Bruno Nuytten à la Cinémathèque française, "au plus-que-parfait de l’objectif"
Par Jean-Noël Ferragut, AFCS’il peut paraître exagéré, ce petit clin d’œil à Robert Doisneau est l’occasion de rappeler que nous étions une douzaine de membres l’AFC – peut-être n’ai-je pas eu l’occasion de croiser tous les regards présents –, mercredi 20 mars à 20 heures, à venir au milieu d’une salle quasi comble entourer Bruno Nuytten lors de l’ouverture de la rétrospective qui lui est consacrée à la Cinémathèque française.
Après le verre de bulles offert par la maison permettant les retrouvailles de vieilles connaissances, parfois plus que cinquantenaires pour les "happy few" qui comme moi ont fait leurs classes sur les mêmes bancs que lui, la soirée s’est déroulée à peu de choses près comme prévu, chacun étant dans le meilleur de son rôle.
Frédéric Bonnaud, en bon maître de maison, a fait les présentations d’usage, citant, au nombre des partenaires, l’AFC, Transpalux et L’Image retrouvée ; précisant que cette rétrospective n’aurait pas pu avoir lieu sans le don de persuasion de Caroline, qui a réussi à convaincre Bruno ; faisant part enfin du grand regret de cette dernière de ne pouvoir être parmi nous ce soir.
Bernard Payen, en fin connaisseur – et également auteur du texte de présentation du programme Printemps19’ – a fait le panégyrique de son travail et de sa carrière, mais sans les envolées lyrico-verbales, oserais-je dire, dont était coutumier le prédécesseur de Frédéric !
Par bonheur, Bruno était bien là, en chair et en os, applaudi et même ovationné – fait rare – à son arrivée au premier rang ! Me rappelant Camerimage, là où les DoP sont applaudis dès la simple apparition de leur nom au générique, qu’ils soient connus ou non…
Egal et fidèle à lui-même, pour qui connaît un tant soit peu Bruno ! Humble, sincère et drôle, quand l’occasion se présente, au moment d’évoquer son travail, pour commencer, sans égocentrisme aucun ni jamais se mettre en avant. Son cheminement et la chance qu’il a eue de faire les bonnes rencontres aux bons moments – le rêve de tout un chacun. Celles et ceux qui l’ont formé et influencé, comme par exemple Ghislain Cloquet, son professeur à l’Insas et maître à penser en matière de lumière (le noir et blanc de Feu follet restera une leçon magistrale de légèreté lumineuse pour nous tous) – Ghislain qui avait décidé que Bruno serait son "successeur"… Ses erreurs commises ici ou là lui ayant permis de progresser. Celles et ceux qui l’ont accompagné et ont partagé son travail, tenant à citer nommément tous les assistants ayant fait un bout de chemin avec lui (dont pas mal d’amis et connaissances de l’AFC).
De parler, enfin, des films qu’il avait choisi de projeter lors de la soirée. Films dont l’état des copies, pour certains d’entre eux, laissait passablement à désirer, ce qui lui a permis de faire ce triste constat : le cinéma d’auteur des années 1970 est en grande perdition (Frédéric Bonnaud avait déploré avant lui que plus aucune bonne copie de Barocco n’était disponible aujourd’hui).
De rappeler aussi cette vérité première : c’est à nous, chefs opérateurs – certains le font déjà quand on leur en laisse la possibilité – de prendre les choses en main ! Et de beaucoup regretter que lesdits chefs op’ ne soient pas toujours informés des restaurations et numérisations de certains des films qu’ils ont photographiés.
Nous allions voir ensuite quatre films : Nathalie Granger, de Marguerite Duras, un N&B photographié par Ghislain en personne, que Bruno assistait, avec Jeanne Moreau et Lucia Bosè, et une des toutes premières apparitions de Gérard Depardieu, mais qui, à mon humble avis, a quelque peu "plombé" la fin de cette soirée. Lors d’une sorte d’entracte qui suivit la projection, avec l’humour dû au recul nécessaire qu’il a toujours su prendre, Bruno reconnaissait qu’« il y avait quelques longueurs... » Avant de présenter trois ovnis préhistoriques exhumés de sa filmographie naissante, aventures improbables sous forme de courts métrages de Pascal Kané, Luc Béraud et Gérard Zingg. Trois des premiers amis qui lui ont permis par la suite de faire les rencontres ayant contribué à la carrière qu’on lui connaît.
Et, comme après que ne soit apparu sur le générique du film de Luc le mot Fin, est venu le moment de se lever, de faire ses adieux et de se quitter, sous les tout derniers applaudissements…
En vignette de cet article, Bruno Nuytten, Frédéric Bonnaud et Bernard Payen lors de la soirée d’ouverture - Photo Nathalie Durand.