Au plus près du soleil
Paru le La Lettre AFC n°256
L’histoire du film, que je ne dévoilerai pas (!), se prête extraordinairement bien à ce type d’environnement : à la fois paisible et confortable mais aussi accablant, violent et pernicieux. Lorsque l’on a pour atout une lumière d’une telle force ce serait un non sens absolu d’aller contre et de ne pas essayer de s’en servir.
Je me suis efforcé de canaliser cette énergie tout au long du film, de gérer sa brutalité, sa présence comme son absence avec le plus de souplesse possible. Nous avions peu de moyens à la prise de vues mais avec Rachid Madaoui, chef électricien, et Hervé Rousset, chef machiniste, nous nous sommes efforcés à non pas maîtriser mais à orienter dans le sens de la dramaturgie ce flux extrêmement puissant. Au moment de l’étalonnage avec Natacha Louis, nous avons développé ces intentions et avons essayé de contenir cette puissance.
Le soleil est extrêmement présent dans le film que ce soit sur terre ou en mer. C’est sans doute lui qui donne au film son homogénéité esthétique comme le ferait un décor assez fort pour être la fondation de la direction artistique d’un projet. Nous devions parfois tourner dans trois ou quatre décors par jours. C’était la première fois pour moi qu’une source lumineuse devenait si déterminante qu’elle a intégré le plan de travail avec une si grande précision. Nous arrivions sur les décors pour y tourner très exactement à la bonne heure.
Cette adéquation entre la mise en scène, le récit, la lumière et les personnages donne sans doute au film une force toute particulière ; une énergie qui pourrait être destructrice mais qui, contenue, se diffusera de manière moins explosive et aura des effets tout aussi destructeurs. C’est à ce titre (au sens littéral du terme, il n’y a qu’à voir l’affiche !) que l’on peut sans doute considérer le soleil et cette ambiance si particulière comme un personnage ou un caractère déterminant du film.
Après avoir testé presque toutes les séries d’optiques disponibles sur le marché, j’ai choisi une série Leica Summicron en extérieur jour, et une série Summilux pour les nuits et les séquences sur le bateau. Ces séries, spécialement la Summilux, offrent une définition et une finesse de couleurs exceptionnelles. Celle-ci est remarquablement servie par le 6K de la caméra (Epic Dragon), à ceci près que, pour moi, la définition n’est pas le graal de la prise de vues. Elle est sans doute comparable au moyen format dont la précision sert davantage le rendu des nuances d’une carnation plutôt que le rendu extrêmement fin d’une texture.
A l’aide de changements de diaph presque systématiques, j’ai obtenu une exposition extrêmement fine. La dynamique de la caméra, utilisée dans ces conditions, est devenue plus que satisfaisante, jamais nous n’avons eu recours au HDR dont j’étais pourtant un adepte. Prise dans ces conditions de lumière et d’expositions suffisamment précises, l’Epic Dragon associée à ces optiques (et au talent de Natacha…) nous a offert une gamme chromatique et une profondeur de couleur que peu de caméras peuvent décrire.
Ce type de travail a rendu possible un préétalonnage sur le plateau pris en charge par Chloé Blondeau. Nous avons utilisé le "fool tool", logiciel très bien fait et très léger (une première ?). Le traitement des rushes ensuite revu par Xavier Desjours chez Technicolor est devenu, dès lors, la référence absolue du film. Yves Angelo y était très attaché. Il y a même quelques séquences que nous avions du mal à retrouver à partir du débayer standard du labo. Il a fallu revenir à la référence des rushes et de l’Avid (une fois n’est pas coutume) pour retomber sur nos pieds, notamment pour la séquence rose/bleue de boîte de nuit.
Chez Technicolor, nous avions en permanence à notre disposition un Scratch et un Lustre pour pouvoir revenir sur le Raw et redébayeriser à la demande les fichiers qui le méritaient. J’ai tourné extrêmement bas en niveau dans certains décors, on est parfois passé de 800 à 1 000 ou 1 200 en post pour améliorer le bruit dans les basses lumières.
Nous avons donc tourné avec une Red Epic Dragon, je crois que c’était peut-être une première par chez nous en 6K, assurément une première pour moi. Il semblerait qu’un certain Fincher ait eu la même idée...
La prise de vues s’est déroulée pendant presque tout le film caméra épaule. Nous avions une configuration extrêmement légère préparée avec soin par Samuel Renollet. L’Epic glissait très subtilement de l’épaule d’Yves pour être tenue à bout de bras au plus près des comédiens. Leur présence nous semblait renforcée par cette proximité, voire cette promiscuité.
Si un scénario ou une histoire dérangent les personnages, la caméra elle aussi doit parfois déranger. Seul un plan, pour ainsi dire le plan de fin du film, a été tourné avec un Movi. A la surprise générale, il a merveilleusement bien réagi aux conditions de vents ingérables, force 5 ou 6 face à l’objectif. Le plan est à la fois extrêmement stable et puissant, il est pris dans le dos de la comédienne et découvre l’épilogue du film sur un quai en arrière-plan. Il reste une de mes images préférées du film.
Enfin je tiens à remercier Yves Angelo pour sa confiance et sa bienveillance tout au long du projet. Une vision du cinéma telle que la sienne est parfois intimidante, j’espère m’en être montré digne.
(Dans le portfolio ci-dessous, quelques photogrammes issus de Au plus près du soleil)
Équipe
Chef électricien : Rachid MadaouiChef machiniste : Hervé Rousset
Assistants caméra : Kevin Laot, Chloé Blondeau, Louise Blum, Julie Angelo
Directeur de production : Frédéric Blum
Technique
Matériel caméra : RVZ CaméraMatériel lumière : Transpalux
Laboratoire : Technicolor
Etalonneuse : Natacha Louis