Entretien avec TSF, maison de location caméra, lumière, machinerie
par Dominique Gentil, Eric Guichard, Marc KoninckxDominique Gentil : Le groupe TSF vient de s’installer dans de nouveaux locaux au cœur de La Plaine Saint-Denis qui ont été conçus et réalisés par vous, qui en êtes les utilisateurs. Cela a dû être intéressant de réfléchir à l’organisation dans l’espace de la spécificité d’une entreprise de cinéma.
Danys Bruyère : Il y a eu en effet une vraie réflexion au sujet de l’avenir du nouvel immeuble, sachant que ce serait une construction moderne sans certains des charmes de nos anciens locaux, entre autres la grande nef, qui avaient l’inconvénient d’être chauffés l’été et climatisés l’hiver. Donc, il y a eu deux pôles de réflexion, d’une part : « Comment accueille-t-on les clients ? Où retrouver un espace de vie convivial dans un immeuble qui peut sembler d’un premier abord assez froid, assez indifférent ? »
Ensuite, évidemment : « De quoi avait-on besoin par rapport aux différentes divisions d’activité ? Pour l’éclairage : quels étaient les besoins spécifiques ? Les véhicules ? La caméra ? La machinerie ? » Et puis, les éventuelles excroissances que TSF pouvait créer, en se disant qu’on ne savait probablement pas concevoir un immeuble qui nous suffirait pour plus de dix ans parce que, au-delà de ça, nous n’avons aucune idée de ce qu’on va devenir, de ce qu’on va faire et de la taille qu’on aura.
Je dirais que du côté organisation, cela a donné la plateforme qu’on retrouve au rez-de-chaussée, où nous avons tenu à regrouper la majorité des plannings. Il nous fallait aussi occuper les étages, nous n’avons pas pu regrouper le planning caméra avec les plannings machinerie, véhicules et éclairage.
Les plannings sont vraiment le cœur de TSF ! C’est la vraie dynamique qu’il peut y avoir entre tous les métiers. Pour cette surface, nous avons tout essayé, nous nous sommes penchés de tous les côtés : « Est-ce qu’on la monte à l’étage ? Est-ce qu’on la garde en bas ? Comment peut-on faire pour réunir les plannings principaux dans une même pièce ? »
Pour le confort des assistants, nous avons décidé que la caméra et ses dérivés (Steadicam, TSF Data) s’installerait au premier étage. La nature du métier de la caméra fait que les gens du planning sont obligés d’être à proximité des assistants qui passent, contrairement aux autres divisions, une semaine ou deux en préparation d’un film et qui sont en relation constante avec eux.
Et ils ont impérativement besoin d’avoir une proximité avec les zones techniques et les ateliers, comme les autres divisions d’ailleurs. Le contact d’une division avec les autres fait que les gens connaissent un petit peu mieux le métier des autres et tout le monde s’en porte bien.
Le deuxième aspect, c’était de se dire : « Comment remplace-t-on cet espace de rencontre qu’était la nef ? » C’est cela qui a donné naissance, un peu par défaut, à une nouvelle division d’activités, Le Cercle Rouge. Nous nous sommes dit qu’il fallait se trouver un truc : « Tiens, on va faire une petite salle de projection, qui serait plutôt analogue à un home cinéma un peu cossu ».
A force de recherche de l’esprit qu’on voulait mettre dans la maison, elle est devenue une vraie salle de projection de 126 places, que vous avez tous maintenant eu l’occasion de voir, avec l’espace qui entoure Le Cercle Rouge et la terrasse extérieure. C’est assez atypique pour une entreprise d’avoir une terrasse à l’extérieur, surtout dans les beaux climats de Saint-Denis, mais pour nous, cette partie-là, avec le bar, c’est le lieu de rencontre qui va dans le sens de l’esprit de la nef et qui donne le ton convivial de nos locaux d’aujourd’hui.
La forme de l’immeuble est conçue de manière à ce que la technique lourde ait un accès au sol, l’éclairage et la machinerie en avaient besoin. Il faut dire que cela faisait dix ans que le département caméra était à l’étage. Donc, finalement, ça ne semble pas trop gêner le travail.
Ici, nous avons à peu près onze mille mètres carrés de terrain. On ne peut pas occuper la superficie complète avec un immeuble, on doit laisser des espaces verts et il faut également prévoir des espaces de parking. Donc, nous avons respecté l’emprise maximale au sol qui était autorisée par le plan d’urbanisme.
Frédéric André : Dans la philosophie et dans l’animation du bâtiment, il y a un point qui est important de souligner : l’intégralité du deuxième étage, au-delà du Cercle Rouge, avec l’espace de réception, la salle de projection qui, en journée, est plutôt un atelier de travail, et qui le soir est plus orientée vers des actions de communication, de rencontres.
Mais tout le reste du deuxième étage est dévolu à l’accueil des clients par les bureaux de préparation. C’est quelque chose que nous avions développé sur l’ancien site qui, non seulement répondait à un besoin client, mais en plus, participait à créer énormément d’animation dans le bâtiment. Nous avons souhaité reconduire ce principe ici et nous avons une capacité d’accueil de cinq à six films en préparation simultanément : aujourd’hui, justement, c’est complet.
C’est la totalité du deuxième étage qui est donc vraiment ouverte aux clients et, en plus, ça permet, je dirais, d’aller jusqu’au bout de l’encrage du bâtiment dans le métier, puisqu’en bas, on a plutôt les techniciens, la machinerie, l’éclairage qui travaillent, au premier étage, c’est plutôt les équipes caméra, image, avec les assistants et au second étage, ce sont plus les équipes de production, d’administration, costume, mise-en-scène. Ce qui fait que de façon un peu verticale, on retrouve une représentation de tous les corps de métier dans le bâtiment et ça participe vraiment à accentuer le côté " village ".
