Impressions de Camerimage
Par Richard Andry, AFCLa cérémonie d’ouverture a été, comme toujours, un peu longuette avec les multiples traductions et interventions officielles et protocolaires, mais nous n’avons pu que nous réjouir de la remise par le Maire de Torun de la médaille de la ville à nos amis Marek Żydowicz et Kazimierz "Kazik" Suwała. Nous avons eu droit à un grand moment d’émotion quand Tetiana Stanieva, directrice du festival OKO, et sa coordinatrice, Elena Rubashevska, sont montées sur scène pour remercier Camerimage d’héberger leur festival du film ethnographique, qui se déroule habituellement, en temps de paix, à Bolhrad, dans le sud de l’Ukraine. La projection d’un court montage nous montrant en parallèle les photos de techniciens et artistes ukrainiens en temps de paix et qui sont actuellement au combat, morts, blessés ou estropiés, a été saisissante. On pouvait ressentir en filigrane, tout au long de la soirée, sans que cela soit plombant dans chaque intervention, la proximité de cette terrible guerre. Les Polonais se montrent extraordinairement solidaires de l’Ukraine et dans ce domaine ils savent de quoi ils parlent. J’ajouterais à la fin de mon texte quelques précisions sur ce festival OKO et le formidable moral de ces deux femmes. Revenons à notre cérémonie d’ouverture où se sont succédé sur scène quelques-uns de nos "héroïnes et héros" internationaux.
Parmi ceux et celles-ci, Ulrike Ottinger, photographe, peintre et réalisatrice allemande, récompensée pour son œuvre picturale d’avant-garde. Sam Mendes, dont le film Empire of Light, éclairé par Roger Deakins, ASC, BSC, sera projeté après la cérémonie, nous a parlé de ses liens de complicité avec ses DoP, et a évoqué avec beaucoup d’émotion sa rencontre et sa collaboration avec le grand et regretté Conrad Hall, ASC, sur American Beauty, qui était son premier film, et pour lequel Conrad Hall a reçu un Oscar. Sir Roger Deakins étant absent nous avons eu droit à la petite vidéo dans laquelle, en compagnie de James, sa compagne et collaboratrice, ils nous souhaitaient un bon festival. Jean-Jacques Annaud et Jean-Marie Dreujou furent chaudement accueillis et acclamés. Des habitués du festival qui avaient déjà reçu ensemble une Grenouille d’or. Le lendemain, j’ai pu revoir sur un grand écran l’impressionnant et émouvant Notre-Dame brûle et, le lendemain, suivre la Master Class du trio J.-J. Annaud, J.-M. Dreujou, AFC, et Jean Rabasse, ADC. Avoir la chance de voir et d’entendre ensemble les trois principaux artisans du tournage, et pouvoir suivre la construction de l’incendie de Notre-Dame à travers leur maestria était presque aussi impressionnant que le film lui-même. Et ils n’étaient pas venus les mains vides, mais avec un véritable making-of "in vivo" à la très riche iconographie. Cela aurait pu durer tout l’après-midi. On pouvait être fier d’être français, comme lors du Séminaire tenu par le même infatigable J.-M. Dreujou, en compagnie de Laurent Dailland, AFC, d’Audrey Birrien et de Benjamin Alimi d’Hiventy – modéré par Clémence Thurninger – sur le thème de la conservation et de la restauration des œuvres cinématographiques, sujet on ne peut plus important et dont il serait temps de s’inquiéter après les erreurs faites dans les décennies précédentes. Caroline Champetier, en compagnie de Frédéric Savoir, nous avait adressé un message vidéo sur ce thème autour de la restauration de Mauvais sang, de Léos Carax, avec au passage une pensée émouvante pour Jean-Yves Escoffier, un ami très talentueux, trop tôt disparu, qui en avait été le directeur de la photographie. Vu les extraits présentés, un formidable travail de restauration.
