Antoine Héberlé parle de "Meduzot" d’Etgar Keret et Shira Geffen
Sélectionné à la Semaine Internationale de la CritiqueIl recherchait un opérateur étranger pour filmer la ville de Tel-Aviv avec un regard « différent », me dit-il.
Le scénario, son ton et sa fantaisie m’ont tout de suite séduit.
Shira Geffen en est l’auteur. Elle est actrice et metteur en scène de théâtre, et a coréalisé le film avec son mari Etgar Keret, talentueux écrivain dont on peut lire certaines œuvres traduites en français et publiées chez Actes Sud - pour ceux que ça intéresserait.
Les méduses sont ces créatures aquatiques ballottées malgré elles au gré des courants. Medusot, ce sont trois histoires croisées, un peu " à la Skolimovski " ou " à la Iosseliani ", qui racontent la dérive de deux jeunes femmes et d’un couple dans la ville de Tel-Aviv. Chacun retrouvera finalement la terre ferme, plus ou moins en douceur.
Comme pour tout premier film, les doutes étaient nombreux, les discussions longues et souvent drôles avec mes deux interlocuteurs. La préparation a duré 5 semaines, décalant plusieurs fois le début du tournage. En effet, bien des problèmes de plan de travail devenaient inextricables à cause d’une période intense de fêtes religieuses. C’est un peu comme si nous avions voulu commencer à tourner en France le 23 décembre avec les ponts du mois de mai en janvier… Il a bien fallu se rendre à l’évidence et couper le tournage en deux parties : 5 semaines plus une six mois plus tard.
Les demandes de Shira et Etgar ont pris forme petit à petit en travaillant le découpage sur le papier.Il s’agissait de leur premier film et pour certaines séquences, Shira avait une vision très précise de ce qu’elle voulait. J’y ai perçu l’influence de son travail sur la scène : souvent des plans fixes, face au décor, proches de la symétrie, avec une mise en place précise des comédiens qui évoluent dans le cadre. Pour d’autres séquences, il semblait soudain que tout devait être à l’image et la confiance en le hors-champ était vacillante. Je dirais qu’alors le champ contre-champ s’imposait un peu trop vite. Shira redoutait un peu les mouvements de caméra, alors qu’Etgar les appréciait davantage… discussions, discussions.
La confiance s’est très vite installée entre nous, et il m’a fallu faire preuve de retenue pour les laisser exprimer leurs visions du plan avant d’exposer la mienne. En tout cas j’ai été impressionné par leur aptitude à vite maîtriser les outils du cinéma pour figurer leur univers.
Pour ce qui est de la lumière, Etgar et Shira ne m’ont donné que très peu d’indications. Nous avons regardé des photos et des reproductions de tableaux, mais d’avantage pour définir un climat général du film que pour chercher une texture particulière à l’image. Les ambiances sont proches du naturel, mais avec une pointe d’artifice pour que les décors naturels de Tel-Aviv prennent un léger aspect " studio " ou théâtral. Je me suis attaché à découper des morceaux de la ville pour les utiliser un peu comme des toiles de fond, et empêcher toute reconstruction d’ensemble de la cité.
J’ai eu le bonheur de retrouver la rigueur et l’humour de mon assistant sur Paradise Now, Ehab Assal, et de construire une vraie complicité à la lumière avec mon " gaffer " Micki Bardugo.
L’effervescence de Tel-Aviv et l’énergie créative que dégagent sa jeunesse sont enthousiasmantes.
Néanmoins, je n’ai pu me défaire de la tristesse de savoir mes ancienscamarades d’équipe de Paradise Now toujours prisonniers de leurs " territoires " à quelques kilomètres de là.
Amir Harel de Lama Films et Yaël Fogiel des Films du Poisson s’attachent à défendre des projets sensibles et audacieux. Leur présence et leur travail à Tel-Aviv comme à Paris sont rassurants.
Meduzot a été tourné en 35 mm avec une caméra Moviecam Compact, une série Zeiss Ultraprime, un zoom Cooke Varotal 25-250 mm MK II, et les pellicules Kodak 5218 et 5205.
Sans traitement particulier chez Eclair. Etalonné par Patrick Delamotte.