Pour l’anecdote, le premier long métrage qui s’est installé chez nous en préparation rue Proudhon, c’était Ronin de John Frankenheimer, quand ils étaient venus tourner à Paris. C’est avec ce projet que nous avons inauguré l’activité des bureaux de préparation. Voilà, pour la petite histoire.
Eric Guichard : On n’est pas là pour jeter des fleurs... Donc, on va parler de choses qui sont, comment dirais-je, pas faciles à dire... Je voudrais revenir sur la notion de groupe. Vous avez été les premiers à lancer cette notion de groupe : c’est-à-dire fournir une prestation de service globale.
C’est vrai qu’à l’époque où Thierry de Ségonzac a fait cette proposition, c’était tout à fait nouveau, ce n’était pas dans les mœurs. Cette notion de groupe allait bouleverser la notion plus personnalisée de la relation professionnelle des entités, que ce soit des loueurs de caméras, des laboratoires, avec les opérateurs. Je crois qu’il y a eu une période assez noire pour nous, opérateurs, où l’on s’est senti très fortement exclu du détail, du dialogue qu’il y avait traditionnellement.
Frédéric André : Pour répondre en deux temps, je dirais, d’un côté, la stratégie de développement et d’action commerciale et, dans un second temps, la dimension proximité/métier et l’attachement à la primauté aux prescripteurs techniques dans le choix de tel ou tel prestataire. Sur le premier point, c’est vrai que le concept " groupe " et la notion d’offre globale, ça a caractérisé l’émergence de TSF dans le milieu des années 1990, avec le rachat d’Iris Caméra par TSF, c’est en 1994.
La création du département éclairage, c’est vers 1992, je n’ai pas les dates exactes, mais à quelques mois près, c’est ça. À ce moment-là s’est matérialisé un panel de prestations qui devenait cohérent et commercialisable à travers une action " groupe " qui a été qualifiée d’offre globale et qui était une réponse particulièrement adaptée, notamment, au développement de la fiction télé, qui a connu dans le milieu des années 1990 un boom exponentiel, tant en volume qu’en qualité de production.
Et le concept qu’avait porté TSF était particulièrement bien adapté aux contraintes et aux exigences de la fiction télé dans son format et aussi comme réponse économique parce que, contrairement au long métrage, qui est une industrie de prototype où chaque projet est dans sa singularité.
Certes, on retrouve une typologie semblable de budget, mais dans son profil, chaque film long métrage est beaucoup plus singulier. La fiction télé, nous en avons parfois des unitaires, mais c’était le développement des séries de 90 minutes et la possibilité de pouvoir reproduire sur X jours de fabrication, avec les mêmes dispositifs, une ou deux caméras.
C’est vrai que le modèle économique proposé était particulièrement bien adapté à la fiction télé et d’ailleurs tellement bien adapté qu’il a été copié par nos compétiteurs et nos concurrents, fort logiquement. Aussi, les batailles " commerciales " qui ont eu lieu sur la dernière décennie se sont faites chez les principaux groupes de production audiovisuelle, des approches où il y avait soit TSF, soit en face de TSF une concurrence qui s’était regroupée, une alliance commerciale pour répondre à l’offre globale. Il faut dire que le développement de la fiction télé a favorisé la promotion de ce type de dispositif.
Danys Bruyère : C’était une phase, dans les années 1990, où la production de fictions TV passait vraiment par un mode industriel de création.
Frédéric André : Il y avait une accélération du processus.
Danys Bruyère : Ce n’est pas nous qui l’avons créé, c’était vraiment une demande forte. Les 150 unitaires que nous faisons à l’année doivent coûter tous le même prix pour nos clients. Le client ne souhaitent plus négocier chaque film. De plus, il y a vraiment eu un regroupement des producteurs et eux demandent une réponse industrielle à des sociétés qui sont capables de leur fournir tout. Aujourd’hui, ça va encore plus loin, certains demandent de fournir les techniciens, en plus.
Eric Guichard : C’est interdit par la loi !
Danys Bruyère : Oui, mais certains prestataires disent : « On va vous faire un " blo ", on vous fournit la prestation technique, l’équipement de tournage qu’ils sous-traitent », et ce pour des raisons que je ne connais pas. Ils vont fournir ensuite les studios, la postproduction, les équipes techniques, etc… C’est vraiment cela la volonté de l’industrie de la télé, d’avoir une seule réponse, un seul interlocuteur. Si nous pouvions tout leur faire d’un coup et même écrire les scénarios, certains en seraient probablement ravis !
Dominique Gentil : Mais à l’époque, ce système ne correspondait pas du tout à la pratique des productions de cinéma.
Frédéric André : Je dirais que nous étions confrontés à un marché où, en face de ce concept qui est ancré d’abord sur des fictions télé, en face de nous, il y avait surtout un tissu de prestataires qui était historiquement " monométier ", des sociétés bien plus anciennes, créées pour la plupart depuis les années 1950 ou 60, d’ailleurs souvent elles-mêmes créées en réaction à des positions très fortes, comme par exemple la création d’Alga. Des opérateurs ont eu une volonté de créer un contrepoids face à
Chevereau (1) parce que le marché, par essence, par nature, détectent les positions soit monopolistiques, soit ultra-dominantes.
Donc, pour reprendre le fil de notre échange, une offre globale particulièrement bien adaptée à une demande du marché, nous avons voulu nous engouffrer dans la brèche et nous nous sommes dynamisés, donc un vrai support de croissance. Parallèlement, une volonté de se développer sur le marché du long métrage, un marché qui était très marqué par des habitudes de travail fortes, tout à fait légitimes, parce que c’est un métier de compagnonnage, de complicité et donc, nous avons pris le pari mettre l’accent sur la proximité aux plus jeunes producteurs émergeants, aux jeunes sociétés de production.
