Retour sur la rencontre avec Paweł Edelman, PSC, au sujet du film "Le Pianiste", de Roman Polanski

Par Margot Cavret pour l’AFC

A l’occasion des 75 ans de l’École de cinéma de Łódź, Camerimage a présenté quelques-uns des films de ses anciens élèves. Parmi ceux-ci, Le Pianiste, l’un des premiers films polonais à avoir une portée internationale, notamment en remportant une Palme d’or, sept César et trois Oscars. Le film marque également le premier d’une longue collaboration entre Roman Polanski et le direteur de la photographie Paweł Edelman, PSC. Profitant de la remasterisation 4K dont il vient de faire l’objet, Le Pianiste a été présenté en fin de festival, et suivi d’une séquence de Q&R avec Paweł Edelman.

20 ans plus tard, Paweł Edelman est toujours très fier de ce film. « Peut-être que je pourrais faire mieux maintenant que j’ai plus d’expérience, mais si c’était à refaire, je ne changerais presque rien. J’ai supervisé la restauration, et je me suis battu pour garder exactement le même look. » Dans la salle, beaucoup de spectateurs re-découvraient le film, tandis que d’autres étaient confrontés à leur premier visionnage, mais tous étaient sous le coup de la même émotion.

« Nous avions conscience de faire un film dur et sérieux, et l’ambiance s’en ressentait sur le tournage par une grande concentration de chacun. Quand le musicien venait pour les longues scène de piano, il y avait un atmosphère incroyable qui s’emparait du plateau, tout le monde écoutait la musique avec beaucoup d’émotion et de respect. J’ai rencontré Roman à Berlin, deux mois avant le tournage. Je me souviens très bien de cette soirée, son vol avait été retardé, et nous avons dîné tard, en parlant du film pour la première fois. J’avais dans l’idée qu’il voudrait quelque chose proche du documentaire, à l’épaule, mais il préférait un style plus classique, il m’a dit que ça devait être plus vrai que du documentaire. C’est une phrase qui m’a habité pendant tout le tournage. Lors de la préparation, nous avons regardé beaucoup d’images d’archives, ce qui avait été enregistré à Varsovie pendant la Seconde Guerre mondiale, et nous avons tenu à ce que toute l’équipe voit ces images, pour rester humble et sincère dans la fabrication du film. »

Le film est habité par la performance d’Adrian Brody, seul pendant une grande partie du film. « On tournait à l’envers, car il fallait commencer par les scènes dans lesquelles il est maigre et barbu. Roman Polanski procède toujours de la même manière : en début de journée, on fait une répétition. À ce moment-là on n’a pas encore en tête de plan précis, on se contente, les comédiens, Roman, la scripte et moi, d’essayer de déterminer les positions des personnages, sans penser à la technique. Parfois la scène est un peu adaptée, en fonction des suggestions que les comédiens peuvent faire. Ensuite, on détermine le meilleur axe pour le plan large, par lequel on commence. Roman aime simplifier au maximum et a toujours le montage en tête, ce qui lui évite de tourner des plans inutiles. C’est un processus logique et organique. Il fait toujours entre dix et douze prises, jamais plus, jamais moins ! »
Interrogé quant à ses décisions techniques, le chef opérateur tente de re-convoquer ses souvenirs pour répondre avec précision : « J’aime les lumières douces, donc pour ce film, j’utilisais essentiellement des HMI, des Kino Flo et surtout des lumières en réflexion. Nous utilisions deux pellicules différentes, la Kodak 500T et la 250D. Le film était mon premier en étalonnage numérique, à partir de la pellicule scannée. C’est à cette étape qu’on a pu désaturer l’image et lui donner son ton froid.
Roman a complètement changé ma pensée sur les objectifs. A l’époque, j’aimais surtout les focales longues, mais lui n’utilisait que des focales courtes. On a tourné l’intégralité du Pianiste exclusivement avec un 32 et un 25 mm. Ça a été une grande leçon pour moi, d’apprendre à me concentrer sur un choix très réduit de focales. Ça donne de la consistance à l’univers du film, l’espace et la profondeur restent les mêmes. Si je n’avais qu’un conseil à donner c’est « Less is more », essayer d’attraper l’essence de la scène avec le minimum de plans, le minimum de projecteurs. »

Le chef opérateur a également été invité à parcourir sa carrière par les questions des spectateurs, pas toujours en lien avec le film projeté. Entre ce Pianiste, qui marque le début de sa carrière internationale, et Lee, son dernier film, en Compétition principale cette année, Paweł Edelman a en effet eu une carrière abondante et diversifiée. « Avant ce film, j’avais commencé avec des films très différents, des films d’action dans un style visuel moderne intéressant. Juste après Le Pianiste, j’ai fait Ray, un autre film sur un pianiste ! Taylor Hackford, le réalisateur, a une façon de travailler radicalement différente. Il tourne systématiquement à trois caméras, et n’a pas de plan de montage. J’ai dû m’adapter à cette nouvelle situation, trouver des angles intelligents pour les trois caméras, éclairer en conséquence.
Ensuite, j’ai retrouvé Roman Polanski, pour Oliver Twist. C’était aussi très différent car c’était un film joyeux, très coloré et en Scope. Chaque film a besoin d’une approche différente, la technique utilisée doit s’adapter à son langage. Je prends beaucoup de plaisir à changer de style à chaque film, à me réinventer. J’essaye d’être sélectif et de ne travailler que pour les scripts qui m’interpellent. C’est un autre conseil que je pourrais donner, essayer d’être sélectif et de trouver sa voix. »

Assistant à la rencontre, la réalisatrice de Lee, Ellen Kuras, questionne sur la relation qu’il entretien avec le chef décorateur. « J’avais déjà travaillé avec Allan Starski sur Pan Tadeusz », répond Paweł Edelman, « c’est un homme brillant. Il comprend parfaitement qu’il doit adapter son décor à mes besoins, pour que je puisse l’éclairer et le filmer dans les meilleures conditions. Nous discutions de tout, de la position des fenêtres, de la couleur des murs, etc. C’est la plus belle collaboration que j’ai eue sur Le Pianiste ».

© Bac Films

Profitant de la présence d’Ellen Kuras dans la salle, la dernière question porte sur Lee. Puisqu’elle était elle-même cheffe opératrice, sa relation avec Paweł Edelman a été très importante pour le tournage. « On a préparé le film pendant trois mois, et nous avons analysé chaque scène ensemble. Nous avons coopéré ensemble pour trouver les meilleures solutions », répond Paweł Edelman. Ellen Kuras complète : « Nous parlions de ce que voulait dire chaque scène, quelle était l’intention, pour déterminer la position de la caméra. Nous avons imaginé le film ensemble, d’un point de vue visuel. Je connaissais bien le travail de Paweł et je l’appréciais, mais j’ai découvert qu’en plus d’être un grand artiste, c’est une personne sensible, gentille et douée de beaucoup de compassion. C’est très important de travailler avec des personnes bienveillantes, afin de garder le film sur la bonne voie, sans le parasiter par des discordes et des conflits d’égo ».

(Propos retrancrits et mis en forme par Margot Cavret pour l’AFC)