Christopher Challis (1919 – 2012)
Par Marc Salomon, consultant AFCMoins connu que Jack Cardiff, il fut pourtant un des grands spécialistes britanniques de la couleur à travers ses multiples collaborations avec Michael Powell et Stanley Donen mais aussi, plus ponctuellement, avec Albert Lewin (Saadia), Henry Cornelius (Geneviève), Richard Brooks (The Flame and the Flesh), Philip Leacock (Le Jardinier espagnol), Ken Hughes (Chitty Chitty Bang Bang), Anthony Mann (Maldone pour un espion), Billy Wilder (La Vie privée de Sherlock Holmes), Charles Jarrott (Marie Stuart, reine d’Ecosse)... Mais n’oublions pas non plus son N&B toujours impeccable et parfois audacieux sur des films aussi différents que The Small Back Room de Powell, L’Enquête de l’inspecteur Morgan de Losey, Les Vainqueurs de Carl Forman ou encore Le Démon est mauvais joueur de Jack Lee-Thompson.
Né le 18 mars 1919 à Kensington (Grande-Bretagne), il débuta en 1936 en tant qu’assistant opérateur aux actualités de la Gaumont-British News (comme son confrère Gilbert Taylor). L’année suivante, quand la firme Technicolor vient à Londres pour tourner le premier film anglais avec leur procédé (La Baie du destin), sous l’égide du chef opérateur Ray Rennahan, il propose sa candidature et se retrouve assistant, passant cinq mois en chambre noire à charger et décharger les lourds magasins (trois bobines de 300 mètres à chaque fois) sans guère mettre les pieds sur le plateau !
Quand Technicolor installe ensuite un laboratoire à Londres, il y passe neuf mois à se former à tout le processus de A jusqu’à Z, ce qui fait de lui le premier et seul technicien anglais entièrement formé par Technicolor.
À l’occasion du couronnement du roi George VI en mai 1937, un documentaire sur l’Angleterre est tourné en Technicolor et Challis se retrouve assistant du chef opérateur “ maison ”, William Skall : « Un petit bonhomme irascible sujet à des maux d’estomac, réels ou imaginaires » auquel il devra fournir sans faillir, deux mois durant, du bicarbonate et de l’eau de Vichy !
Il collabore en 1938 au tournage en seconde équipe d’Alerte aux Indes au côté d’Osmond Borradaile (film principalement photographié par Georges Périnal). Il enchaîne avec Jack Cardiff sur la série des “ World Windows ”, sorte de documentaires touristiques en couleurs, voyageant en Italie, en Palestine, au Liban, en Jordanie et de nouveau en Inde. De retour à Londres, Challis retrouve Périnal et participe aux prises de vues en seconde équipe du Voleur de Bagdad.
Mobilisé à la déclaration de guerre, il sera cameraman au sein de la RAF. D’abord basé sur l’île de Terceira aux Açores, il filmera les conséquences des bombardements sur l’Allemagne avec sa caméra Newman Sinclair tout en aluminium rutilant.
Démobilisé, il retrouve Cardiff et assure de nouveau les prises de vues en seconde équipe sur Une question de vie ou de mort en 1946 et termine même le film comme cadreur après le départ de Geoffrey Unsworth, poste qu’il occupera encore sur Le Narcisse noir l’année suivante.
Il fera pourtant ses premiers pas de chef opérateur en N&B avec The End of the River réalisé par Derek Twist (mais produit par Powell et Pressburger) et entièrement tourné au Brésil avant de rejoindre, encore comme cadreur et à sa demande, le tandem Powell-Cardiff sur Les Chaussons rouges : « Pour rien au monde je n’aurais raté cela », déclarera-t-il plus tard.
C’est avec le N&B aux réminiscences expressionnistes de The Small Back Room que Challis entame en 1948 sa carrière de directeur de la photo à part entière au côté de Powell avant d’enchaîner avec deux autres chefs-d’œuvre en couleurs du réalisateur que sont La Renarde (une production estampillée Selznick, avec Jennifer Jones) et Les Contes d’Hoffmann. Si le premier révèle déjà les talents d’imagier de la campagne anglaise de Challis, le second renoue dans un style fantasmagorique avec le succès du ballet des Chaussons rouges et fut entièrement tourné en studio à Shepperton, mobilisant tout l’éclairage alors disponible.
Bien que fidèle à Powell, il refusera plus tard Le Voyeur car il n’aimait pas le sujet (c’est Otto Heller qui en signa la photographie). La suite de sa collaboration avec Powell correspond malheureusement au déclin de l’inspiration du réalisateur : Oh Rosalinda ! (d’après La Chauve-Souris de Johann Strauss, avec ses décors stylisés et des déformations optiques sur l’écran large du Scope) jusqu’au très étrange Boy Who Turned Yellow en 1972.