Ce n’est pas par hasard si TSF, dès le départ, a été très proche de Fidélité, de François Ozon, très proche de Mandarin, de Gloria Film, d’Agat Film. Un certain nombre de producteurs qui ont émergé à cette époque-là sont, aujourd’hui, en pleine montée en puissance de génération, " des producteurs installés ". Ce sont des producteurs qui ont commencé avec des petits budgets et à une époque où, en même temps, la fiction télé connaissait un essor très fort.
Au milieu des années 1990, les conditions de production indépendante étaient dans une période de forte dégradation. Certains ont su trouver, dans des propositions qu’on pouvait apporter au niveau global, une solution qui permettait de faire exister des petits films. Les opérateurs, les chefs machinistes, les chefs électriciens, un certains nombres de prescripteurs techniques, ont peut-être eu le sentiment, à ce moment-là, de se dire : « Tiens, par rapport à une façon de travailler historique, d’un seul coup, on sent qu’il y a un pouvoir de décision qui glisse beaucoup plus vers la sphère économique, vers le directeur de production et le producteur ».
D’autant plus que nous étions dans une proximité avec toute une génération de jeunes producteurs qui avaient fait beaucoup de direction de production sur leurs courts métrages et qui étaient extrêmement au fait, curieux et sensibilisés à la fabrication des films. C’est vrai qu’à partir de là, dans tout le cheminement que nous avons fait sur les dix dernières années, nous avons eu, chez TSF, le souci de réintroduire la spécificité " métier " au sein de l’offre globale, dans le développement du long métrage, ce qui explique l’arrivée de Danys sur le développement de tout ce qui est technologie de prise de vues, avec la réorganisation de TSF Caméra.
Il y a également eu l’arrivée de Laurent (Kleindienst) au niveau des métiers de la machinerie, même si aujourd’hui le rayonnement de Laurent est bien plus large. La prise de fonction par Marie-Josée Collet au département lumière, qui supervise aussi bien le département lumière de TSF que celui de Ciné Lumières de Paris (qui a maintenant rejoint le Groupe) va dans le même sens.
Pour l’activité studio, c’est Philippe Journet, un homme de culture " studio " qui relève ce défi. Donc, la volonté de mettre l’accent sur la spécificité de l’aspect des divers métiers et celle de dire que ce n’est pas parce qu’on est généraliste dans la palette de services que l’on peut proposer qu’on ne serait pas des spécialistes dans chacun des métiers exercés et que le chef opérateur se dise : « Quand je suis chez TSF Caméra, je suis vraiment chez un spécialiste caméra. Quand je suis chez TSF Grip, je suis vraiment chez un spécialiste machinerie ».
Et ça ne se déclare pas au niveau d’un organigramme, ça se met en place uniquement par les hommes et les femmes qui animent les métiers. Il a fallu commencer par créer un petit séisme, bousculer des habitudes, se montrer un peu innovant. Et, inévitablement, quand on bouscule des habitudes, ça dérange. Après, on s’aperçoit que, dans le fait de se faire un peu bousculer, il y a aussi du bon.
Eric Guichard : Je n’ai pas ressenti ce côté " bon ", à cette période-là...
Danys Bruyère : TSF s’est développé rapidement, nous avons appris à faire en peu de temps ce que d’autres ont appris à faire sur des périodes beaucoup plus longues. Je pense que le travail des derniers sept ou huit ans est vraiment un travail où nous pouvons nous dire : « Nous avons des parts de marché, TSF existe et il est incontournable ». Maintenant, comment peut-on faire ? Si je prends le cas de chacune des divisions, est-ce qu’on peut devenir plus gros en éclairage que Transpalux ? Peu probable. À ce moment-là, que peut-on faire de différent ?
On peut commencer par se diversifier dans les corps de métier pour continuer à augmenter notre rayonnement, le service et les relations qu’on a avec les gens avec qui on travaille. Est-ce qu’on peut devenir plus gros que Panavision, en caméra ? Ça semble improbable. Avant qu’on ne passe à plus 2 000 caméras dans notre parc : il y a de la marge ! Donc, qu’est-ce qu’on peut faire ? On peux être meilleur, à notre échelle et donc, c’est un travail qui dure, qui continue.
Chez Panavision, il y a des gens très compétents, il faut donc que nous arrivions à nous différencier par la qualité de nos services, par la diversité de notre approche. Nous sommes arrivés à une taille, dans l’ensemble des divisions, dans laquelle nous sommes assez stables pour aujourd’hui nous retourner et, même si chaque jour a ses bons et ses mauvais côtés, de nous dire que nous avons clairement notre place sur le marché et que nos choix semblent être corroborés par le fait que nos clients sont, pour la plupart, ravis.
Aujourd’hui, c’est plutôt : « Comment fidélise-t-on ? Comment attirer chez nous les gens qui ont l’habitude de travailler ailleurs ? Comment peut-on se développer dans le futur, par rapport non seulement à nos concurrents locaux, mais aussi face à une concurrence qui commence à s’avérer de plus en plus internationale, avec l’arrivée des Anglais sur le marché français, avec les Allemands qui ne sont jamais très loin, via Cologne, et les Belges qui servent des projets en France, sans trop de fanfare, mais qui en font quand même.
Marc Koninckx : Pour en revenir à ce que tu disais, Eric, je crois qu’aucune transition ne se fait sans grincements. On prêtait pas mal de choses à TSF, à l’époque, mais je crois que TSF n’a fait que s’adapter à pas mal de changements, contraints et forcés, avec une volonté de progresser dans le monde du cinéma. Beaucoup de gens nouveaux sont arrivés dans le métier par le biais de la fiction télé et les cartes ont aussi été redistribuées, au niveau des professions de manière générale, notamment au niveau des chefs opérateurs.
