Un silence

Un silence, le nouveau film de Joachim Lafosse, est ma 7e collaboration avec lui. Dès nos premiers échanges sur le film, la question du renouvellement de notre manière de filmer a été au cœur de nos débats. Comment trouver la forme juste tout en ne se répétant pas. Tout simplement en écoutant le scénario. C’est lui qui nous a dicté la forme du film.

Jusqu’à présent, avec Joachim, nous avons soit travaillé à l’épaule comme pour A perdre la raison, Les Chevaliers blancs, et Les Intranquilles, soit au Stab One/ Maxima pour L’Économie du couple et Continuer.

Ici, la Dolly nous est apparue comme une évidence, comme le meilleur moyen d’interpréter la vision que nous avions du scénario mais je n’avais jamais travaillé comme cela avec lui et nous appréhendions un peu le tournage sur ce point. L’écriture en plan-séquence, qui est l’épine dorsale de la mise en scène de Joachim, rendait le pari plus complexe. Allions-nous pouvoir obtenir la même liberté que sur les films précédents en allant dans cette direction ?

Quand nous avons repéré la maison, décor principal, où la plus grande partie du film allait avoir lieu, j’ai pu constater que la quasi totalité du sol de cette demeure de 40 m de long sur 10 m de large était faite d’un seul tenant et parfaitement lisse, nous allions donc pouvoir filmer à la Dolly, suivre ou précéder les personnages, sans devoir mettre de rails ce qui nous aurait beaucoup contraints au vu du travail de Joachim.
La méthode étant posée, j’ai demandé à être accompagné de mon chef machiniste habituel, Renaud Fiddon, car ce travail allait nous demander beaucoup de complicité. Notre collaboration de longue date nous permet souvent de nous comprendre d’un simple regard et c’était indispensable ici. Bien que cela complique le quota de techniciens liés à la co-production belgo-luxembourgeoise et française, la production a accepté, ce qui m’a grandement rassuré.

Rapidement, l’enjeu a été de chercher comment inscrire les scènes en plans-séquences mais sans jamais avoir un côté performance qui aurait pris le dessus sur l’interprétation. Autant la caméra à l’épaule sur Les Intranquilles a été volontairement mise en avant pour incarner la fébrilité et l’énergie des personnages, autant ici on voulait un filmage plus dans la retenue, plus sobre.

J’ai passé huit jours sur le décor avec Joachim et Chloé (la co-scénariste du film) pour imaginer les déplacements des personnages et de la caméra, et déterminer un découpage provisoire.

Parallèlement à ce travail, j’ai aussi fait des essais filmés dans le décor pour déterminer la caméra et les optiques les plus adaptées au film. Avec mon assistant Amaury Duquenne, sur les conseils de Philippe Piron et d’Alexander, chez Vantage, nous avons comparé 5 séries d’optiques (Hawk 65 Vintage’74 anamorphose 1.3 X, Hawk 65 anamorphose 1.3 X, Hawk Class-X, Cooke SF Full Frame anamorphose 1.8 X et PS Technovision anamorphose 1,5 X ) et côté caméra RED Monstro 8K, Sony Venice 1 et Arri Alexa Mini LF.

Après avoir étalonné ces essais avec Thomas Bouffioulx (Colorist), nous les avons projeté, "à l’aveugle", en présence de Joachim et des producteurs. Le résultat a été unanime et c’est le couple Monstro-Hawks 65 74 qui a été retenu.
Je travaille depuis longtemps en grand capteur et j’ai voulu ici pousser le processus au plus loin en cherchant à exploiter la plus grande partie disponible du capteur ce qui veut dire des optiques avec des coefficients d’anamorphose différents puisque les 3 caméras que j’ai testées n’ont pas un ratio H/L identique.
J’ai ensuite confronté et affiné notre découpage pendant les 8 jours de répétitions dans le décor fini avec Emmanuelle Devos (Astrid), Daniel Auteuil (François), Jeanne Cherhal (la commissaire Colin) et Mathieu Galoux (Raphaël) où j’ai pu filmer avec Artemis les scènes telles que nous les avions imaginées.
A la suite de cette préparation, un document assez précis a pu être partagé avec toute l’équipe pour être "sur la même page".

La dernière journée de répétition a donné lieu au tournage de quelques plans prévus dans le découpage. Mon équipe électro étant déjà sur place pour le pré-light, j’ai pu sommairement éclairer ces scènes et obtenir un résultat satisfaisant afin de mettre en place les LUTs du film.

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Un de mes problèmes principaux pour la lumière a été que, dans cette grande maison, il y a des fenêtres sur 40 m de long, exposées plein sud, donc pas de soleil le matin jusque 11h puis du soleil jusqu’à 18h. Je devais avoir la possibilité de créer un effet de soleil en amont de sa réelle présence pour m’assurer de la continuité des séquences. Pour cela, j’ai choisi d’utiliser des sources puissantes : Arri Max 18 kW, Alpha 9 et Cinepar 6 kW et pour remplir Luxed 12 plus Airframe 1 et 2, que j’affectionne particulièrement pour éclairer les personnages.

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Pour les nuits, j’ai utilisé des 10 kW Fresnel car je voulais des ombres nettes mais aussi les Luxed 12 pour les fonds du jardin et 2 Huracan X Ayrton pour faire, dans la maison, des effets de lune passant à travers les feuillages. On a fait fabriquer deux gobos à cette intention et on a utilisé une fonction de ce projecteur qui nous a permis de faire bouger légèrement la lumière comme si le vent faisait bouger le feuillage.

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Après plusieurs essais, j’ai décidé de colorer les nuits avec du Steel Green sur une base 3 200 K.
J’ai essayé tout au long du film de faire passer les personnages de l’ombre à la lumière, que j’ai voulue feutrée, avec des noirs profonds et poudrés à la fois. La série Hawk que j’ai utilisée m’y a beaucoup aidé en me permettant de trouver le rapport de contraste idéal avec la Monstro que j’ai poussée à 2 000 ISO, comme je le fais d’habitude, afin d’obtenir la texture que je souhaitais. Nous voulions donner une couleur chaude au film. Après de multiples essais, j’ai finalement opté pour filtrer avec un Harrison Antique Suède N° 2 pour les scènes de jour. Pour les nuits, ce filtre étant trop gourmand en lumière, une LUT me rapprochant du rendu de l’AS a été créée par Thomas pour harmoniser les scènes de jours et celles de nuit.

Réalisation : Joachim Lafosse

Scénario : Joachim Lafosse, Matthieu Reynaert, Thomas van Zuylen et Chloé Duponchelle
Cheffe décoratrice : Anna Falguères, ADC
Cheffe costumière : Judith de Luze
Chef opérateur du son : Alain Goniva
Chef monteur : Damien Keyeux

Équipe

Premier assistant opérateur : Amaury Duquenne
Chef électricien : Vitalijus Kiselius
Chef machiniste : Renaud Fidon

Technique

Matériel caméra : Vantage Belgique (RED Monstro et optiques Hawk65 Vintage’74)
Matériel lumière : Eye-Lite
Postproduction : Chardon

synopsis

Silencieuse depuis 25 ans, Astrid la femme d’un célèbre avocat voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice.