Le son toujours en avance sur l’image !
Chers amis,
Merci pour cette projection de comparatifs d’objectifs dont l’intérêt dépasse la simple possibilité visuelle d’effectuer des choix en fonction de critères esthétiques. Les réactions dans la salle en ont été le témoin.
Un peu facilement on pourrait en déduire que nous sommes passé du temps des "objectifs" – système optique d’une lunette, d’un microscope... tourné vers l’objet qu’on observe – (un substantif que j’aime remplacer par la définition de sa forme adjectivale qu’en donnait Descartes : « Qui constitue un concept, une représentation de l’esprit et non une réalité formelle ») au temps des "lenses", réduisant ainsi l’objet et sa fonction à sa seule partie optique lenticulaire.
On peut imaginer que le cahier des charges des ingénieurs de la R&D des fabricants de ces lentilles consiste à les rendre de plus en plus transparentes, achromatiques, sans aberrations, bref, neutres. Ce que nous avons vu concernant les "Full Frame" en est la preuve et si la philosophie de leur conception perdure, la tendance d’une uniformisation ira en s’accentuant.
Le son ayant souvent un temps d’avance sur l’image, en sortant de la projection j’ai fait le rapprochement avec ce qui s’est passé au niveau de la captation et de la postproduction sonores ces vingt dernières années : la recherche permanente d’une sorte de perfection en gommant partis pris, différences, aspérités et accidents avec, comme résultat, une uniformisation technique et artistique des bandes sonores des films.
Quand la prise de son des dialogues s’effectuait avec uniquement le microphone contraint par le cadre, le choix de celui-ci s’entendait jusqu’à la copie du film ; on pouvait reconnaître le son de ceux qui travaillaient avec des "160"*, et les adeptes du "415"**, puis des micros de chez Neumann et Schoeps, eux aussi très identifiables.
Des oreilles bien affutées reconnaissaient le son de tel ou tel ingénieur du son, de même que la patte de certains mixeurs.
Loin de moi l’idée qu’aujourd’hui tout se vaut, mais l’omniprésence des HF, le travail moins incisif et précis de la perche, qui souvent se contente de donner de l’air aux HF, ou de la figuration quand on tourne à plusieurs caméras, le gommage des acoustiques et la disparition des plans sonores, le tout lié à une postproduction de plus en plus performante, très nettoyante, ont, à mon avis, aseptisé le son direct jusqu’à le rendre sans saveur, rabaissé à un unique rôle de vecteur du texte. Une sorte de sous-titrage sonore.
Le passage de l’analogique au numérique avec des choix technologiques parfois plus commerciaux que qualitatifs, la disparition des consoles de mixage de marques différentes pour arriver au monopole actuel absolu d’un seul fabriquant, l’adjonction de quantité de "plug-in" qu’on retrouve à l’identique dans tous les studios du monde, sont de petites pierres qui s’ajoutent les unes aux autres pour fabriquer une sorte de son parfaitement propre, aussi insipide qu’une vinification pour des ventes internationales.
Si on y ajoute la problématique de la compression, cela peut aussi devenir quasiment inaudible, un comble ! (Voir, pour ceux que cela intéresse : 19e Semaine du son)
J’ai traversé ces mutations technologiques et je me suis questionné sur mes capacités de choix de plus en plus réduites lors du tournage, passant du statut d’artisan du son (je n’ai jamais aimé le mot ingénieur du son) à celui exigé par les productions de "preneur de son" : prendre, tout prendre, ne pas choisir et déléguer à la postproduction. C’est, en partie, ce qui m’a décidé d’arrêter de faire ce métier.
Les optiques parfaites, les capteurs de plus en plus grands et définis permettant de cropper les images, les formidables possibilités d’intervention offertes aux étalonneurs sont autant de petites pierres qui peuvent transformer le directeur ou la directrice de la photographie, en "preneur d’images". Il vous reste encore la création de la lumière avec des sources physiques. Attention que les sources virtuelles d’une 3D de plus en plus présente ne vous dépossèdent pas non plus de cette création.
D’où l’importance de se battre, comme vous et d’autres le font, non pas pour dire qu’avant c’était mieux, absurdité réactionnaire, mais pour garder à l’idée que créer une image et un son ne doivent pas être uniquement la recherche d’une perfection technique aseptisée et standardisée vers laquelle tous ces nouveaux outils nous mènent, mais le résultat d’une démarche artistique qui comporte aussi, et peut être avant tout, des imperfections, des scories, des coups de pinceaux, des fausses notes, des distorsions, des grains, des aléas,… bref de la vie.
Encore bravo et bon courage !
Eric Vaucher
* Micro M160 : micro dynamique à ruban de la marque Beyer
** Micro MKH 415 : micro qui allie un transducteur à gradient de pression et un tube à interférence de la marque Sennheizer.
En vignette de cet article, un photogramme recadré issu des tests optiques Grand Format.