Eric Guichard : La rencontre entre les deux cultures ne s’est pas faite de manière " soft ".
Frédéric André : C’est une tectonique de plaques. C’est vrai qu’aujourd’hui un opérateur sera, en début d’année, sur une fiction télé et sur un long métrage au milieu de l’été, puis refera une fiction. Il y a des passerelles de talents qui, aujourd’hui...
Eric Guichard : Il me semble que la culture de l’opérateur de cinéma a été squeezée par une fonction économique de développement d’une société, TSF, pour ne pas la nommer, parce que vous étiez les premiers à mettre en place...
Frédéric André : On ne peut pas vraiment le nier, je comprends que vous ayez ressenti ça, à l’époque.
Eric Guichard : Je voudrais en revenir à Locaflash, parce que Locaflash a été votre point faible, c’est votre point faible. Nous le savons par nos chefs électriciens. Depuis peu, vous avez fait évoluer la stratégie de TSF Lumière en engageant Marie-Jo.
Frédéric André : Pour avancer qualitativement, certes, il y a de bonnes procédures à mettre en place. Certes, il faut faire les bons choix de matériel qui correspondent aux équipes, mais c’est tout un travail au niveau de l’animation des équipes et des responsables dans les départements. Sur le département lumière, on avait le souhait, depuis plusieurs années d’étoffer, de renforcer les équipes.
Et l’arrivée de Marie-Jo à la tête de TSF Lumière marque une étape supplémentaire dans cette volonté de gain en qualité d’écoute des prescripteurs, des chefs électros et d’avoir à la tête du département lumière quelqu’un qui a vraiment ce savoir-faire, reconnu de tous, et qui va pouvoir le décliner au sein de notre département. Ceci étant, il faut, je dirais, relativiser.
Je vous ai fait passer la liste des films de TSF, si vous prenez des films comme OSS 117, Molière, Anthony Zimmer, Indigènes, ils ont tous été faits avec TSF Lumière. Je pense que vous pouvez tous vous rapprocher des opérateurs ou des chefs éléctros qui ont fait ces films chez nous et vous allez voir que ça c’est très bien passé.
Mais je tiens aussi à souligner une chose qui est importante, ce concept d’offre globale va être encore extrêmement pertinent, notamment au moment où il y a une réserve de développement en France dans l’industrie audiovisuelle, c’est toute la production de détail, d’" access prime time " qui est une richesse d’emploi et ça, en France, on est en retard sur les productions de 26 fois 26 minutes, par rapport à nos voisins italiens, allemands ou britanniques. Là, il y a des projets comme Corps océans ou des séries comme les font Marathon, il y a encore des niches de développement importantes et, sur ces segments de marché, l’offre globale est une réponse particulièrement adaptée.
Eric Guichard : En fait, n’avez-vous pas l’impression que les objets films de télévision ont évolué, qu’ils sont devenus des objets particuliers ? Il y avait une époque où, lorsqu’on donnait une liste lumière, elle ne devait pas le 6 kW.
Frédéric André : C’est certain, parce que la circulation de talents dont on parlait tout à l’heure, aujourd’hui, entre la HD et le Super 16, en fiction télé, on nous sollicite pour mettre des focales 35 sur des caméras, ou un
Pro35 (2) avec des focales 35 sur une HD. Il y a de plus en plus de volonté de faire du " sur mesure " plutôt que de la grande série. Les listes éclairage de fictions télé sont de plus en plus similaires et proches d’un bon nombre de listes de longs métrages. Sur les gammes d’équipement que nous avons, on voit des Chimera, des Goya, des Alpha 4.
Marc Koninckx : Si l’on passe du long métrage au téléfilm, c’est vrai qu’on nous demande toujours quelque chose de spécial, la grande référence étant quasiment toujours les films américains, les séries américaines. Quand on voit maintenant les séries, j’en ai encore une en tête, Angels in America, dans laquelle jouent Al Pacino, Meryl Streep, et c’est Steven Goldblatt qui fait la photo, c’est vrai qu’on ne peut pas le faire, nous, pour l’instant. Il y a de plus en plus de comédiens de cinéma dans les téléfilms, je pense que c’est une opportunité pour les chefs opérateurs de s’exprimer.
Je voudrais comprendre les changement que pour vous prestataire implique la HD.
Cela n’a pas l’air de fonctionner comme le 16 mm. Ou le " package deal ", comprenait caméra et toute son accessoirisation, commandes de point, etc. Et maintenant, quand on passe en HD, on ne peut plus l’avoir, tout ça. C’est une question de budget ? Parce que les caméras ne sont pas amorties ? Donc, qu’est-ce que vous dites aux opérateurs ? Jusqu’à présent, quand on tournait en Super 16, on avait tout. On en a besoin aujourd’hui, parce que les réalisateurs de film de télévision, les producteurs ont une demande plus cinématographique.
Danys Bruyère : Ce n’est pas par rapport au devis que nous proposons – nous pouvons proposer n’importe quel devis – c’est par rapport à ce que les productions sont capables d’accepter de payer et nos contraintes d’amortissement.
Nous sommes confrontés à ce problème-là au même titre que vous. Moi, je ne vais pas freiner les gens pour qu’ils prennent ou pas du matériel dont ils ont besoin pour faire leur tournage. Le problème, c’est que les productions n’acceptent pas de transférer les coûts des économies qu’ils font sur la pellicule, quand ils tournent en HD, sur la location du matériel.
Donc, à budget égal, aujourd’hui, qui est gagnant ? Ce n’est pas nous. Nous ne sommes pas là pour essayer de freiner en disant : « On ne veut pas vous donner tel ou tel outil ». Mais ce sont des calculs qui sont malheureusement bêtes et méchants : c’est tout simplement que le matériel aujourd’hui a un temps d’obsolescence incroyablement court.