Durant la première partie de sa carrière, Challis signa aussi, dans une palette très chromo “ fifties ”, le Technicolor de Geneviève d’Henry Cornelius, une comédie anglaise où deux couples s’affrontent et se chamaillent sur fond de rallye de voitures anciennes entre Londres et Brighton. Tournant avec un budget restreint durant l’automne 1952 sur les routes aux alentours du studio, Challis se joue, à l’extrême limite de ce que le procédé autorise, d’une météo aussi peu coopérative que la Darracq 10/12 HP rouge et noire et que la Spyker 14/18 HP jaune !
Il renouera d’ailleurs avec ce genre de comédie sentimentale façon “ road movie ” une quinzaine d’années plus tard grâce à Stanley Donen et Voyage à deux, un des six films qu’ils tournèrent ensemble (Ailleurs l’herbe est plus verte ; Arabesque...).
Si Challis semble s’orienter bon gré mal gré vers les super-productions internationales, films d’aventures historiques, films de guerre ou comédies typiques de la période (souvent en Scope, VistaVision, Technirama, Todd AO ou Super-Panavision !), insistons sur le plaisir visuel que peuvent procurer aujourd’hui encore des films comme Le Jardinier espagnol de Philip Leacock (avec de beaux extérieurs à S’Agaro sur la Costa Brava) ou Chitty Chitty Bang Bang de Ken Hughes, joyau de ces films d’aventures pour enfants, aux confins de l’imaginaire, que les adultes peuvent apprécier avec un brin de nostalgie.
Entre la douce luminosité et la fraîcheur des couleurs des extérieurs et la profonde pénombre des intérieurs sous la faible clarté des fenêtres, Marie Stuart, reine d’Ecosse (C. Jarrott, 1971) reste sans doute un des meilleurs exemples du style et de la maîtrise de Challis. La profondeur détaillée des ombres, l’attention portée aux volumes, aux textures, au grain de la peau (magnifiques gros plans sans artifices de Vanessa Redgrave et de Glenda Jackson) et la plénitude des couleurs constituent déjà un plaidoyer pour l’argentique…
Pour autant, celui qui a si bien mis en images quelques " road movies " farfelus et bigarrés était avant tout un passionné de mer et de bateaux. Yachtman accompli, il photographia encore plus de films sur l’univers maritime (de La Bataille du Rio de la Plata de Michael Powell à The Riddle of the Sands de Tony Maylam en passant par Coulez le Bismark de Lewis Gilbert et Les Grands fonds de Peter Yates). Il apparaît d’ailleurs souvent sur les photos de tournage sous l’apparence d’un vieux loup de mer avec casquette et pipe au bec !
Freddie Francis (qui fut cadreur sur La Renarde et Les Contes d’Hoffman) l’a décrit comme un aventurier, excellent cameraman prêt à toutes les audaces, motivé par Powell il aurait perdu l’inspiration par la suite car : « Après avoir travaillé avec Powell beaucoup de réalisateurs paraissent ennuyeux. » (dans The Films of Freddie Francis de Wheeler Winston Dixon)
Moins lyrique que Cardiff, voire moins “artiste” que d’autres opérateurs de sa génération (Geoffrey Unsworth, Ossie Morris, Douglas Slocombe, Freddie Francis...), Challis incarnait plutôt une forme de rigueur et d’élégance dans un classicisme très anglais, sans fioritures ni effets de modes avec, pour fil conducteur, un vrai talent à capter les paysages sous les moindres variations de ciels capricieux, tout en sachant maintenir le cap, en bon marin qu’il était. Il déclare d’ailleurs dans son autobiographie (à propos du tournage de Genevieve) : « J’avais remarqué depuis longtemps que la photographie en couleur, contrairement au noir et blanc, ressort bien mieux sous une lumière plate et que les contrastes trop forts en plein soleil sont souvent un inconvénient. »
On lira avec intérêt son autobiographie parue en 1995 (Are They Really so Awful ?), riche de souvenirs et d’anecdotes, dans laquelle il revient sur son parcours, égratignant au passage certains de ses assistants français sur le tournage de L’Escalier (S. Donen, 1969), assistants tout frais sortis d’une « grande école nationale de cinéma. » (propos acerbes à découvrir page 187...).
- Voir une vidéo de 20 minutes, hommage et propos de Christopher Challis lors d’une cérémonie spéciale des BAFTA, le 21 novembre 2011.
- Lire All Time Greats – Christopher Challis, un article publié dans le British Cinematographer, # 44, mars 2011.