Cinéma : LTC ferme, que vont devenir toutes ces bobines ?
Par Aurélie ChampagneOrfeu Negro, Le Pianiste, ou les plus récents Intouchables, Polisse, Carnage ou Hugo Cabret : c’est eux. LTC est un acteur historique du cinéma. Depuis sa création en 1935, ce laboratoire de postproduction a géré des milliers de films, de la prise en charge des rushes à la livraison des copies exploitées aux cinémas.
Le 3 novembre, LTC a été placé en redressement judiciaire. Le tribunal de commerce de Nanterre a annoncé ce jeudi la liquidation de cette filiale de Quinta Distribution, dont l’actionnaire majoritaire à 83 % est le controversé Tarak Ben Ammar.
Lors de sa reprise de l’entreprise en 2002, l’homme d’affaires franco-tunisien se présentait pourtant comme le sauveur des industries techniques...
La sortie d’Hugo Cabret perturbée
Depuis plusieurs mois, les 115 salariés de LTC étaient en sursis. Un blog, une grève et quelques opérations isolées tentaient de repousser « la fin de [leur] famille », et « les sanglots ».
Récemment, les grévistes ont cessé de livrer des copies du film de Scorcese, Hugo Cabret, une des plus importantes sorties de l’année de son distributeur Metropolitan Filmexport.
Aujourd’hui, le petit monde du cinéma défile dans les labo de LTC : « On fête la liquidation judiciaire », ironise François Aubé, chargé de projet depuis douze ans chez LTC. « On parle, on boit un verre. Tout le monde est venu : les gens de chez Fidélité, Raymond Depardon... Passez si vous voulez... »
5 500 salles passent au numérique
« Les métiers du laboratoire photochimique sont en train de disparaître. Ça, tout le monde en est conscient », soupire-t-il. L’activité s’effondre avec le passage au numérique des 5 500 salles de cinéma françaises.
En 2010, le Centre national du cinéma a accéléré le processus de numérisation. Aujourd’hui, 75 % des salles sont équipées. Et après LTC, ce sont les jours de Scanlab qui sont menacés. Les deux labos sont des filiales de Quinta Industries. Cette holding, détenue à 83 % par M. Ben Ammar, est aussi en redressement judiciaire.
Récemment, il a aussi déposé les comptes du groupe de l’industrie du cinéma Duran, qu’il avait repris en 2003. Les filiales du groupe, dont les effets spéciaux Duboi et DuboiColor sont en redressement judiciaire depuis le 1er décembre.
Fini l’argentique... et les branches techniques
LTC et Eclair étaient jusqu’à présent les deux principaux laboratoires de postproduction photochimique.
« Les deux seules capables de tirer des copies d’exploitation en grand nombre. Jusqu’à il y a deux ans, ils pouvaient tirer jusqu’à 800 copies pour certains blockbusters », précise le chef opérateur Eric Guichard, AFC.
Après s’être vu refuser par le Conseil de la concurrence la fusion de LTC et d’Eclair, dont il actionnaire à 43 %, Tarak Ben Ammar abdique : « Aujourd’hui, la survie des laboratoires est impossible, puisqu’il n’y a plus de chiffre d’affaires, en dehors de la numérisation du patrimoine. »
Que va devenir le patrimoine ?
Pour LTC, reste à savoir ce que deviendront les films en cours de fabrication et surtout la gigantesque masse de pellicules stockées dans des entrepôts du laboratoire.
A l’AFC, qui regroupe des directeurs de la photographie, Eric Guichard, s’inquiète :
« LTC existe depuis près d’un siècle. Vous vous rendez compte du nombre de films ? Les bunkers où ils sont stockés, ce ne sont pas de simples hangars où l’on stocke des cartons. Ce sont des conditions de conservation très complexes. Il va falloir gérer le patrimoine. Et si Eclair est en difficulté dans un an, ce sera à nouveau des millions de métrage qu’il faudra gérer... »
En attendant de pouvoir gérer la question décisive du patrimoine, le communiqué lapidaire du CNC (Le CNC se mobilise face aux difficultés du groupe Quinta Industries) n’a pas ému les salariés de LTC. Certains attendaient une réaction du ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand :
« C’est quand même de chez nous qu’est sorti son film Madame Butterfly ! »
(Aurélie Champagne, Rue 89, 15 décembre 2011)