Camerimage 2014
Entretien avec le directeur de la photographie Benoît Delhomme, AFC, à propos de son travail sur "The Theory of Everything", de James Marsh
The Theory of Everything : un "biopic" entre Douglas Sirk et Kristof KieslowskiVous aimez passer d’un genre à l’autre..., n’est-ce pas un problème pour les USA ?
Benoît Delhomme : C’est vrai qu’aux Etats-Unis, on peut être très vite catégorisé en tant qu’opérateur. Après la sortie du film d’Anton Corbijn, qui a été plutôt bien reçu là-bas, j’ai reçu dix scripts d’espionnage, de CIA, avec des histoires de mosquées en Angleterre... Je les ai tous refusés, mais je sais que c’est comme ça que ça marche. Moi ce qui me plaît, c’est plutôt de changer de genre chaque fois... Ce n’est pas une démarche très commune car je m’aperçois que les opérateurs américains ou étrangers sont souvent appelés par les studios pour en quelque sorte refaire un peu le même style d’image à chaque projet.
J’ai pu en discuter récemment, lors d’une table ronde organisée par le magazine Hollywood Reporter, et c’est flagrant. C’est sans doute un risque de ne pas me forger une sorte de style visuel à chaque film, mais paradoxalement, c’est aussi pour cette raison que les réalisateurs comme James Marsh viennent me trouver !
Vous le connaissiez ?
BD : Non... Je connaissais juste Man on Wire, son documentaire sur l’exploit de Philippe Petit entre les deux tours du World Trade Center en août 1974. Un film sur lequel James Marsh avait fait beaucoup de recréation, de manière fictionnelle, comme savent le faire les anglo-saxons quand ils n’ont pas le matériel. Quand on s’est rencontré, il m’a tout de suite dit que The Theory of Everything (Une merveilleuse histoire du temps) ne devrait pas ressembler à un " kitchen sink drama " à l’anglaise. Le scénario à la base n’était pas très visuel, les lieux assez banals... En discutant ensemble on a cherché comment ancrer le film dans un style visuel plus proche des mélodrames de Douglas Sirk, avec la modernité d’un Kiewsloski. D’un point de vue photographique, je peux aussi citer Stephen Shore ou William Eggleston.
Le film est très américain dans l’ambiance, bien qu’il se déroule en Angleterre...
BD : Une des clés visuelles du film repose un peu sur le personnage de Hawking et son travail de chercheur sur le cosmos, la lumière. Pour moi, il fallait que les photons soit en quelque sorte présents à l’écran, avec une lumière naturelle souvent un peu trop forte, qui bave sur les découvertes, ou simplement éclatante dans les intérieurs. C’était par exemple tout le contraire de ce que j’ai pu faire sur le film précédent avec Anton Corbijn, Un homme très recherché, où les couleurs étaient plutôt étouffées, avec aucune haute lumière, un ciel gris la plupart du temps et des ambiances d’automne plombées. Sur The Theory of Everything, je voulais presque qu’on se croit à Los Angeles, sur un campus californien plutôt qu’à Cambridge ! Pour cela aussi, je n’ai pas hésité à diffuser pas mal l’image à l’étalonnage, à faire des halos autour des blancs.
La séquence du bal, lors de laquelle Stephen Hawking séduit Jane, est un autre bon exemple. Il y a un coté très doré autour des tentes qui jalonnent le campus, avec les feux d’artifices en arrière plan, et aussi cette séquence éclairée avec des ampoules bleues UV qui coupent les deux personnages du reste du décor. Pour ce bal, j’ai demandé au chef décorateur d’installer le plus de guirlandes d’ampoules tungstène qu’il pourrait trouver autour des tentes. Ça m’a permis de donner une base d’éclairage sur ce lieu très vaste et de faciliter les nombreux plans au Steadicam. En plus, une boule japonaise perchée sur les comédiens a permis d’équilibrer les visages.
Un mot sur les mouvements de caméra ?
BD : Ça me semblait important que la caméra suive le plus librement possible le personnage de Steven dans la première partie du film, tant qu’il est capable de marcher ou courir. Ensuite, tandis que la maladie progresse et qu’il devient paralysé, le découpage s’est fait beaucoup plus à partir de plans fixes, assez composés. J’ai aussi choisi de changer d’optiques pour donner une signature visuelle différente à ces deux périodes..., le début étant filmé avec une série Leica Summilux sphérique, tandis que la suite – à partir de la scène à l’hôpital où il apprend sa maladie – en anamorphique avec des vieux Hawk. Sinon j’ai filmé en Arri Alexa ProRes.
Avez-vous tourné dans l’ordre chronologique ?
