Camerimage 2023
La cheffe opératrice Myriam Payette nous parle du tournage de "Oasis", un documentaire de Justine Martin
par Margot CavretComment s’est passée ta rencontre avec la réalisatrice ?
Myriam Payette : La réalisatrice et moi étions aux études en cinéma dans deux universités différentes à Montréal (UQAM et Concordia). On avait des amis en commun et elle a vu les films que j’ai faits durant mes études. Elle m’a contactée et m’a demandé de participer à son film. On s’est rencontrées, c’est vraiment une belle rencontre, nos visions et nos esthétiques fonctionnaient bien ensemble. Dès qu’elle m’a parlé des deux garçons ça m’a beaucoup touchée. Je viens de la campagne, j’ai une petite sœur avec qui je jouais dans les bois, et Justine avait aussi des souvenirs d’enfance similaires. On voulait un film d’été, un film de nostalgie, qui fasse vivre peut-être des souvenirs de jeunesse à la campagne aussi aux spectateurs. Pour elle c’était son premier film en tant que réalisatrice, et moi c’était mon premier film hors école.
Quand j’ai lu le scenario, j’ai tout de suite eu des images en tête, et j’ai su qu’il fallait tourner ce film avec le ratio 2,35:1 que j’aime beaucoup, surtout quand on met des personnages en pleine nature. C’est un documentaire sur ces deux garçons et leur relation, mais l’environnement est également très important. Ils sont à la fin d’une enfance naïve donc on voulait mettre l’accent sur leur petit monde, leur bulle ensemble. Une de nos références visuelles pour ce film là, c’était We The Animals. Ça suit aussi des jeunes et des enfants, sous d’importants rayons de soleil.
Comment avez-vous abordé ce tournage avec des enfants ?
MP : C’est drôle, depuis j’ai fait beaucoup de films avec des enfants, mais à ce moment-là, c’était une des premiers fois. Justine connaissait déjà les garçons car elle les gardait quand elle était jeune, donc elle avait déjà une forte connexion avec eux. On les a rencontrés une première fois chez eux, puis on les a invités à faire un pique-nique juste avec Justine, le producteur et moi, sans leurs parents, quelques semaines avant le tournage. On voulait qu’ils s’habituent à nous, créer un lien avec eux. J’avais amené mon appareil photo, je prenais des vidéos. Je laissais la caméra sur un trépied proche d’eux, je m’assurais qu’ils me voient bien manipuler la caméra, juste pour les habituer. On a vraiment sélectionné l’équipe pour nous assurer qu’il y ait une ambiance très amicale et respectueuse pendant le tournage. On est tous devenus un peu amis avec les garçons. Comme ils étaient jeunes on ne pouvait pas faire des journées complètes, donc il y avait beaucoup de temps qui était assigné à juste les accompagner et jouer avec eux.
C’était un film avec très peu de budget donc on n’a pas eu beaucoup de jours de tournage. On a passé une journée au skate park, puis on est allés dans le chalet, dans la nature, pendant trois jours. Justine avait écrit quelques scènes, mais on s’est rendu compte que la meilleure chose à faire avec eux, c’était vraiment de trouver un terrain de jeu, un petite bulle, et les laisser faire ce qu’ils avaient envie de faire, les laisser être eux-mêmes, ensemble. Pour certaines scènes, on avait quand même une petite shot list. Pour la scène du scooter ou la chasse aux grenouilles, on avait des images en tête qu’on a essayé de faire, mais ça a beaucoup changé lors du tournage et la vie nous a donné des cadeaux. Il faut toujours être alerte en documentaire. La scène de la baignade par exemple, on ne l’avait pas prévue comme ça. On se baignait, j’avais pris une caméra Blackmagic Pocket pour faire des images sous l’eau, juste les jambes des garçons qui se baignent. On a arrêté de filmer, on s’amusait simplement dans l’eau, et il s’est mis à pleuvoir intensément. Rémi, l’un des frères, était dans l’eau, il criait à son frère de venir le rejoindre, alors l’autre a plongé. J’ai pris la caméra j’ai fait des plans spontanément de cette baignade sous la pluie battante. Avec Justine, c’est un de nos plus beaux souvenirs du tournage. Je suis vraiment reconnaissante pour ce beau projet.
Quels étaient tes partis pris techniques ?
MP : On s’est dit que l’épaule serait vraiment bien pour ce film, mais une épaule très subtile et douce. J’aime être proche des personnages, on voulait que le spectateur se sente dans leur relation, comme s’il était un troisième frère. Une autre de nos envies était de laisser vivre les moments. Dans la scène du jeu de carte dans le salon, j’ai fait un cadre, on les a placés, et puis on est parties avec un moniteur dans une autre pièce, on les a laissé s’amuser. Pour nous, c’était important de faire l’amalgame entre des plans sur pied, pour laisser les choses vivre, et des plans à l’épaule, pour être plus réactifs. À l’épaule je peux participer à l’action, c’est comme une danse et on ressent beaucoup plus l’émotion.
