Anthony Dod Mantle, DFF, BSC, ASC, revient sur le tournage de "Radioactive", de Marjane Satrapi

Par Margot Cavret pour l’AFC

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Cette année, Camerimage fêtait les 550 ans de la naissance de l’astronome Nicolas Copernic à Toruń. En plus de l’exposition exceptionnelle du tableau "L’Astronome Copernic ou Conversations avec Dieu" pendant toute la durée du festival, et de deux conférences axées autour de l’interconnexion entre les sciences et l’art cinématographique, les programmateurs ont également concocté une rétrospective spéciale de films mettant en image certains des scientifiques les plus révolutionnaires du siècle dernier. Mercredi, le film Radioactive a été à nouveau diffusé, après sa première sélection en 2019 en séance spéciale. L’occasion pour le chef opérateur Anthony Dod Mantle, DFF, BSC, ASC, de présenter le film, dont la sortie en salles avait été contrariée par les confinements de 2020.

Anthony Dod Mantle est un habitué du festival, qui lui a déjà remis trois Prix : les Grenouilles de bronze pour Snowden, en 2016 et First They Killed My Father, en 2017, et la Grenouille d’or pour Slumdog Millionaire, en 2008. Son premier film, Festen, continue de fasciner le public, qui n’hésite pas à sortir du thème de la séance de Q&R du jour pour l’interroger à ce sujet.
Enthousiaste, le chef opérateur tente de répondre avec acuité aux questions portant sur un film tourné il y a plus de 25 ans : « L’ADN du film était une recherche de spontanéité et d’émotions pures. On ne préparait rien, et j’essayais de ne pas réfléchir à ce que je faisais, à être entièrement spontané. C’est un film qu’on a tourné en Betacam, ce qui nous a donné une grande mobilité. Il y a même des plans qu’on a tourné en mettant la caméra sur une perche ! Le Dogme 95 est une idée amusante, mais c’est important d’apprendre les règles avant de les briser ».


Ce premier film attire l’attention de Danny Boyle, avec lequel le chef opérateur a partagé de nombreux films. « Il sortait d’un film très élaboré et lourd techniquement qui avait été opéré par Darius Khondji, et il avait envie de changer pour quelque chose d’autre. On a travaillé ensemble à la recherche d’une image émotionnelle, spontanée et impulsive. Sans forcément être à l’épaule, l’idée était de rester ouvert et en connexion avec le sujet. J’ai horreur des grosses mattebox, j’ai besoin de voir les comédiens, de sentir leur proximité. »

"Festen" de Thomas Vinterberg (1998)
"Festen" de Thomas Vinterberg (1998)


Cependant, Anthony Dod Mantle a su rester libre, sans s’enfermer dans le style qu’auraient pu lui dicter ses premiers films. Toujours à la recherche de nouveaux défis, il s’engage avec Radioactive sur un projet très différent, à l’aspect graphique très appuyé. « Quand je lis un script, j’essaye de m’imaginer le film, et quels seront les outils les plus adaptés. Radioactive est un film doux et élégant, qui avait plus besoin de rails de travelling que de caméra épaule. J’ai tourné avec l’Alexa 65, je recherchais de la douceur, j’ai parfois dû monter en ISO pour certaines scènes en décor réel, puis j’appliquais un traitement de réduction du bruit. »


« Quand j’ai reçu ce script, je me suis senti attiré par l’histoire, et par le défi que représentait le fait de faire un film historique. Je connaissais peu l’histoire de Marie Curie, et la période m’intéressait visuellement. J’étais aussi un peu intimidé à l’idée de travailler avec Marjane Satrapi qui est une grande artiste graphique. Finalement, dès notre première rencontre, j’ai eu l’impression de la connaître depuis des années. Elle me faisait confiance et je me suis senti libre. Comme elle dessine beaucoup, c’était facile de communiquer avec elle au sujet de l’image. Elle a story-boardé quelques séquences, notamment celle de l’accident de Pierre Curie, qui était une scène difficile pour laquelle nous avions peu de temps. Elle est également très à l’aise en science, et quand elle m’en parlait en préparation, j’étais souvent perdu, car personnellement je suis nul en science ! J’ai dû apprendre une forme de philosophie de la science, et je me suis rendu compte que ça avait beaucoup à voir avec le cinéma, de l’expérimentation à l’assemblage des éléments (couleurs, contrastes, sons, scénario, etc.) pour obtenir une réaction. »


Le film est adapté d’un roman graphique, Radioactive : Marie et Pierre Curie : A Tale of Love and Fallout. Au-delà de la figure scientifique, le récit s’emploie à dépeindre l’histoire d’amour entre Pierre et Marie Curie. Marjane Satrapi insiste également sur tous les obstacles et toutes les injustices qu’a pu rencontrer Marie Curie, du fait de son sexe, tout au long de sa carrière. « Nous avons essayé de garder l’âme visuelle du livre, tout en restant dans une image émotionnellement proche du personnage. Nous avons essayé de faire ressentir sa passion pour les sciences, presque de façon érotique. Nous regardions beaucoup de peintures avec Marjane. On parlait beaucoup de couleur, en lien avec les personnages. Elle aime énormément la couleur, et j’ai utilisé beaucoup de projecteurs différents et de gélatines. Elle était également présente à l’étalonnage, pour elle, c’était comme faire de la peinture. Elle a une vraie curiosité technique et scientifique, parfois elle voulait elle-même manipuler le banc d’étalonnage ! »

(Propos retranscrits par Margot Cavret pour l’AFC)