BD : Non, pour des raisons de production. Du coup, ça a demandé un énorme travail de la part d’Eddie Redmayne qui devait successivement alterner les séquences en chaise roulante ou au contraire parfaitement valide. Du côté des optiques, cela n’a pas été facile de convaincre la production de louer la série sphérique et la série anamorphique pendant toute la durée du tournage.
Il y aussi des séquences qui semblent être tournées en Super 8, comme des films de la famille Hawking...
BD : Ces séquences n’étaient pas prévues à l’origine dans le script. C’est au cours de la préparation que James m’a annoncé qu’il avait envie d’inclure quelques " faux " films de famille à l’intérieur du film. Pour cela, on a immédiatement pensé au Super 8, qui était le format utilisé à l’époque.
Mais pour des raisons de production, et notamment de délai de traitement trop long, on s’est rabattu sur du Super 16 mm. Du coup, j’avais en permanence une vieille caméra Arri 16 sur le plateau, et ces séquence ont été improvisées en fonction du plan de travail et de l’inspiration de James... C’était très sympa à tourner, James me laissant complètement libre avec les comédiens, et on improvisait telle séquence de plage, de mariage ou à la maison, dans l’esprit exact de ces petits films de famille.
Ces séquences sont très chaudes dans les basses lumières...
BD : Oui, à l’étalonnage j’ai choisi de mettre pas mal de rouge dans les ombres et de jaune dans les hautes lumières sur les images Super 8... Il y a aussi eu un accident de développement, avec un flare jaune orangé sur le mariage, qu’on a gardé, très content malgré les excuses les plus plates du labo ! Du coup, je m’en suis inspiré pour recréer d’autres effets de d’accidents à l’étalonnage.
Dans l’ensemble je n’ai pas hésité à avoir des couleurs assez saturées sur ce film. Quelques scènes sont presque dans une monochromie primaire comme la scène où Stephen regarde la télé, éclairée par le soleil à travers des rideaux rouge vif. Je voulais que les couleurs donnent une énergie inattendue à cette histoire. J’ai laissé parfois la lumière surexposer exprès le visage de Stephen. Je voulais trouver des ambiances qui rendent compte d’une sorte de mélodrame... mais au soleil.
Stephen est quelqu’un d’incroyablement positif. Il n’y a pas chez lui de place ou de temps pour la dépression. A mesure que la maladie progresse et qu’il perd peu à peu sa mobilité et même sa propre voix, il prend de la force en quelque sorte ! On voit dans le film qu’il se sert de cette maladie presque comme d’une opportunité pour pouvoir se concentrer sur ce qui l’intéressait vraiment dans la vie.
Une anecdote ?
BD : Les lunettes..., c’était assez marrant. À quelques semaines du tournage, les producteurs se sont brutalement inquiétés de l’omniprésence des lunettes. C’est vrai que Stephen Hawking en a toujours porté, et plusieurs modèles se succèdent à travers la narration du film. Réunions sur réunions se sont déclenchées soudain à ce sujet, comment gérer les réflexions, les reflets gênants... J’ai dû donc un peu jongler avec ça, mais on a finalement assez souvent pu exploiter les reflets réels des fenêtres par exemple car ça donne de la vie à l’image. Et puis, à partir du moment où le personnage se retrouve en chaise roulante, honnêtement les problèmes de reflets se sont trouvé beaucoup plus simples à gérer.
(Propos recueillis par François Reumont pour l’AFC)
Synopsis :
1963, en Angleterre, Stephen, brillant étudiant en cosmologie à l’Université de Cambridge, entend bien donner une réponse simple et efficace au mystère de la création de l’univers. De nouveaux horizons s’ouvrent quand il tombe amoureux d’une étudiante en art, Jane Wilde. Mais le jeune homme, alors dans la fleur de l’âge, se heurte à un diagnostic implacable : une dystrophie neuromusculaire, plus connue sous le nom de maladie de Charcot, va s’attaquer à ses membres, sa motricité, et son élocution, et finira par le tuer en l’espace de deux ans.
Grâce à l’amour indéfectible, le courage et la résolution de Jane, qu’il épouse contre toute attente, ils entament tous les deux un nouveau combat afin de repousser l’inéluctable. Jane l’encourage à terminer son doctorat, et alors qu’ils commencent une vie de famille, Stephen, doctorat en poche, va s’attaquer aux recherches sur ce qu’il a de plus précieux : le temps.
Alors que son corps se dégrade, son cerveau fait reculer les frontières les plus éloignées de la physique. Ensemble, ils vont révolutionner le monde de la médecine et de la science, pour aller au-delà de ce qu’ils auraient pu imaginer : le vingt et unième siècle.