Ça fait un an qu’on achète des Sony F900R, il y a déjà deux générations après cette caméra-là qui sont maintenant disponibles sur le marché. Chez Panasonic, c’est la même chose. Il y a des caméras qu’on n’arrive pas à rentabiliser, il y a les accessoires, les séries de focales fixes. On avait huit optiques dans une séries Zeiss GO S16 qui coûtaient, à l’achat, en gros, 60 000 euros. On les remplace par des séries qui coûtent aujourd’hui trois fois plus cher ! Donc, comment faire ? On doit les louer trois fois plus cher.
Aujourd’hui, ce sont les caméras Super 16 qui nous permettent de vous donner des Digiprime occasionnellement, mais pas nécessairement sur tous les projets ; parce que ces caméras-là sont déjà amorties. Au prix où se vendent les Digiprime et vu le prix que les productions acceptent de payer, je ne les amortirai jamais, vous pouvez l’écrire, je le dis, je ne les amortirai JAMAIS.
Eric Guichard : Parce qu’elles sont obsolètes avant d’avoir fini de les payer ?
Danys Bruyère : Parce qu’elles sont obsolètes avant d’avoir fini de les payer et avant que j’aie pu gagner un rond avec. Et malheureusement, comme tout le monde, nous devons gagner un peu d’argent, nous aussi.
Eric Guichard : Est-ce que le travail n’est pas assez fait, finalement, auprès des producteurs pour leur expliquer qu’aujourd’hui, tourner en HD, c’est un support différent, nouveau, mais pas moins cher.
Frédéric André : Au début de la HD, il y a eu, chez les producteurs, une espèce de fantasme qui voulait que la HD fasse baisser les coûts entre autres sur le coût des cassettes, par rapport à la pellicule, par rapport au matériel de tournage, au labo et tout ça. Il y beaucoup de directeurs de production et de producteurs qui en reviennent et maintenant, à chaque projet, on se pose vraiment la question : « Est-ce que la HD est la solution pertinente ? Est-ce que c’est le Super 16 ? ». C’est beaucoup plus réfléchi.
Là, dans notre structure d’exploitation, en semaines de tournage sur la fiction télé, on doit être dans un ratio un tiers en HD et deux tiers en Super 16 sur le premier semestre. L’année dernière, nous avons fait l’équivalent de 150 fois 90 minutes en fictions télé. Si l’on exprime cela en semaines de tournage, la part de HD était de 23 % à la fin de l’année.
Eric Guichard : Justement, sur l’avenir de l’image, quelle est la prospective qui se développe chez TSF ? 35 mm, Super 16, HD ? Quels sont vos repères ?
Danys Bruyère : Encore cette année, nous avons acheté des caméras 35 mm. Donc, le 35, nous continuons à y croire, même si ça fait 25 ans qu’on dit qu’il ne reste que dix ans pour le film. On se dit qu’aujourd’hui, s’il reste 10 ans, le 35, ça va... Le parc 35 fonctionne très bien, nous continuons à nous équiper. Nous avons reçu de nouvelles optiques anamorphiques en début d’année, nous allons recevoir des nouvelles séries à la fin de l’année.
Donc, pour nous, la grosse mutation des dernières années, ça a plutôt été la bascule vers le trois perfs, pour diverses raisons. Quand on voit l’état du marché, le fait que des gens encouragent à aller vers le trois perfs, je ne suis pas sûr que ce soit, a posteriori, nécessairement la bonne décision. Mais en tout cas, le 35, c’est quelque chose en quoi nous continuons de croire et dans laquelle nous continuons à investir.
Coté investissements en Super 16, étant donné que les temps d’amortissement de ce matériel sont assez longs – ce qui était leur force jusqu’à une période assez récente – on peut dire qu’on amortit une caméra film sur une très longue période et nous savons pertinemment que sa vie commerciale sera plus longue encore. La décision d’investir dans des nouvelles cameras deviens plus difficile.
Pour la HD, nous allons bien sûr continuer. Bientôt, vont arriver les mono capteurs, mais ce ne sera pas encore cette année ou l’année prochaine que celles-ci vont remplacer les caméras classiques. La mutation commencera à avoir lieu dans la fiction télé, éventuellement. D’après moi, nous sommes à deux générations de
CMOS (3) avant qu’ils ne soient suffisamment souples et performants pour les utiliser avec la même flexibilité que le Super 16.
Aujourd’hui, ça n’existe pas, mais nous avons évidemment les oreilles bien tendues pour repérer ce qui se passe, quel sera le premier produit qui répondra de façon efficace aux besoins des chefs opérateurs, comme on a vu avec la HD Tri CCD. Nous avons vu les premières générations de caméras qui étaient loin de ce qu’elles promettaient et, aujourd’hui, on arrive à un certain cycle de maturité et cette maturité est, je pense, également de votre part par rapport à l’expectative que l’on peut avoir de ces outils-là. Nous ne nous demandons plus si les caméras numériques vont remplacer le 35 et nous savons comment les positionner correctement par rapport à nos besoins et, d’autre part, comment trouver la stratégie d’investissements qui va répondre aux besoins de nos clients tout en restant pérenne dans le temps. Mais le Super 16 continue à tourner très bien et nous en sommes ravis.
Sur le numérique, nous allons continuer à voir – et je ne sais pas si la fiction télé va définitivement basculer, mais au fur et à mesure que la technique s’améliore –, un réalisme économique devra apparaître, soutenu par le développement d’outils de captation plus précis et par l’accessoirisation à des prix raisonnables.
Marc Koninckx : Que les techniciens se forment aussi, parce qu’on n’en est pas là non plus.