Justine avait l’idée de contraster les mondes : quand ils sont seuls, ils acceptent leur différence et restent meilleurs amis, mais dès qu’ils sont en ville, le poids des regards des autres adolescents les agressent. On voulait suivre ce dynamisme qui les embarque, avec des plans plus crus, des gros mouvements de caméra plus brutaux.
On voulait jouer avec les codes au début, que le spectateur ne soit pas sûr, si c’est une fiction ou un documentaire. L’idée était que seules les entrevues permettraient de savoir qu’il s’agissait bien d’un documentaire, mais on pensait n’utiliser que l’audio de ces entretiens. J’ai quand même voulu assurer une image qui soit élégante et originale. Je voulais encore une fois que l’environnement soit important. En repérages on a trouvé une petite cabane abandonnée, qui aurait pu être comme leur petite maison où ils peuvent nous parler en toute sécurité. C’était un décor parfait, et finalement Justine a choisi d’utiliser également l’image. Je trouvais intéressant de les mettre de profil, avec Justine qui leur parle hors-champ. On ne voulait pas rendre le sujet de notre documentaire trop dramatique pour eux, et on avait peur qu’en étant trop intense avec la caméra, ça crée du drame, alors qu’on voulait vraiment qu’ils restent naturels, qu’ils nous parlent de leur vie, en toute normalité. C’est aussi pour ça qu’on a choisi cette caméra un peu pudique, de profil.
En documentaire je demande toujours à avoir une assistante caméra. Ça allège techniquement mon travail et je peux vraiment me concentrer sur l’esthétique et le cadre. Je travaille avec Cloé Lafortune, c’est vraiment une bonne alliée esthétique. Pour la première journée au skate park on a essayé une configuration classique avec Teradek et commande de point, mais nous nous sommes rendu compte que ça ne fonctionnait pas avec notre façon de travailler pour ce film, nous voulions une configuration plus simple. Nous avons mis un follow focus directement sur la caméra pour la suite du tournage. Je trouve que le point est un outil créatif vraiment important de la narration. J’aimais bien pouvoir parler à Cloé, lui donner des indications sur le point pendant le plan, en fonction de ce qui arrivait.
J’avais deux zooms Angénieux Optimo DP rouge, le 16-42 et le 30-80, et une caméra Blackmagic Ursa G2. Il fallait faire simple à cause du budget, mais je pense que quand c’est bien exposé, c’est suffisant pour faire de la magie. J’essayais simplement de ne pas aller dans des endroits trop sombres ou trop contrastés avec l’extérieur. Je trouvais que le mélange de ces Angénieux avec la Ursa avait quelque chose de vintage, cassé, doux, que j’aimais bien. Donc je n’ai pas utilisé de filtres autres que les ND et un polarisant, pour le ciel et les étendues d’eau.
J’avais très peu d’éclairage, presque tout est en lumière naturelle. J’avais amené des toiles de diffusion mais je me suis rendu compte que c’était presque impossible de savoir exactement ce qui allait arriver et je ne voulais pas que les enfants se sentent contraints par la technique. J’avais deux tubes LED Astera que j’ai utilisés dans la scène du jeu de carte pour modérer l’effet de contre-jour de la fenêtre, et dans la scène du camping, cachés dans la forêt, avec un Aputure que j’avais mis derrière la tente pour créer l’effet silhouette. Ça a bien marché, et l’étalonnage a beaucoup aidé.
Je travaille toujours avec un coloriste émergent vraiment talentueux qui s’appelle William Albu. Lui aussi est directeur de la photographie, donc il a un œil incroyable. Nous avons travaillé un côté un peu plus texturé de la nature, avec des jaunes et des verts assez intenses. J’envoie toujours beaucoup de références au coloriste en amont, pour qu’il puisse proposer des choses dans le style que je recherche. J’utilise ShotDeck, je fais un dossier par scène, je regroupe des contrastes, des teintes qui m’intéressent, j’essaye de ne pas trop mettre d’images pour que ce soit le plus simple possible.
Je suis vraiment contente de cette sélection à Camerimage. Quand j’étais étudiante, je rêvais d’y aller un jour, mais je ne pensais pas que ça arriverait si vite ! J’espère y voir beaucoup de films inspirants. A mon retour, j’irai à Cuba, filmer le deuxième bloc d’un long métrage de docu-fiction, pendant une fête pyrotechnique de Noël vraiment impressionnante.
(Propos recueillis par Margot Cavret, pour l’AFC)