L’éditorial d’octobre
"Rendons à César", par Gilles Porte, président de l’AFC– « Phano ? Xavier ? Qu’est-ce que vous foutez là ? »
– « Ben, on est venu vous encourager ! C’est pas tous les jours qu’on passe à la télé ! »
C’est vrai que des télés, on n’en avait pas eu beaucoup avec Quand la mer monte, avant qu’une partie de la profession nous mette en avant. Gad Elmaleh, maître de cérémonie, m’a appris plus tard qu’il n’a eu de cesse de recevoir des consignes dans l’oreillette pour réduire notre temps d’antenne[1] lorsque j’ai pris la parole pour asséner quelques vérités tandis qu’Alain Terzian, assis au premier rang, n’en finissait pas de dire « non » avec la tête…
Phano et Xavier avaient suivi la cérémonie au téléphone, dans un restaurant, avec la mère de Xavier qui leur annonçait, en temps réel, les résultats.
« 2 - 0 ! » C’est comme ça que Phano a accueilli le César de la meilleur actrice remis à Yolande Moreau par Gérard Depardieu… Bien que "monteur-soudeur" de profession, Phano était devenu un peu notre producteur exécutif sur le terrain… Le cheval de trait d’Anne-Marie et Michel… Les locaux de production chez Magalie et Jean-Noël, boucher du village… Le hangar de géants et tout ce qu’on ne pouvait pas se payer mais qui était nécessaire à notre film, c’était lui ! Phano et son mètre quatre-vingt-quatre, c’était mon repère entre le Monts des Cats, le Mont Noir et le Mont Cassel, au milieu de tous ces Flamands qui regardaient étrangement ma moto immatriculée 75 passer et repasser devant chez eux...
Plus tard, lors de cette même nuit de février, j’ai réussi à faire rentrer Phano au Fouquet’s avec son anorak rouge, en affirmant au videur, qui lui refusait l’entrée, que c’était mon caméraman qui revenait de l’étranger et qui n’avait pas eu le temps de se changer pour fêter les deux statuettes avec nous… Une compression en bronze vaut bien un nœud pap’ et quelques mensonges un soir des César !
Au milieu de cercles mondains qui ne ressemblaient pas vraiment à des champs de Houblon, des immenses yeux bleus d’Isabelle Adjani, des larmes de Benoît Poelewoorde, d’une discussion que j’avais avec Jacques Perrin, Phano m’emprunte le César pour filer dans les cuisines sans rien demander à personne. Il venait d’apprendre que le "petit personnel du Fouquet’s" n’avait pas le droit de s’adresser aux clients et cela ne lui avait pas plu. Il était comme ça, Phano… Impulsif… Volontaire… Généreux… Frontal… Naïf, sans doute un peu... Mais jamais consensuel !
Des caractéristiques que l’on trouve chez quelques-uns qui grandissent loin de codes ou s’en affranchissent, considérant des fondamentaux bien au-dessus d’us et coutumes en vogue dans certaines sociétés. Phano était revenu avec un serveur qu’il tenait par le cou et qui regardait ses pompes, mon César entre les mains.
« Gilles… Je te présente Mickael ! C’est un Ch’ti ! Il fait des extras ce soir… Il a adoré Quand la mer monte… Tu veux pas lui signer un autographe ? »
C’était pour raconter cette histoire, entre autres, que j’étais allé trouver Alain Rocca, trésorier des César, afin de réaliser une série de 100 portraits noir et blanc, sans lumière additionnelle[2], dans un livre qui fut le premier d’une collection.
Depuis, ces 100 portraits – un temps exposés entre les photos du studio Harcourt du Fouquet’s – ont été décrochés… Alain Rocca n’est plus trésorier de l’Académie… Un appel auprès de 4 680 professionnels de l’industrie cinématographique pour renouveler la nouvelle Assemblée Générale des César à été lancé… 450 membres ont postulé… 164 ont été nouvellement élus… Un nouveau Conseil d’Administration, avec 21 binômes – strictement paritaires – issus de 21 branches de la professions (interprètes, scénaristes, costumiers, réalisateurs, directeurs de la photo, monteurs, etc.), a été élu… Et 18 membres considérés comme "historiques" ont été reconduits grâce à un habile "tour de passe-passe" et de nouveaux statuts, apparus en juillet 2020[3], faisant fi des désirs de transparence, de collectif, de démocratie, de diversité, d’équité et de parité, pourtant clamés haut et fort…
Bravo, en tous les cas, à Jeanne Lapoirie, AFC, et Yves Cape, AFC, SBC, d’avoir été choisis pour représenter notre profession au sein d’une Académie afin que le métier de directeur (ou directrice) de la photographie et l’engagement de prestataires techniques ne soient jamais effacés de la photo lorsqu’il s’agit, une fois par an, de saluer toutes celles et tous ceux qui fabriquent aussi le cinéma français…
Que l’imaginaire de chaque nouveau membre élu soit désormais mis au profit de l’intérêt général et du cinéma, en particulier en faisant peut-être plus de place au César des lycéens qu’à celui du public, tous deux dernièrement créés.
NB : En illustration de cet édito, Claude Bécuwe, un des 100 portraits réalisés en 2005. Claude prenait soin de nettoyer régulièrement le César de Quand la mer monte lorsqu’il traversait les Flandres pour retrouver, le temps d’un portrait, celles et ceux qui ont permis l’existence du film. Que cette image puisse trouver mon amie Agnès Godard, AFC, qui, un jour, a voulu éliminer des taches vert-de-gris apparues sur son César[4], avec une brosse à dent et qui, depuis, n’arrive plus à faire disparaître des taches blanches… de dentifrice !
[1] Quand la mer monte, César 2005 du Meilleur Premier Film, réalisé par Yolande Moreau et Gilles Porte
[2] Rendons à César, 100 portraits noir et blanc
[3] Extrait des statuts de l’Association pour la promotion du cinéma, article 6 :
"Créée à l’initiative de Georges Cravenne, l’Association se compose : Des professionnels du cinéma français ayant obtenu l’Oscar américain décerné annuellement depuis 1928 par l’Academy Of Motion Pictures Arts & Sciences, des anciens présidents de l’Association, et de professionnels du cinéma français déjà membres de l’Association à la date du 9 juillet 2020, ayant demandé par écrit, avant le 31 juillet 2020, à rester membre de l’Association."
[4] Agnès Godard, César 2001 de la Meilleure Photo pour Beau travail