Danys Bruyère : Effectivement, il y a tout cet aspect-là qui freine un petit peu la demande. Les gens qui maîtrisent déjà bien un support n’ont pas nécessairement d’intérêt à en maîtriser un autre aussi bien, s’ils ont le choix entre les deux. Après, c’est une question de goût… Mais, sur le numérique très haut de gamme, nous allons continuer notre stratégie de développement sur les supports
Data (4) (supports informatiques), parce que c’est ce qui semble être la seule voie, nous ne voyons pas d’alternatives. Même si nous sommes en avance sur ce que le marché demande, il n’y a pas d’autre solution que de développer le Data, c’est évident. La prise de position par rapport à la Viper a été un premier développement.
Personnellement, et après c’est ma vision, dans la mesure où je ne crois pas à certains produits, je n’ai pas tendance à les promouvoir. Aujourd’hui, nous proposons certaines gammes de produits, de tous les constructeurs, que nous trouvons dignes d’intérêt.
Eric Guichard : Mais le fait d’investir dans des outils qui sont en avance sur le marché, je pense à la Dalsa (5) ou à la Viper (6), c’est une manière pour vous d’acquérir une expertise, mais on a l’impression, malgré tout, que vous suivez une piste qui, en définitive, est un peu solitaire et pas forcément en liaison avec une demande des opérateurs. Aujourd’hui, il y a la journée Panasonic, c’est très bien.
Mais il faut absolument communiquer sur pourquoi vous investissez sur des outils comme ça. On voit bien les erreurs de Sony qui, pendant cinq ans, n’a pas fait attention aux utilisateurs, en tous cas n’a pas répondu à leur demande, une tendance qui est en train de s’inverser.
J’ai l’impression que la F23 (7) de Sony commence à être une caméra utilisable pour un opérateur qui vient du cinéma ou qui vient tout simplement du film.
Danys Bruyère : Je ne sais pas trop comment répondre, parce que, d’une part, hormis ces développements sur le DATA qui sont effectivement des développements à moyen terme, sur les autres points, on peut dire que nous répondons à la demande, nous avons toutes les autres caméras du marché…
Eric Guichard : Le point de vue des opérateurs sur le numérique est très clair : à quel moment l’outil qu’on nous propose est le bon outil ?
C’est pour ça que l’on est très exigeants sur les accessoires, sur les objectifs, sur le type de caméra choisi en fonction du produit. Aujourd’hui, autant le cinéma numérique est une question importante et intéressante, autant on va plus loin que ce qui existe. Ce qui existe et ce qu’on nous a vendu comme le cinéma " digital " est un leurre.
Quand Sony disait, il y a cinq ans : « La CineAlta, c’est le cinéma de demain », c’était il y a cinq ans, tu l’as dit toi-même à l’IDIFF, ou c’est Bob Bitcher qui l’a dit, en tout cas, c’est clair qu’on n’est pas dupe de ce qu’on nous propose, il s’agit d’outils de prise de vues quasiment grand public, on n’a pas besoin d’être spécialiste pour comprendre cela.
Danys Bruyère : C’est vrai que parfois nous nous sentons un peu seuls dans le choix de nos options d’ailleurs. La motivation de cette démarche, c’est de trouver l’outil capable de donner la meilleure image possible. Et la Viper, jusqu’à il y a de ça très peu de temps, était l’outil qui donnait la meilleure image possible en numérique, et ça, c’est incontestable. Aujourd’hui, la Dalsa est une caméra en pleine évolution. D’ici très peu de temps, on va voir arriver sur le marché, de façon plus générale, des images de la caméra Dalsa qui seront les meilleures images possibles, mais les productions ne sont pas toujours prêtes à l’entendre.
Le marché dit : « On va continuer avec des cassettes parce que les cassettes, on comprend ». Ma position là-dessus en est une de surprise, parce on ne demande pas à un directeur de production de comprendre ce qui se passe la nuit chez Eclair, en photochimie alors qu’ils cherchent à comprendre ce qui se passe en DATA. C’est possible qu’on ne comprenne pas, parce que tout le monde n’est pas spécialistes en informatique…
Dominique Gentil : Mais comment faire le bon choix parmi tout ces nouveaux produits ?
Danys Bruyère : Il y a quatre modèles de caméra HD qui sortent par année : est-ce qu’on doit tous les acheter ? Si on les achète tous, on meurt, on ferme, c’est certain. Nous ne le pouvons donc pas. Voir cet après-midi le nouveau codec AVC-Intra, que Panasonic a développé pour leur nouvelle caméra. C’est assez bluffant. Peut-être retournera-t-on vers la compression, mais aujourd’hui, en 2007, la captation sans compression, c’est indiscutablement meilleur. Vraiment !
Ce qui motive les développements que nous préconisons avec le numérique, c’est de se dire : « Qu’est ce qu’on peut faire pour avoir la meilleure image possible ? » C’était par exemple les Digiprime quand elles sont sorties… Nous nous sommes dit : « Bon, ça coûte cher, est-ce qu’on va les louer au bon prix par rapport à l’investissement ? » On ne savait pas, mais on y croyait. Comme cela participait à la meilleure image qu’on puisse offrir en HD, nous nous sommes dit : « On va y aller... »
Eric Guichard : Est ce que finalement cette logique de rentabilité nécessaire n’est pas en train de peser sur le travail des opérateurs et sur leurs choix techniques aussi ? Je vois de plus en plus de directeurs de production me dire : « On va tourner avec une 750, c’est déjà " dans le devis ", et tu dis : « Ah non ! Pas la 750, ni la 900, mais peut-être autre chose ».
