Revue de presse
A mi-parcours, "Un certain regard" fait la part belle aux jeunes cinéastes
par Jean-François RaugerLe Monde, 23 mai 2007
Après avoir débuté avec deux grands noms du cinéma d’auteur international, Hou Hsiao-hsien et Barbet Schroeder, la section Un certain regard de la Sélection officielle s’est davantage consacrée à la présentation d’oeuvres de jeunes cinéastes, prenant le pari de la découverte. Si l’on met à part Mon frère est fils unique, de Daniele Luchetti, chronique tragi-comique ultra-convenue de l’Italie des années 1970, il n’y eut, jusqu’à la fin de son premier week-end, que des premiers ou des seconds films de fiction proposés au public du festival.
Blind Mountain, du Chinois Li Yang, retrouve les qualités mais surtout les limites de son précédent film, Blind Shaft, qui avait obtenu l’Ours d’argent au Festival de Berlin en 2003. En s’attachant à décrire le martyre d’une jeune femme enlevée et vendue à un villageois du Nord de la Chine au début des années 1990, le cinéaste dénonce tout en vrac le sort des femmes chinoises, la corruption et le féodalisme qui semblent régner dans certaines régions.
Moins attaché à prouver une quelconque originalité formelle qu’à raconter une histoire horrible avec le maximum d’efficacité et le minimum de subtilité, Blind Mountain s’amuse aussi avec les nerfs du spectateur, à la façon d’une série B, jusqu’à permettre à celui-ci d’atteindre parfois un état cathartique traduit par les applaudissements de la salle déclenchés par une scène finale que l’on se gardera bien de raconter.
Le récit de La Visite de la fanfare, de l’Israélien Eran Kilirin, repose, quant à lui, sur une suspension du temps. Les musiciens d’une fanfare de la gendarmerie égyptienne invitée en Israël se trompent d’endroit et doivent passer quelques heures dans une petite ville écrasée par l’ennui, hébergés par quelques habitants dont une dynamique et solitaire gérante de restaurant incarnée par Ronit Elkabetz. Traité sur le mode d’un comique minimaliste (plan fixe et gags à combustion lente) le film décrit divers personnages, parfois un peu trop typés (le veuf inconsolable, le dragueur) que leur séjour transformera quelque peu. Ce qui n’apparaîtra pas comme une grande surprise.
Plus étonnant est le film estonien Magnus, d’une jeune réalisatrice de 26 ans, Kadri Kousaar : le portrait d’un jeune homme suicidaire qui passe quelques jours avec son père, proxénète bon vivant et ne doutant de rien. Celui-ci tente sans succès d’insuffler à son rejeton, par différents moyens dont une visite au bordel, une envie de vivre. Malgré des dialogues qui parfois surlignent un peu les enjeux du récit, Magnus est la peinture d’un petit monde touchant de déclassés et de fumeurs de pétards, mais aussi l’impossible quête d’une réponse à la dépression du jeune homme. On retiendra aussi un personnage étonnant, celui du père, qui avoue avoir laissé mourir son fils pour respecter le choix de celui-ci.
Les deux films français présentés avaient non seulement comme point commun d’être réalisés par des femmes, mais plus précisément de s’attaquer à ce que l’on pourrait considérer comme divers aspects de la féminité. Naissance des pieuvres, de Céline Sciamma, s’attache ainsi à la sexualité des adolescentes à travers le portrait de trois jeunes filles plutôt pressées de se débarrasser de leur encombrante virginité. Un rapport frontal et direct avec son "sujet", qui évoque les premiers films de Catherine Breillat, caractérise un film dont la grande qualité est le talent des trois jeunes comédiennes, trois révélations qui lestent Naissance des pieuvres d’une authenticité incarnée indiscutable.
Actrices, de Valeria Bruni-Tedeschi, qui apparaît déjà comme l’un des rares films un peu joyeux d’un festival à la sombre tonalité, pourrait être le second volet d’une série inaugurée par Il est plus facile pour un chameau... Marcelline est comédienne et incarne au Théâtre des Amandiers Natalia Petrovna dans Un mois à la campagne, de Tourgueniev. Aux affres et interrogations engendrées par son rôle s’ajoutent l’angoisse ressentie devant l’urgence biologique à avoir un enfant et à trouver le mâle idéal pour y parvenir.
Foutraque, inégal, volontiers digressif, souvent inventif, Actrices plonge le spectateur au coeur de la névrose narcissique et de l’hystérie de son personnage principal qui devient, suivant peut-être la volonté d’un autoportrait de la réalisatrice et actrice, une figure burlesque originale. C’est dire que l’on rit souvent à un film qui exige de ses comédiens, avec succès (Mathieu Amalric inénarrable en Patrice Chéreau hurlant), de témoigner brillamment de leur talent comique.
Jean-François Rauger, Le monde du 23 mai 2007