Le sujet qui peut paraître au premier abord pas très glamour s’est révélé captivant et la richesse de l’iconographie et la compétence et la passion des intervenants nous ont convaincus de l’importance du sujet. Merci à ceux qui ont fait un voyage éclair pour nous "éclairer", Audrey, Benjamin et Laurent. J’ai pu voir Bardo, d’Alejandro González Iñárritu, superbement photographié par Darius Khondji, AFC, ASC, et je peux même dire "immergé" dans ce film-fleuve (2h40) sur les rives de Luis Buñuel, Frederico Fellini, Alfonso Cuarón. J’ai retrouvé le ressenti qui avait été le mien dans l’expérience de réalité virtuelle de son Carne y arena. Mais cette fois-ci, en plus poétique dans un fauteuil de cinéma. Je ne peux qu’applaudir ce chef-d’œuvre mais ni Darius ni Iñárritu n’étaient présents, même sous forme virtuelle...
J’ai vu un autre film lui aussi en compétition parce que je suis passionné d’aviation et d’espace mais je préfère ne pas en parler tant j’ai été déçu par Top Gun : Maverick. Je suis plutôt admirateur du travail de Claudio Miranda mais je me projetterai The Right Stuff, de Philip Kaufman, éclairé par Caleb Deschanel, dès mon retour à la maison, un de mes films cultes. Dans le cadre du festival OKO, je suis allé voir Terykony, film ukrainien de Taras Tomenko, image de Misha (Misko) Lubarsky, film documentaire très émouvant mais sans pathos, sur les enfants qui vivent dans la zone de guerre (zone grise) du Donbass, en Ukraine, et qui n’ont connu que cela pendant leur enfance (depuis la guerre de 2014) et qui doivent survivre tant bien que mal dans les ruines de leur village, en pleine région minière dévastée. Un film qui nous montre les horreurs de la guerre qui est depuis passée au niveau de l’apocalypse ! Je me permets de vous donner le texte de Tetiana Stanieva, directrice-fondatrice du festival OKO, que j’ai traduit : « Notre culture est notre arme. C’est pour cela que nous nous battons et que nous mourons. La culture est plus forte que les chars pour protéger notre identité. Les chars entrent dans la bataille quand il y a un manque de culture. Aujourd’hui nous ne pouvons combattre que sur le plan diplomatique. Renforcer la voix de l’Ukraine à travers les films, créer un dialogue interculturel et des liens diplomatiques, promouvoir la tolérance et évoquer l’empathie pour les douleurs et les joies de notre pays qui souffre depuis trop longtemps. Tout faire pour la victoire de la lumière sur les ténèbres. Nous remercions sincèrement nos collègues polonais pour leur aide, leur coopération, leur hospitalité et la possibilité de s’exprimer à travers des films ».
Camerimage est aussi un des grands rendez-vous annuels très chaleureux avec nos fournisseurs et prestataires, et nous avons partagé de bons moments avec tous nos membres associés, que je ne citerai pas de peur d’en oublier mais dont vous pouvez lire le générique complet sur notre site. Merci à eux. Merci aussi à nos confrères, ASC et BSC, qui nous ont gentiment offert l’apéro. Un merci spécial à Jean de Montgrand, ayant oublié mon téléphone à Paris (eh oui !), il m’a prêté le sien, et j’ai été JdM pendant cinq jours sur la boucle WhatsApp AFC Camerimage jusqu’à ce qu’Audrey Berrien et Laurent Dailland me rapportent le mien. Petite équipe DoP AFC très sympa, dynamique et très passionnée dont je regrette d’avoir dû zapper le séminaire "Des questions ?" autour d’Oliver Stapleton, BSC, avec trois membre de l’AFC : Pascale Marin, Jean-Marie Dreujou et John de Borman, et ce en raison d’une grosse crève qui m’est tombé dessus sans crier gare. Désolé les ami(e)s. Salut Steeven !
J’en ai profité pour écrire ce petit texte dans ma chambre d’hôtel. Merci à l’équipe du site de l’AFC qui a bien bossé sur le terrain autour de Laurent Andrieux : Margot Cavret, Clément Colliaux, Katarzyna Średnicka, Clémence Thurninger, à nous faire presque oublier l’absence de François Reumont et de notre Jean-Noël national, qui néanmoins veillait au grain, avec Marc Salomon dans sa verte campagne, depuis la rue Francœur.