Frédéric André : En tout cas, Eric, vous avez ce dialogue, vous, chef opérateur et production, nous, on l’a en interne entre technologie et commercial où, régulièrement, je dis à Danys : « Il y a bien un moment donné où il va falloir que certains standards se stabilisent un peu de la même façon qu’au moment où on avait les Aaton XTR Prod, les SR3, de façon à ce qu’on puisse à la fois faire notre métier de loueur, au sens économique du terme, et apporter des solutions pérennes et satisfaisantes. Mais attention, n’oublie pas une chose, c’est qu’aujourd’hui, nous négocions des " package deal " sur des séries télé, qui sont des " package deal " financiers. Mais, à chaque tournage en fonction de l’opérateur qui vient faire le film, le contenu du " package matériel " se module.
Marc Koninckx : Oui, bien sûr.
Frédéric André : Oui bien sûr... Ce n’est pas si évident que ça ! Et plus ça va, plus est introduit de la singularité dans chaque " package deal ", c’est-à-dire que même sur des séries passant du film en HD, le premier épisode se fait par exemple avec la Varicam, le suivant, même si l’opérateur dit : « Non, moi je le vois plutôt en F900 ou avec des Fujinon plutôt que des Zeiss Digiprime », c’est reconsidéré. Ce n’est pas : « Non, on a imposé un standard avec la Varicam sur l’épisode 1 et 2 et maintenant les 20 épisodes suivants vont se faire avec ça ». Non, il y a une remise en cause à chaque fois, il y a un débat à chaque fois.
Danys Bruyère : Parce que nous n’avons pas toujours les gens qui créent comme interlocuteurs…
Frédéric André : Après, si tu n’as pas suffisamment de diversité, tu meurs, également.
Danys Bruyère : C’est notre rôle de loueur de fournir les nouveaux outils. Mais je crois que nous sommes tout autant victime que vous de la rapidité des évolutions parce que nous, évidemment, on souhaite les suivre. Et aujourd’hui, on se pose la question par rapport à la F23 de Sony, superbe appareil, évidemment, Sony a vraiment bien fait à tous les niveaux, cette camera-là est très bien, mais aujourd’hui, je ne sais pas la louer au prix auquel je dois la louer pour pouvoir la payer. Donc, je n’en achète pas.
Eric Guichard : Et c’est une machine qui vaut combien, toute équipée, avec tous les parasoleils et les commandes de point ?
Danys Bruyère : Si tu mets une série de focales fixes, un bon zoom, la caméra et tout le reste, le " package " monocaméra peut arriver aux alentours de 450 000 euros.
Eric Guichard : D’accord !
Danys Bruyère : C’est un peu plus cher qu’un " package " Arricam, mais aujourd’hui cette caméra-là a une durée de vie réelle de deux ans, deux ans et demi.
Eric Guichard : Et tu la louerais combien, la F23 ?
Frédéric André : Ce n’est pas la peine de sortir une calculette : 9 000 euros la semaine, par caméra. Aujourd’hui, le budget moyen d’un long métrage deux caméras, c’est beaucoup moins... En fiction en HD, quand on est à 1 300 euros par jour pour un " package " à deux caméras, on est dans le haut des possibilités budgétaires… On en est loin.
Danys Bruyère : A un moment donné, certes on peut continuer à tout acheter, mais si demain on ne peux plus payer et qu’on doit fermer, ça ne rendra service à personne. Ou bien on prend une position un peu mono-marque et on décourage la diversité…
Frédéric André : Dans un autre registre, c’était la même problématique en film avec les 416, en Super 16, par rapport à la fiction télé. Qui paye le surcoût ?
Eric Guichard : L’" upgrade " de l’Aaton Prod, vous l’avez engagé ?
Danys Bruyère : Oui, oui...
Eric Guichard : C’était une position assez intelligente de la part de Aaton.
Danys Bruyère : Pour 15 000 euros, tu modernises ton appareil et puis ça offre un vrai plus au niveau de la réalisation avec une bonne reprise vidéo et, au niveau de la prise de vues, avec des doubles batteries et puis l’accessoirisation un peu mieux fichue : ce sont là des évolutions réelles. « Ok, la caméra est disponible, on l’envoie chez Aaton ».
Frédéric André : L’" upgrade " de l’Aaton et celui des Moviecam en 35 avec les MK2, ce sont vraiment des " upgrades " qui redonnent de la vitalité…
Dominique Gentil : Une des raisons pour lesquelles la fiction télé glisse vers la HD, c’est aussi le confort de la mise en scène, l’accès à l’image immédiate. Le réalisateur est heureux d’avoir un bon écran, une image qui ressemble à son film où il peut prendre des décisions qu’il aurait prises seulement lors au montage. Ce confort, nous, techniciens et les fabriquants de cinéma, ne l’avons certainement pas assez considéré. En essayant d’améliorer la qualité du retour vidéo par exemple.
Marc Koninckx : Mais c’est aussi la chaîne qui impose le format HD.
Frédéric André : Oui, le format de livraison, pas le format de tournage, à partir du moment où c’est livré avec un master HD.
Eric Guichard : La constatation sur le développement de la prise de vues du cinéma numérique, c’est qu’il y a un manque de connaissance terrible de la part des producteurs et des directeurs de production, qui mélangent tout, qui confondent le DATA, les format de tournages et ceux de diffusion...
Danys Bruyère : Qu’ils lisent la presse...
Eric Guichard : Et des opérateurs, il ne faut pas tout le temps jeter la pierre du même côté. Il y a un vrai manque de rigueur, d’envie d’aller chercher des informations sur ce qu’est le cinéma numérique et les capacités d’une caméra, qu’elle soit Panasonic, Sony, Viper, Dalsa. Il y a un vrai manque de curiosité amplifié par la confusion terrible qu’entretiennent les fabricants : ils n’ont jamais eu des positions clairement définies quant aux outils qu’ils étaient en train de proposer.
