Eigil Bryld, DFF, revient sur ses choix techniques pour "Holdovers", d’Alexander Payne

Par Margot Cavret pour l’AFC

Bien que régulièrement sélectionné (The King, Tulip Fever, The Report), le chef opérateur danois Eigil Bryld, DFF, n’était encore jamais venu à Camerimage. C’est désormais chose faite, avec la présentation hier en avant première du film The Holdovers, d’Alexander Payne. La séance a été suivie d’une séance de Q&R avec le public.

Se déroulant dans les années 1970, The Holdovers raconte les vacances de Noël que sont forcés de passer ensemble un étudiant insolant, un professeur désabusé et une mère en deuil de son fils. Les personnages s’ouvrent lentement les uns aux autres, accompagnés par un cadre sensible et un look définitivement seventies.

« Le film a été tourné il y a deux ans, même si il a l’air bien plus vieux », signalait Eigil Bryld en début de séance. « Nous voulions que le film soit une fenêtre sur les années 1970, et un hommage au cinéma de cette époque. Au-delà des nombreux essais techniques que nous avons faits pour nous rapprocher de ce look, le sentiment d’immersion dans cette décennie passait surtout par le récit et la mise en scène, qui devaient se glisser dans la sensibilité et la liberté de l’époque, la libération des studios, et les tournages en décors réels d’histoires plus sensibles, plus intimes, de personnages peut-être moins formatés qui en ont découlé. »


« Ce sont aussi des films avec des budgets plus bas, qui utilisent beaucoup la lumière naturelle. Notre idée n’était pas tant d’utiliser strictement la lumière naturelle, mais en tout cas de trouver un look qui y ressemble, en trichant si nécessaire. » Cherchant plus à se glisser dans l’esprit de la décennie que dans une esthétique strictement identique, Eigil Bryld s’autorise cependant à utiliser les outils modernes : « Les LEDs n’existaient pas encore à cette époque, mais c’est typiquement le genre de chose qu’ils auraient exploité s’ils en avaient eu la possibilité. J’ai utilisé beaucoup de projecteurs à LED sur ce film, car ce sont des projecteurs qui accordent la facilité et la liberté qu’on recherchait ». De la même manière, le film n’est pas tourné en pellicule. « Le problème, c’est que les pellicules et leur développement en laboratoire aujourd’hui ne ressemblent plus du tout à ce qui était fait dans les années 1970. Si j’avais tourné le film en pellicule, j’aurais dû dégrainer en postproduction pour remettre un masque de grain plus approprié. J’ai choisi de tourner avec une Arri Alexa numérique et une série Panavision, en sous-exposant légèrement. C’est une époque où on détestait le grain, car c’était signe d’une mauvaise exposition, mais aujourd’hui on adore ça. Nous avons fait beaucoup d’essais pour savoir où était la juste limite pour nous, pour être à la fois dans l’esthétique et dans l’esprit des années 1970. On ne voulait pas non plus en faire trop, une esthétique trop poussée qui aurait été une barrière entre le spectateur et le film. »


Le film est tourné dans un ratio 1,66:1, juste milieu rendant élégant à la fois les plans de personnages seuls, très présents au début du film pour caractériser leur isolement et leur mésentente, et à la fois les plans de groupe, beaucoup plus utilisés en fin de film. « Le cinéma américain indépendant de cette période se tournait surtout en 1,85:1, et le 1,66:1 était plutôt utilisé en Europe. Ça a été une longue conversation avec le réalisateur, de choisir entre une forme de justesse historique et un ratio plus adapté aux besoins du film. Alexander est un réalisateur très impliqué, parfaitement conscient des toutes les implications techniques. Il ne travaille jamais contre la lumière, et était toujours très impliqué dans mes tests de caméra et d’optiques. Sur le tournage, nous étions très flexibles, pour pouvoir nous adapter à la météo, la neige, le blizzard. On faisait des répétitions, puis on tournait, presque comme un documentaire. Alexander ne regarde jamais le moniteur, il ressent l’espace, et décide d’une place physique de la caméra. Quand on tourne, il reste près de moi, le regard dans l’axe de l’objectif. Nous étions comme une petite famille formée autour de la caméra, avec juste le perchiste, le chef machiniste, lui et moi. C’est une ambiance de travail très agréable, surtout pour les comédiens. »

(Propos retranscrits par Margot Cavret pour l’AFC)