l’Amérique contre les trafiquants de drogue et l’immigration clandestine. Mais à force de repousser sans cesse les limites, une de ses interventions tourne mal et un vieil Amérindien et son petit-fils en sont témoins. Face aux autorités, ce sera sa parole contre la leur.