Danys Bruyère : De toute façon, ils mettent toujours en avant des choses qui vont faire vendre leurs produits, ils mettent des chiffres pour faire plus scientifique… Ce qui fait qu’un outil est mieux, c’est un ensemble de conditions, d’ergonomie, de pixels, de qualité d’échantillonnage, de ci, de ça… Que les gens ne comprennent pas… Après, on lit dans la presse une déclaration de Sony disant qu’il n’y a plus besoin d’éclairage et, à un moment donné, les gens finissent par le croire.
Dominique Gentil : Cela s’est dit aussi à propos des pellicules sensibles...
Danys Bruyère : Mais les frères Lumière l’ont démontré avec La Sortie des usines ! Ça fait 100 ans qu’on fait du cinéma sans éclairage, mais bon, La Sortie des usines Lumière, ce n’est pas une référence esthétique ! Historique, certes, mais... A propos d’obsolescence, la caméra que nous allons présenter cette après-midi est annoncée depuis quatre mois, alors que la génération d’avant, la HPX2100 n’était pas encore commercialisée et déjà sa remplaçante était annoncée ! C’est quelque peu compliqué d’investir en masse sur les 2100, qui sont d’excellentes caméras, parce que comme tu as déjà des devis pour acheter sa remplaçante, comment tu fais ?
Eric Guichard : Est-ce que la stratégie de Panavision d’offrir un modèle de caméra dont le capteur est formaté pour un certain nombre d’années, n’est pas, finalement... Ou ce que peut-être Beauviala va faire demain, avec la Penelope (8) ? Est-ce que ce n’est pas, finalement, par rapport au monde du cinéma, quelque chose qu’il vaudrait mieux développer ?
Danys Bruyère : On va arriver à des standards. Ça ne sera pas la
D20 (9), peut-être la D21 ou Penelope 2. Je pense qu’on va y arriver. Et le jour où on arrivera avec une caméra numérique qui a la souplesse du 35, on arrivera peut-être à un standard, on pourra ralentir la course à l’armement, si je peux m’exprimer ainsi...
Eric Guichard : Est-ce que la finalité du cinéma numérique aujourd’hui, ce n’est pas la stratégie qu’a choisi Panavision, au bout du compte, puisque Sony ne répondait pas à la demande ?
Frédéric André : Il y a un poisson pilote qui s’appelle Genesis (10) et qui, dans l’inconscient des cinéastes et des opérateurs, par le marketing, par un réseau de diffusion mondial, par une légitimité, une antériorité, un historique, fait que même s’il y a tous ces développements annexes, il y a cette espèce de " navire amiral " dans le développement qui est clairement identifié.
Eric Guichard : Oui, mais je dirais aussi que par rapport au cinéma, l’outil Genesis, on sait qu’il va évoluer, mais dans une continuité, comme Kodak a su faire évoluer ses pellicules dans une certaine continuité.
Frédéric André : À partir du moment où on sentira une vraie colonne vertébrale, une option technique pérenne, nous serons tous plus sereins...
Eric Guichard : C’est aussi l’obsolescence du support. Quand tu défends le DATA, tu as une chance de pouvoir être lu dans dix, vingt, trente ans, avec la cassette, tu n’en as aucune ?
Danys Bruyère : Je ne suis pas à 100 % sûr, dépendant des décisions qui sont prises dans les années qui suivent, que nous puissions lire le DATA non plus. Mais il y a des " bussiness model " chez CapitalVision, par exemple, qui commencent à réfléchir à comment faire un archivage pérenne des supports informatiques et Hollywood y réfléchit parce que, tôt ou tard, ça va basculer. Aujourd’hui, on a encore la sécurité d’avoir des copies, des interpositifs 35 mm, des internégatifs pour les copies de tirage, mais dans dix ans, il n’y en aura peut-être plus. Dans dix ans, je pense qu’en France, il n’y aura plus beaucoup de salles de projection 35 mm.
Frédéric André : Le mot de la fin, ça sera : ce sur quoi on va continuer, au-delà d’un développement technologique, ce sera de faire un travail de fond sur la convivialité dans les services. Groupe TSF est devenu TSF. La dimension holding, on l’a supprimée... On a supprimé les marques : ce n’est plus Iris, ce n’est plus Locaflash, c’est TSF. On va à la caméra, on va à la lumière... D’avoir uniquement un sigle. On va chez Panavision, on allait chez Techno, on va chez TSF... Mais ça, ça prend un quart de siècle de travail... Il y a le temps des balbutiements, le temps de l’adolescence. Et je crois qu’aujourd’hui, TSF, sur ce nouveau site, avec son organisation de métier, ça a vingt ans : TSF entre dans l’âge adulte.
Eric Guichard : Nos libertés de choix, c’est aussi ce qui garantit la création artistique. Nous avons des chefs d’équipe qui nous disent : « Voilà, j’ai une préférence pour Transpa, pour TSF, pour Cininter ». La force de nos métiers, c’est de se dire que les gens ont tissé des relations. C’est également ça qui fait que nous sommes mieux protégés : vous, parce que vous connaissez les gens et nous, parce que nous savons que nous aurons le service attendu.
Frédéric André : D’un strict point de vue commercial, mon métier est plus facile quand l’entreprise est désirée que lorsqu’elle est imposée. Donc, il y a des intérêts convergents.
Marc Koninckx : Une dernière question : mis à part le côté convivial des projections de films dans votre nouvelle salle Le Cercle Rouge, quand on est en préparation chez vous, est-il possible d’y projeter nos essais ?
Frédéric André : Bien sûr. C’est à la fois un lieu pour nos opérations de communication et un atelier de travail, pour faire des projections de rushes...
Vous pouvez télécharger ci-contre l’organigramme de TSF.