Entretien avec Pierre Aïm, AFC, à propos de "Cette musique ne joue pour personne", de Samuel Benchetrit
Pierre Aïm éclaire depuis une trentaine d’années de nombreux films, ceux de Mathieu Kassovitz, d’Antoine de Caunes ou encore de Maïwen. Cette musique ne joue pour personne est présenté au 74e Festival de Cannes dans la section Cannes Première. (BB)
Au cœur d’une ville portuaire, des êtres isolés, habitués à la violence, voient soudain leur vie bouleversée par le théâtre, la poésie et l’art. Et leur quotidien transformé par l’amour…
Avec François Damiens, Ramzy Bedia, Vanessa Paradis, Gustave Kervern
Une collaboration sur tous les films d’un réalisateur est assez rare, peux-tu nous en parler ?
Pierre Aïm : C’est rare et précieux car nous évoluons ensemble depuis vingt ans et j’ai la grande chance que Samuel s’intéresse énormément à l’image. Nous avons démarré par Janis et John, il y a une vingtaine d’années, qu’on a tourné en pellicule, avec une image assez classique et une lumière très fictionnelle.
Puis, pour J’ai toujours rêvé d’être un gangster, l’image est très stylisée, en noir et blanc, avec un format carré, en pellicule également.
Un voyage est très différent, tourné entièrement à l’épaule, pratiquement tout en plan séquence, en équipe ultra réduite.
Et depuis Asphalte, le style a encore évolué vers beaucoup plus de réalisme, et le désir d’apporter un peu de charme dans des décors pas forcément beaux.
Quel a été le fil conducteur pour ton travail sur cette comédie ?
PA : Faire exister de la poésie dans des décors basiques, dans un univers très concret et très réaliste. C’est une comédie très originale, pas du tout burlesque mais très subtile. Le milieu dans lequel l’histoire se passe, celui des dockers, est complètement traversé par la poésie et l’art. J’ai voulu embellir les personnages tout en gardant l’honnêteté des décors.
Par exemple, nous avons tourné plusieurs séquences dans un supermarché. La lumière existante est très réaliste et je ne pouvais pas intervenir sur l’ensemble du décor. Je devais apporter "ma poésie" en éclairant les visages de façon élégante.
Comment s’est passée la préparation avec Samuel Benchetrit ?
PA : Samuel est le réalisateur avec lequel j’ai fait le plus de films. Nous n’avons pas besoin de parler de lumière ensemble. Pour son dernier film, Asphalte, il m’a montré une seule photo avec une lumière très réaliste. En une photo, j’ai compris ce qu’il voulait. Pour Cette musique ne joue pour personne, il m’a juste dit que c’était la continuité. Samuel est un photographe dans l’âme, on parle le même langage, cela permet de gagner beaucoup de temps sur le plateau.
Quelles optiques as-tu choisies pour ces plans larges de mer et de plage ?
PA : Nous avons entièrement tourné à Dunkerque et je savais que je voulais tourner de beaux plans larges. Ce n’est pas un choix d’optique qui m’a guidé mais le choix de la caméra. J’adore l’Alexa mais j’étais un peu frustré pour les plans larges qui manquaient toujours un peu de définition. J’ai donc choisi la nouvelle Alexa LF (avec le capteur 24x36). Avec ce grand capteur, les plans larges sont très beaux. On obtient aussi plus de force pour les gros plans car on est obligé de prendre des focales plus longues donc les fonds sont très vite flous. Avec la LF, j’ai le même ressenti que lorsque nous sommes passés du Super 16 au 35 mm. On était très content de la profondeur de champ qui était plus réduite.
Mais… et les optiques ?
PA : Ah oui ! [Rires]. J’ai choisi les Zeiss Supreme pour leur grande ouverture et parce qu’ils sont magnifiques. De toute façon, aujourd’hui, tourner un film c’est trouver l’équilibre entre la caméra, les optiques et le travail d’étalonnage. Pour Le Caire confidentiel, de Tarik Saleh, on me demandait quelle pellicule j’avais utilisée. C’était de vieux objectifs qui donnaient cette impression car j’ai tourné en numérique. Souvent, je modifie un peu la définition à l’étalonnage.
Le travail de cadre est différent si on le compare avec celui d’Asphalte, le précèdent film de Samuel Benchetrit.
PA : Effectivement il y a plus de mouvement, de fluidité, avec des travellings très doux. J’ai le sentiment d’avoir fait exister la poésie de ce film autant dans le cadre que dans la lumière.
Et d’avoir trouvé cet équilibre entre caméra, optiques et… étalonnage ?
PA : Je ne voulais pas que les couleurs soient trop saturées, que l’image soit agressive tout en gardant le côté froid de ville de bord de mer. C’est un film très reposant, il fallait que l’image le soit aussi !
Propos recueillis par Brigitte Barbier, pour l’AFC
En vignette de cet entretien : François Damiens, Bouli Lanners, JoeyStarr, Ramzy Bedia, Gustave Kervern – Photo David Koskas | Single Man Productions